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Mais il y a quelque chose qui est resté permanent dans toutes, c'est ce qu'on appelle la conscription, c'est-à-dire l'obligation pour tous de servir, obligation adoucie par la faculté de se faire remplacer au besoin.

Eh bien, croyez-vous que, pour introduire cette habitude dans nos mœurs, pour nous familiariser avec cette loi, qui s'est en quelque sorte mêlée à notre nature, et que nous exécutons maintenant presque sans difficulté, croyez-vous qu'il n'ait pas fallu beaucoup d'efforts? Il a fallu cinquante années, et vous savez comme moi, vous qui avez tant étudié l'histoire contemporaine, vous savez qu'à son début cette institution rencontra d'énergiques résistances, qu'elle fut la cause, non pas unique, mais principale de l'insurrection de la Vendée, et que la résistance fut si longue, que, sous l'empire si obéi, pendant l'époque où il régnait le plus grand calme, le plus grand respect pour la loi, la plus grande soumission au maître, il y avait plusieurs départements de l'Ouest dans lesquels on ne levait pas la conscription, tant cette loi, qui oblige tout le monde à servir, était difficile à introduire dans nos mœurs, à introduire dans les habitudes de la population.

Aujourd'hui, au milieu de cette conflagration générale du monde et de la France, j'espère bien que nous demeurerons en paix. J'invoque la paix, moi qui, on le sait bien, sous les régimes antérieurs, n'ai jamais été partisan de la paix à tout prix, moi, dis-je, je fais

des vœux pour la paix. Je n'appelle donc pas la guerre; mais, malgré vous, quelque sages, quelque habiles que vous soyez, quelque heureux que les événements vous rendent, il se pourrait pourtant que la guerre vînt vous chercher.

Et c'est dans un moment aussi difficile que celui-ci, dans un moment où les esprits exaltés sont portés à secouer toutes les habitudes, c'est dans un moment pareil que vous viendriez créer à une institution entrée dans nos mœurs, définitivement acceptée, une difficulté des plus graves, une difficulté qui la rendrait odieuse, qui soulèverait contre elle une partie de la population, non pas seulement les classes riches comme vous le dites, mais souvent aussi les classes aisées, et quelquefois même les classes presque pauvres, car le petit fermier qui a quelque aisance, le paysan qui a amassé quelques économies, les emploient à faire remplacer leurs enfants pour les garder près d'eux.

Laissez-leur cette faculté qui leur est chère : ils en useront ou ils n'en useront pas, à leur gré, car souvent, sur deux familles qui n'ont pas plus d'aisance l'une que l'autre, il se trouve que l'une fait remplacer son fils, tandis que l'autre, si elle a plusieurs enfants, laisse aller le dernier à l'armée. Laissez-leur, dis-je, cette faculté qui ne nuit point à l'État, et qui rend supportable une obligation des plus onéreuses. N'allez pas à cette institution à peine établie dans le pays, dont vous pourrez bientôt avoir

un si urgent besoin, n'allez pas créer vous-mêmes des causes de haine, de résistance, de révolte peut-être, car ce serait pour la République elle-même la plus

insensée de toutes les conduites!

Et nous, que vous accusez de nourrir des sentiments contraires à l'ordre de choses actuel, que vous accusez à tort, car, si nous sommes conséquents avec notre passé, nous sommes gens de légalité, nous respectons la République comme la loi du pays; nous, dis-je, nous vous conjurons de ne pas créer des obstacles à cette République, et vous, ses soutiens par excellence, qui vous croyez les seuls appelés à la diriger, qui vous révoltez qu'on vienne essayer de la gouverner avec vous, en même temps que vous, à côté de vous, qui devriez dès lors vous regarder comme plus particulièrement chargés de son avenir, de son salut, de sa grandeur, vous viendriez demander d'altérer la principale de ses institutions, celle qui lui assure la force militaire ! Ce serait la conduite de gens qui aiment beaucoup sans doute, mais qui aiment mal, qui aiment en aveugles.

(Vive approbation.)

L'amendement Deville fut rejeté à la majorité de 663 voix contre 140, et l'Assemblée adopta une nouvelle rédaction proposée par M. Deslongrais, et portant que le mode et les conditions de la faculté, pour chaque citoyen, de se libérer du service militaire personnel, seraient réglés par la loi de recrutement.

CLIV

DISCOURS

SUR

LES AFFAIRES D'ITALIE

PRONONCÉ LE 31 MARS 1849

A L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En prenant possession, le 20 décembre 1848, de la présidence de la République, à laquelle il avait été appelé par le vote plébiscitaire du 10 décembre précédent, le prince Louis Bonaparte avait constitué un cabinet composé d'anciennes notabilités parlementaires, parmi lesquelles M. Odilon Barrot, chargé, avec le titre de président du conseil, du portefeuille de la justice, et M. Drouyn de Lhuys de celui des affaires étrangères.

La révolution du 24 février avait eu son contre-coup en Italie, et y avait amené de graves perturbations. La Lombardie s'était révoltée contre le gouvernement de Vienne, et, avec le concours du roi de Sardaigne Charles-Albert, avait expulsé de son territoire les troupes autrichiennes.. Mais ces dernières, mettant à profit le désaccord survenu entre les vainqueurs, avaient repris l'offensive, occupé Milan, et obligé le roi Charles Albert à rentrer en Piémont. D'un autre côté, le grand-duc de Toscane et le duc de Modène avaient dû quitter leurs États, la République avait été proclamée à Venise et enfin à Rome, où le parti révolutionnaire dominait complètement depuis l'assassinat du ministre

Rossi, le pape n'était plus qu'un prisonnier dans son palais. Le gouvernement provisoire de M. de Lamartine ainsi que le pouvoir exécutif du général Cavaignac s'étaient abstenus d'intervenir dans ces divers événements, et s'étaient bornés à offrir au Saint-Père d'envoyer une brigade à Civita-Vecchia pour protéger sa personne, à titre de chef de la catholicité, et à prévenir, par une médiation faite de concert avec l'Angleterre, l'entrée des Autrichiens victorieux en Piémont. Mais, dans le courant de février 1849, le pape ayant quitté Rome, s'était retiré à Gaëte, et la République romaine avait été proclamée. De plus, un mois après, au nord de la Péninsule, le roi Charles-Albert, en butte aux obsessions et accusations du parti révolutionnaire, avait repris l'offensive contre les troupes autrichiennes et avait été battu à Novare. A la suite de cette défaite, qui mettait son royaume à la merci de l'armée victorieuse, ce prince avait abdiqué en faveur de son fils Victor-Emmanuel, et, sur la demande qui lui en avait été faite par les deux représentants de l'Angleterre et de la France à Turin, le général Radetzki, chef de cette armée, avait accordé un armistice et suspendu la marche de ses troupes.

En communiquant à l'Assemblée nationale, dans sa séance du 28 mars, la nouvelle de ces graves événements, M. Odilon Barrot avait ajouté que, bien que le roi CharlesAlbert eût agi contrairement aux avis de la France et que le dénouement de son entreprise ne fût que trop prévu, le gouvernement français n'en était pas moins résolu à sauvegarder, avec l'intégrité du territoire piémontais, la dignité et l'intérêt de la France. Le comité des affaires étrangères, saisi de cette communication, proposait le lendemain à l'Assemblée une résolution portant que si, pour mieux garantir l'intégrité du territoire piémontais et mieux sauvegarder les intérêts et l'honneur de la France, le pouvoir exécutif croyait devoir prêter à ses négociations l'appui

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