droit d'avoir un monopole si vous prétendez en avoir un? (Interruptions diverses à gauche.) Je supplie mes collègues et M. le président de me laisser vider moi-même ce débat avec M. Ledru-Rollin, et je lui dirai d'abord que les libertés qu'on se donne à l'égard de ses adversaires sont égales à celles qu'on leur donne à eux. Vous vous en êtes donné avec moi; je vais m'en donner avec vous, et vous verrez que les miennes sont parfaitement fondées. (Agitation. Le citoyen Ledru-Rollin se lève à sa place pour par — ler.) Au centre. Non! Non! Vous ne parlerez pas. M. LEDRU-ROLLIN, de sa place. Voulez-vous me permettre de dire un mot? M. THIERS. Je vous en demande pardon, je ne veux pas vous laisser retirer une des paroles que vous m'avez adressées, je m'en empare. M. LEDRU-ROLLIN. Je ne veux pas les retirer; je veux vous dire un mot. Au centre. Non! Laissez parler! M. BAUCHART (du Calvados.) Vous n'aurez la parole que si l'orateur vous l'accorde; s'il ne l'accorde pas, vous ne l'aurez pas. M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Thiers. M. LEDRU-ROLLIN. Voulez-vous me permettre de dire un mot? M. THIERS.- Laissez dire... M. LEDRU-ROLLIN. - Un seul mot, je ne retire rien, monsieur Thiers. (Bruit au centre.) Voix nombreuses au centre. Vous n'avez parole! Vous ne parlerez pas. M. THIERS. Laissez parler; c'est un débat à vider entre M. Ledru-Rollin et moi, en votre présence; permettez-lui de dire un mot, j'y consens. M. LEDRU-ROLLIN. Je ne veux dire qu'un seul mot, le voici M. Thiers s'empare de mes paroles, c'est parfaitement son droit, je ne les rétracte pas; je lui rappelle que le mot Cosaque est venu en réponse au mot démagogue. (A gauche : Très bien! Très bien!) M. THIERS. Messieurs, M. Ledru-Rollin cède à un sentiment que j'honore. Il voudrait, ayant employé une expression profondément blessante, se présenter comme ayant été provoqué; mais il ne peut pas s'assurer cet avantage. J'ai parlé de la démagogie en général, et je n'ai appliqué cela à aucune partie de l'Assemblée, quelle que fût mon opinion personnelle. (Réclamations à gauche.) Vous me dites que je suis du parti des Cosaques. (A gauche Oui! Oui!) Bien! Le pays jugera. (Mouvement en sens divers.) Attendez, le pays jugera et décidera si en moi, si en mes amis, à cause des opinions qu'ils soutiennent tous les jours, il y a des amis des Cosaques. Le pays jugera; il jugera si, entre l'homme qui a prononcé les paroles que nous avons entendues hier et les insurgés de juin, il n'y a pas une liaison intime. Le pays jugera. (Vire approbation à droite.) C'est le pays qui est notre juge à tous, il décidera s'il y a entre vous et les insurgés de juin un lien plus étroit qu'entre les Cosaques et nous. Maintenant, vous voulez défigurer la question, je le vois bien. Il s'agissait d'une accusation, et maintenant vous tâchez de venir présenter aux yeux cette question de la monarchie et de la république. Il ne s'agit pas de cela, vous le savez bien, vous n'êtes pas sincères. (Interruption à gauche.) Vous savez bien que, sous aucun régime, je ne me suis hâté d'adorer les gouvernements récents, naissants, et vous me l'avez assez reproché depuis dix-huit mois. (Nouvelle interruption.) Mais l'argument dont vous vous servez prouve suffisamment que je ne me suis pas assez humilié devant votre opinion quand elle était triomphante, et je ne consentirai pas à ce que, dans un intérêt perfide, vous défiguriez la question, que vous nous fassiez une position qui n'est pas la nôtre. J'ai voté la Constitution, j'ai accepté la république sans arrière-pensée (rires ironiques à gauche), mais la république dans laquelle les majorités font la loi, décident souverainement, et non pas la république dans laquelle les minorités mécontentes ont le droit d'appeler aux armes (applaudissements au centre); celle-là, je n'en veux pas, je la déteste et je la combattrai pour cela. (Approbation.) Dans la république il peut y avoir l'ordre et le désordre. Dans la république, il peut y avoir l'ordre, c'est pour cela que nous l'avons acceptée; mais dans la république il peut y avoir le désordre, et nous n'en voulons pas; il peut y avoir l'anarchie. A gauche. -Nous n'en voulons pas plus que vous. Si nous n'étions pas sincères, savez-vous ce que nous ferions? Nous nous mettrions avec vous, et nous précipiterions la république dans l'abime. (Exclamations Marques d'assentiment sur les autres bancs à gauche. de l'Assemblée.) C'est parce que nous sommes sincères, c'est parce que nous sommes sous un gouvernement que nous n'avons pas fait, sous un gouvernement que nous avons accepté seulement, que nous cherchons le bien du pays, le bien du gouvernement lui-même, que nous combattons contre les entraînements de la démagogie, qui, si on lui cédait, ferait de la France ce qui est advenu de l'Italie. Voulez-vous que je vous raconte les chefs-d'œuvre qui ont perdu l'Italie? S'il y a des Autrichiens, des Napolitains, des Espagnols d'un côté, et des Français de l'autre, c'est parce que l'Italie a cédé aux conseils, aux suggestions des démagogues. Ils ont raisonné comme vous, et la bataille de Novare leur a répondu. (Reclamations bruyantes à gauche.) Savez-vous ce que nous ne voulons pas? C'est qu'on perde notre pays; c'est que, sous prétexte de combattre les Cosaques, on les ramène en France. Savez-vous ce que nous ne voulons pas? Ce sont des batailles de Novare provoquées par des démagogues, qui ont été capables de les provoquer, mais qui n'ont pas été capables d'y combattre. (Murmures à gauche.) Nous voulons, sous tous les gouvernements, sous tous les gouvernements quels qu'ils soient, l'ordre, la paix publique, pas d'effusion de sang, la discussion légale, la décision par la majorité, le pays gouverné d'une manière intelligente, et non pas provoqué sottement, absurdement, et poussé sur les champs de bataille, sur les baïonnettes étrangères, sans être préparé, comme le Piémont. Voilà ce que nous voulons; et le pays prononcera entre vous et nous. Mais quelquefois les événements prononcent, et ils ont prononcé sur cet infortuné Piémont, sur cette infortunée Sicile, que vous avez perdus, vous et vos amis. (Murmures à gauche.) Nous ne voulons pas que la France soit exposée à avoir pour juge l'événement, car l'événement c'est Novare; nous voulons que la bonne politique, que la sage politique préside à ses affaires, et c'est pour cela que nous combattons votre influence, et que nous la combattrons jusqu'au bout. (Très bien! Très bien! - Aux voix! Aux voix! — La clôture!) Les conclusions de la Commission furent adoptées par 377 voix contre 8 seulement, une grande partie des membres de l'extrême gauche ayant cru devoir s'abstenir, et, le lendemain, sur la provocation de M. Ledru-Rollin et de quelques autres représentants réunis au Conservatoire des arts et métiers, éclatait l'insurrection du 13 juin, aussi promptement qu'énergiquement réprimée par le général Changarnier. |