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pensée, avec la parole, avec l'écriture, qu'avec son bras; il faudrait supposer une société singulièrement grossière et avilie pour imaginer qu'en outrageant un homme on ne lui fasse pas autant de mal qu'en le frappant.

Si donc la parole peut être une arme aussi redoutable que le bras, il faut bien, en vertu du même principe, arrêter, limiter cette liberté de se servir de sa pensée, de sa parole, de sa plume, il faut, dis-je, la limiter, comme toutes les libertés, à la liberté d'autrui. Nous sommes encore d'accord, j'imagine, puisque

par

la pensée, par la parole, par la plume, on peut faire à autrui autant de mal que par les actions les plus violentes; il faut bien dès lors, dans l'intérêt des citoyens, dans l'intérêt de la sécurité de tous et de chacun, des limites.

Jusqu'ici nous voilà encore d'accord.

Mais, me dira-t-on, faites un pas de plus. Si l'on défend les individus, défendra-t-on aussi l'État? Non, ajoutera-t-on peut-être, car, après tout, on n'a pas le droit de se mêler des affaires de son voisin et de les discuter, mais on a le droit de discuter les affaires du gouvernement, qui sont les affaires de tous, et c'est en cela que consiste la difficulté. Sans doute on accorde facilement qu'il ne faut pas outrager son voisin, parce qu'on n'a ni droit ni intérêt à discuter ses affaires; mais l'État, c'est-à-dire le gouvernement, on a intérêt et droit à discuter tout ce qui le concerne. Là est la difficulté, je le reconnais.

Mais voyons si nous ne pourrions pas nous entendre dans la limite à poser. Oui, vous avez le droit de discuter le gouvernement, de discuter ses actes, sans aucune mesure; mais, selon moi, vous n'avez pas le droit, je vais essayer de vous le démontrer, de faire ce qui peut renverser le gouvernement. Pour moi, là est la vraie limite: on discutera le gouvernement sans aucune mesure, mais on ne fera rien pour le renverser. Ah! si je vous disais (ce qu'on nous a dit lorsque le gouvernement représentatif a commencé à s'introduire en France, lorsqu'on n'était pas encore familiarisé avec les principes de la vraie liberté), si je vous disais Oui, on discutera les actes, mais on les discutera avec mesure, avec modération, avec raison, on n'injuriera pas, on ne calomniera pas... ; si je disais cela, vous auriez droit de me répondre: A ces conditions, la liberté, la vraie liberté n'existe plus. Mais, au contraire, j'admets qu'on puisse discuter les actes. sans raison, sans mesure, sans justice. Écoutez-moi quelques instants encore, et jugez si je vous accorde complètement la liberté de discussion.

Voici un homme qui ne sait rien, qui sort du collège; il ne sait rien (hilarité prolongée), du moins des affaires d'État. Ou bien, il est déjà bien loin du collège, il a traversé toutes les carrières, il a été avocat, médecin, négociant; il a échoué dans toutes, il est donc étranger à toutes les matières de gouvernement. N'importe, il va faire la leçon tous les jours aux hommes les plus consommés, qui ont passé leur vie à

étudier les affaires d'État. Il enseignera à celui-là à gouverner, à celui-ci à administrer, à un autre à négocier. Cela doit être ainsi, car, si cela n'était pas, il n'y aurait pas de liberté de discussion pour les actes.

Je vous ai parlé de l'ignorant, je vais vous parler du malhonnête homme. Voici un homme exclu des fonctions publiques, parce qu'il en était indigne. Il n'a qu'un désir, c'est de contribuer au renversement ou de l'administration ou du gouvernement pour obtenir des fonctions. Les plus viles lui suffiront. Eh bien, il accusera les hommes les plus élevés, les plus attachés à leur pays, de quoi? D'ambition. Il faut que cela soit, car autrement la liberté n'existerait point.

Je vous accorde donc la discussion des actes la plus complète; le sot critiquera l'homme d'esprit; le malhonnête homme accusera l'honnête homme. Il le faut, parce que, si cela arrive souvent, il peut arriver aussi, et il arrive en effet. que des gens habiles, que d'honnêtes gens emploient le même moyen, ce moyen de l'expression de la pensée publique. Il le faut ; la liberté n'existe qu'à cette condition. Jusqu'ici, ce me semble, nous n'avons pas cessé d'être d'accord.

Mais, si j'accorde complète, entière, jusqu'à la calomnie, la liberté de discussion, qui, je le sais bien, peut faire du mal, c'est qu'au fond, en attaquant les hommes publics, elle n'ébranlera, n'arrêtera que les hommes faibles. Ceux qui auront de la puissance d'esprit et de cœur ne s'arrêteront pas devant les calomnies quotidiennes. Oui, quelques hommes faibles souf

friront, s'arrêteront dans leur carrière, comme ces soldats qui ne sont pas propres aux fatigues de la guerre et qui, aux premières journées, restent dans les hôpitaux. Tant pis pour eux; la société n'est faite que pour les forts. (Très bien! Très bien! - Rumeurs à gauche.)

Eh bien, la discussion des actes sera donc... (Interruption.) Oui, j'ai eu tort de dire la société, je voulais dire le gouvernement.

Voix nombreuses à droite.

C'est compris.

Un membre à gauche. On vous avait cependant applaudi. (Murmures.)

M. THIERS. - Si l'on a bien voulu m'approuver, c'est que mon auditoire avait mieux rédigé ma pensée que moi-même; je l'en remercie.

Mais, si la discussion des actes est illimitée jusqu'à la déraison, à la calomnie; quand il s'agira de l'existence du gouvernement, oh! alors non, non!

Pourquoi y a-t-il des lois, et une loi qui est la loi des lois, comme on l'a appelée, c'est-à-dire une Constitution, pourquoi? C'est pour qu'à la violence soit substituée la discussion paisible et pacifique.

Pourquoi écrire des codes? Pour que nous ne soyons pas dans l'état sauvage; pour que les partis ne s'égorgent pas entre eux; pour qu'à la violence on substitue la discussion; pour que les choses se passent comme dans les gouvernements libres. Il y a, en effet, des gouvernements libres de divers modèles : il Ꭹ en a en Angleterre, il y en a en Amérique; dans ces gou

VIII.

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vernements, on discute, on s'éclaire; si l'on réussit à prouver que ses adversaires ont tort, on les remplace aux premières élections. C'est là de la discussion et non de la violence; et c'est pour qu'il en soit ainsi qu'il y a des lois, qu'il y a une Constitution; car, s'il doit y avoir violence, à quoi bon les lois, à quoi bon la Constitution? Elles seraient inutiles, si la force brutale devait remplacer l'emploi de la raison.

Que font donc ceux qui attaquent le principe du gouvernement, c'est-à-dire qui, sous la monarchie, proposent la république, ou qui sous la république, proposent la monarchie? Que font-ils, sinon provoquer au renversement des gouvernements, sinon employer un moyen de violence au lieu d'employer un moyen de discussion?

Une Constitution serait une contradiction, un nonsens, si elle permettait qu'on pût contester son principe, si elle permettait qu'on pût la renverser. Mais la provocation à la guerre civile, et surtout à la plus redoutable des guerres civiles, à la guerre de classe à classe, celle qui rompt tous les liens sociaux, il serait insensé de la tolérer! Ce serait la plus ridicule de toutes les inconséquences qu'il n'y eût point de peines pour de telles provocations. Il n'y aurait pas de vernement qui pût résister à une telle inconséquence, et je vais vous pousser, sans aller bien loin, à une contradiction qui rendrait cela insupportable.

gou

N'avez-vous pas des lois qui punissent la rébellion? Admettriez-vous que ceux qui se révoltent, qui

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