mais que je ne comprenais pas (écoutez jusqu'au bout, et vous verrez pourquoi je ne comprenais pas) comment ceux qui ont signé l'acte d'accusation peuvent aujourd'hui demander à être éclairés davantage... Hier les accusateurs nous ont dit qu'ils étaient tellement convaincus, que, pour eux, il y avait évidence complète, évidence à ce point, que la Constitution était violée jusqu'à provoquer l'énergie et le courage du peuple français. Comment, la Constitution a été si évidemment violée que vous aviez le courage d'appeler la France aux armes, c'est-à-dire de faire couler des torrents de sang! (Vives réclamations à gauche.) Au centre et à droite. Oui! Oui! vous l'avez dit, c'est dans le Moniteur. M. THIERS.Vous étiez convaincus hier à ce point que vous disiez que la France devait faire appel à son courage pour venger la violation de la Constitution; car il n'y a que cela qui puisse déterminer cet acte extraordinaire appuyé de telles menaces. S'il s'agissait de dire que l'entreprise a été bien ou mal conduite, qu'on a plus ou moins dépassé les intentions de l'Assemblée, que l'on est plus ou moins sorti des instructions que l'Assemblée avait données, je comprendrais que vous eussiez besoin d'être éclairés davantage; je comprendrais que, s'il s'agissait de décider la question entre le ministère et M. de Lesseps, que si vous étiez le conseil d'État, investi du jugement, et justement investi du jugement de M. de Lesseps, je comprendrais que vous demandassiez des pièces pour savoir comment la né gociation dernière, conduite par lui, a pu se passer. Mais comment avez-vous pu poser la question en des termes si graves, sinon en vous appuyant sur un texte de la Constitution violée. (Interruptions à gauche.) Est-ce vrai ou non? Venez lire l'acte d'accusation. De quoi s'y plaint-on? De deux choses: 1° de ce que l'on a violé la liberté d'un peuple, ce à quoi la Constitution s'oppose; 2° de ce que l'on a agi contre la volonté de l'Assemblée. Voilà les deux griefs dont nous avons été saisis; c'est sur ces deux griefs que nous nous sommes trouvés suffisamment éclairés, et je trouve que non seulement ceux qui ont accusé, mais ceux qui n'ont pas accusé, ont des éléments suffisants pour décider aujourd'hui. Vous avez beau vouloir nous donner une attitude qui n'est pas la nôtre, celle de refuser des pièces, vous avez beau dire que l'on ne peut condamner sans avoir entendu, il faut que la vérité éclate tout entière. La vérité, c'est que vous avez déclaré à la face du pays que la Constitution était assez violée pour qu'on prononçât la déchéance du premier pouvoir de l'État. A gauche. Allons donc! le premier pouvoir de l'État, c'est l'Assemblée! M. THIERS. Je sais très bien que, avec notre Constitution, si l'on voulait appliquer ces mots à la rigueur, je me serais exprimé d'une manière qui ne serait pas parfaitement exacte, je le reconnais; mais soyons sérieux, Messieurs, raisonnons sérieusement, ne jouons pas sur les mots. Quoi! vous m'interrompez, parce que j'ai qualifié les pouvoirs de l'État d'une manière qui ne convient pas ! Est-ce là une discussion sérieuse? Revenons au fait Est-il vrai, ou non, que vous avez basé l'accusation sur la violation de la Constitution? (A gauche: Oui! Oui!) Est-il vrai que vous l'avez basée sur la violation des volontés de l'Assemblée nationale? (A gauche : Oui! Oui!) Eh bien, nous qui savions ce fait qu'on avait attaqué Rome à coups de canon (le fait n'est pas contesté, apparemment), nous qui connaissions les articles de la Constitution qu'on dit avoir été violés (ils ne sont pas contestés, ils sont dans la Constitution), nous qui connaissions les deux décisions de l'Assemblée nationale constituante (elles ne sont pas contestées davantage, elles sont dans le Moniteur), nous qui connaissions les deux traités intervenus, après lesquels on a refusé de continuer la négociation et ordonné de tirer le canon contre Rome, nous possédions les éléments suffisants pour décider. Vous avez été suffisamment éclairés pour accuser, et nous pour ne pas accuser... (Rires approbatifs à droite.) Vous nous dites qu'il nous faut de nouvelles pièces pour prononcer; est-ce que nous n'avons pas l'intelligence aussi ouverte que vous? (Rires et murmures.) Permettez, je n'offense personne, je n'ai jamais offensé personne. (Mouvements divers.) Voix à gauche. Nous sommes au-dessus de vos offenses. M. THIERS. Ceux qui veulent m'offenser peuvent me trouver à chaque instant, et n'ont pas besoin de donner à l'Assemblée et à la France un scandale, celui d'insulter les orateurs qui sont à cette tribune. (A droite Très bien!) Messieurs, nous affligeons assez le pays par les scènes déplorables que nous lui offrons; ne faisons pas descendre cette Assemblée au-dessous de celles des nations civilisées. (Nouvelle approbation à droite.) Eh bien, Messieurs, je vous ramène sans cesse à la question. Vous avez fondé votre accusation sur une violation de la Constitution. Vous avez dit on a violé la liberté d'un peuple qui voulait être libre; nous disons, nous non, on n'a pas violé la liberté d'un peuple, on est allé en Italie, non pas peut-être pour ce que vous appelez la liberté du peuple romain, mais pour la véritable liberté du peuple italien, car, si la France n'était pas allée à Rome, et si les Autrichiens y étaient allés à sa place, est-ce que quelqu'un contestera que la contre-révolution ne serait complète. (Approbation à droite.) Un membre. - Parlez donc sérieusement! M. THIERS.-Tâchez de me répondre sérieusement. M. PASCAL DUPRAT. - On n'insulte pas d'avance ses adversaires. M. THIERS. Voyons si cette suite de raisonnements est sérieuse. Vous avez accusé le gouvernement d'avoir violé un article de la Constitution. L'article dit que nous ne devons pas toucher à la liberté des autres peuples. Nous, appréciant la situation, qui est connue de tout le monde, appréciant dans quelles circonstances le Gouvernement a envoyé une armée à Rome, nous appuyant sur des documents suffisants, c'est-à-dire sur la situation elle-même, l'Italie envahie et Rome qui allait être envahie par les Autrichiens si les Français n'y étaient pas allés, nous disons que nous y sommes allés, non pas contre la véritable liberté de l'Italie, mais contre la démagogie, et nous déclarons que l'esprit de la Constitution n'a pas été violé. Je vous demande, sur ce point, quelle est la pièce à produire pour nous apprendre si le peuple italien a raison de se plaindre, ou s'il a à se louer de l'expédition qui a empêché les Autrichiens d'être non seulement à Florence, à Bologne, à Ancône, mais à Rome. Les Autrichiens sont partout où les Français ne sont pas. Y a-t-il une pièce à produire là-dessus? Vous dites mais la volonté de l'Assemblée nationale a été violée. Nous, nous disons non. Et pourquoi? C'est que l'Assemblée nationale, si elle avait émis le vote de 1,200,000 francs sans en prévoir les conséquences, eût été aveugle (et pardonnez-moi le mot qui naît de la circonstance, mais que je déclare n'être pas mérité, car je crois qu'elle ne s'est pas trompée), elle eût été stupide si elle avait consenti à envoyer les soldats de la France à Civita-Vecchia, qui est un territoire romain, apparemment, si elle avait consenti qu'on y allât sans prévoir que nos soldats ne demanderaient |