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d'une occupation partielle et temporaire en Italie, il trouverait dans l'Assemblée nationale le plus entier et le plus sincère concours.

Au début de la discussion qui suivit la lecture de ce projet d'ordre du jour, M. Drouyn de Lhuys déclara que le gouvernement accepterait avec empressement de l'Assemblée toute offre de concours qui lui laisserait sa liberté d'appréciation et d'action, et il ajouta que, du reste, le chef du cabinet autrichien, le prince de Schwarzenberg, avait donné au ministre de France à Vienne l'assurance que l'Autriche ne voulait rien enlever au Piémont, et qu'elle était même prête à accorder toutes les garanties et à prendre tous les engagements que la France et l'Angleterre pourraient désirer à cet égard; qu'elle se réserverait seulement d'exiger le remboursement des frais de guerre et n'irait pas au delà de cette prétention, dont la légitimité lui semblait incontestable.

Mais les explications de M. Drouyn de Lhuys ne parurent pas suffisantes à M. Ledru-Rollin, qui jugeait l'occasion favorable pour intervenir d'une façon active en Italie au profit de la révolution et briser ainsi les traités de 1815. Il rappela à ce sujet que deux ans auparavant, dans un banquet à Saint-Quentin, le président du conseil, M. Barrot, avait déclaré que, si le conflit s'engageait en Italie entre le gouvernement autrichien et le peuple combattant pour ses droits et sa nationalité, la France ne pourrait rester indifférente, et qu'en 1839 M. Thiers lui-même avait vivement blâmé M. Molé d'avoir, par l'abandon d'Ancône, compromis l'influence de la France dans la Péninsule. Ces deux hommes d'État, fit observer M. Ledru-Rollin, ne pouvaient avoir oublié des paroles aussi solennellement prononcées, et, pour être conséquents avec eux-mêmes, ils devaient venir de nouveau soutenir à la tribune les opinions qu'ils avaient naguère exprimées.

M. Thiers prit la parole pour répondre à M. LedruRollin.

Citoyens représentants,

J'ai été la cause, hier, du renvoi de la discussion à aujourd'hui; j'en demande pardon à l'Assemblée. Je crains de ne pouvoir la dédommager du temps qu'elle aura perdu par un accroissement suffisant de lumières sur le sujet qui l'occupe. Je voudrais cependant avoir toutes mes forces pour approfondir la grave question qui vous est soumise. Je ferai de mon mieux; pour l'éclaircir, je surmonterai ma faiblesse et ma répugnance à monter à la tribune.

J'éprouve, dans un sujet si grave, un besoin, celui d'une parfaite clarté. Je ne comprendrais pas que, dans un tel sujet, on se cachât les uns et les autres derrière des expressions équivoques et ambiguës. (Très bien!) C'est ce besoin de clarté qui, dans un sujet suprême pour le pays, m'a fait, malgré l'état de mes forces, demander à prendre la parole, et ce n'est pas, je vous demande la permission de le lui déclarer, l'attaque de l'honorable M. Ledru-Rollin. Non pas que je dédaigne une attaque de sa part, loin de moi une telle inconvenance; mais vraiment celle par laquelle il a tenté de m'attirer à cette tribune n'était pas sérieuse.

Comment! parce qu'il y a dix années j'ai regretté l'évacuation d'Ancône, vous me croiriez obligé, aujourd'hui, à voter pour une politique qui, si elle est sincère, demande immédiatement la guerre générale. (Mouvement.) C'est comme si, parce que j'ai été opposant sous le dernier gouvernement, vous me teniez pour obligé d'être aujourd'hui républicain démocrate comme vous l'êtes. La prétention serait extraordinaire. (Rires approbatifs.)

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A gauche. Nous n'avons pas cette prétention.
Ainsi nous voilà parfaitement d'ac-

M. THIERS. cord. (Bruit.)

Je le répète, nous voilà d'accord. Mon opposition passée à un gouvernement auquel j'étais dévoué ne me lie en rien à votre politique. Et pourquoi d'ailleurs nous reporter à ce passé? Si je voulais vous en parler avec la franchise et la sincérité de mes sentiments, m'écouteriez-vous?

Voix à gauche. - Mais oui! Mais oui!

vous

M. THIERS. Je vous en demande pardon vous vantez, vous vous prêtez plus de sang-froid que vous n'en avez. (Rire général.) Laissons donc un passé qui n'est point et ne peut être en cause, car vous êtes des juges prévenus. Occupons-nous du présent, il est assez triste, assez grave, assez important, pour attirer, pour mériter exclusivement toute notre attention.

Le présent, quel est-il? L'Italie a succombé... (Rumeurs et interruptions à gauche.)

Voix à gauche. - Pas encore!

M. LE PRÉSIDENT. Veuillez ne pas interrompre à chaque instant. Si vous différez d'opinion avec l'orateur, vous exprimerez votre pensée; mais vous n'avez pas le droit d'interrompre.

M. THIERS. - Je comprends le motif de l'interruption. Vous voulez dire que l'Italie n'était pas tout entière sur le champ de bataille de Novare. Je le regrette amèrement pour elle, et cela ne fait pas honneur à ceux dont vous êtes plus particulièrement ici les protecteurs. (Approbation à droite.)

Pour le moment l'Italie a succombé; pour le moment... (Nouvelle interruption à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. Les membres de l'Assemblée qui interrompent doivent comprendre qu'il n'y a pas de discussion possible si la liberté de la tribune est sans cesse troublée.

M. THIERS. Je dis que, pour le moment, elle a succombé. J'espère que ce ne sera pas pour toujours. Elle a donc succombé.

Maintenant, la France s'est-elle engagée envers elle? Non. La France n'a cessé de lui répéter, à toutes les époques, que, si elle rompait l'armistice, que, si elle provoquait la guerre, elle serait responsable seule des événements. Ici, à Paris, ce n'est pas seulement le gouvernement qu'on a consulté; tous les hommes de quelque renom auxquels on a demandé leur avis ont tous répondu sans exception: La lutte, aujourd'hui, serait une souveraine imprudence. Ne croyez pas que la France veuille risquer son existence dans

ce moment pour la cause italienne; si vous commettez l'imprudence, croyez que vous en supporterez seuls les conséquences.

L'Italie a été malheureuse; la France s'est-elle engagée? Je dis que non. Cela signifie-t-il que la France soit sans pitié pour le malheur, indifférente pour l'Italie, à laquelle elle se rattache par tant de liens? Non. Mais expliquons-nous franchement, mettons de côté le faux langage, le faux patriotisme; allons au fond des choses. Quels moyens y a-t-il? Quelle politique peut-on proposer aujourd'hui ?

C'est là qu'est la question, et il est digne de vous de ne pas vous cacher derrière des faux-fuyants, pas plus que vous ne nous verrez le faire nous-même. Il faut dire ce qu'on veut, car l'occasion est plus grave et plus solennelle qu'elle ne l'a jamais été.

J'ai vu pendant vingt ans la diplomatie interposée entre la paix et la guerre. Aujourd'hui il n'en est plus de même, et le langage que j'entends tenir ici est plus humiliant pour la France que les faits dont on se plaint; il faut dire ce qu'on veut. (Très bien! Très bien!)

A mon avis, il y a trois politiques en présence : il y a celle qui voudrait aller immédiatement par les armes au secours de la cause italienne; ce n'est pas la mienne. Il y en a une autre qui se borne à dire que, même dans l'état où se trouve l'Italie, avec les imprudences qui ont été commises, on peut négocier utilement pour elle : je suis pour celle-là. Il

VIII.

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