Ce n'est pas sur les crédits demandés que pouvaient s'élever des discussions sérieuses, puisqu'il s'agissait de dépenses nécessaires, déjà même accomplies pour la plupart, mais c'est sur l'acte politique qui a occasionné ces dépenses, et sur les conséquences que cet acte a déjà eues et doit avoir encore. Aussi votre Commission me charge-t-elle de vous dire qu'elle n'a trouvé aucune observation à faire sur les dépenses ellesmêmes, qui ont été renfermées dans une sage économie, et dont, au surplus, vous aurez plus tard à juger la partie matérielle, en vous occupant de la loi des comptes. Seulement elle a voulu savoir si les crédits demandés seraient suffisants pour faire face à toutes les charges de notre expédition jusqu'au 31 décembre, et elle m'autorise à vous en donner l'assurance, après avoir pris, à ce sujet, les informations convenables. Je me hâte de vous entretenir de ce qui vous intéresse essentiellement ici, c'est-à-dire de notre expédition elle-même, de ses motifs, et surtout de ses conséquences, les unes déjà réalisées, les autres seulement en espérance. Ces conséquences sont-elles bonnes, honorables, conformes enfin au but qu'on se proposait? Que faut-il désirer encore pour qu'elles répondent aux intentions que vous avez eues, en ordonnant une expédition qui a présenté certaines difficultés militaires et de graves difficultés politiques? Tels sont les points que je vais, au nom de votre Commission, soumettre à un examen rapide. Lorsqu'il y a trois années, un noble pontife, si cruellement récompensé de ses intentions généreuses, a donné du haut du Vatican le signal des réformes politiques et sociales aux princes italiens, tous les hommes éclairés ont fait des voeux pour que l'Italie entrât avec prudence dans la voie qui lui était ouverte par Pie IX; qu'elle y marchât avec mesure et avec suite; qu'elle ne compromît pas encore une fois ses destinées par une imprudente précipitation; que, dans quelques-uns des États qui la composent, elle se contentât de réformes administratives, moyen de se préparer plus tard aux réformes politiques; que, dans les plus avancés d'entre eux, elle ne songeât pas à dépasser les limites de la monarchie représentative, dont elle était à peine capable de supporter les difficultés; que, dans tous, elle prit des habitudes de concorde et d'union, de manière à se procurer, à défaut de l'unité italienne, qu'il ne dépendait pas d'elle de se donner, les avantages d'une forte confédération; et que surtout elle ne tentât pas imprudemment une guerre d'indépendance, guerre intempestive, sans espérance pour elle, tant que l'Europe n'aurait pas le malheur d'être engagée dans une guerre générale; et enfin que, si cette guerre d'indépendance naissait de circonstances plus fortes que la volonté des hommes, tous les Italiens, unis à leurs gouvernements, renonçassent à de misérables discordes intérieures, pour accourir sur le Pô et sur l'Adige. Tels étaient, disons-nous, les voeux des hommes éclairés, amis de la vraie liberté, amis surtout de cette intéressante et belle Italie, qui est, pour tous les esprits élevés, une seconde patrie. Et ces vœux ne sont pas des vœux formés après coup, fruit d'une prudence tardive, qui ne s'éclaire qu'après les événements; mais ils ont été formulés à cette tribune, quand elle s'élevait dans une enceinte voisine, en présence d'un trône qui n'est plus, et quand nous étions tous pleins d'espérances à l'aspect d'un mouvement général, qui s'étendait de Naples à Berlin et à Vienne, et qui malheureusement, au lieu des bienfaits qu'il promettait, n'a donné que des tempêtes. Une faction désordonnée, qui a mis la satisfaction de ses passions bien au-dessus de l'intérêt vrai de sa cause, s'est emparée de l'Italie, et l'a précipitée dans un abîme. Partout elle a excité les peuples à demander des institutions sans rapport avec l'état des esprits et des mœurs; elle a poussé jusqu'à la forme républicaine des populations qui étaient, dans le moment, incapables de s'élever au-dessus des libertés municipales et provinciales. Elle a fait plus, elle a commis la faute qu'il fallait le plus redouter, celle qui devait tout perdre; elle a provoqué intempestivement la guerre de l'indépendance, et, cette faute commise, elle y a ajouté la faute plus grave encore, de tourner contre les gouvernements de l'Italie les bras des peuples italiens, qu'il fallait réunir exclusivement contre le redoutable ennemi qu'on avait si follement provoqué. La suite de ces fautes, vous la connaissez. L'Autriche, usant du droit incontestable de la guerre, a re conquis la Lombardie, envahi le Piémont, les duchés de Parme et de Modène, la Toscane, une partie des États romains. L'indépendance de l'Italie, loin d'avoir fait des progrès, a rétrogradé. Sa liberté n'a pas moins rétrogradé que son indépendance. Les Gouvernements, mal récompensés des concessions qu'ils avaient faites, n'ont pas été portés à les renouveler; les ennemis des réformes libérales ont trouvé dans les excès commis des arguments puissants; les hommes éclairés ont été découragés, et les masses, si dangereusement déchaînées, ont été ramenées par la force matérielle à une dure soumission. Cependant, au milieu de ce vaste naufrage, fallaitil désespérer entièrement? N'y avait-il pas quelques débris à recueillir? N'y avait-il pas à sauver quelquesunes des espérances conçues en 1847? N'y avait-il pas surtout quelques efforts à faire pour rétablir en Italie un équilibre sur lequel toutes les puissances ont le droit de veiller, et qui était rompu au profit de l'une d'elles, par la faute de ceux qui l'avaient attaquée? La France l'a pensé ainsi, et c'est là l'origine et la cause de son expédition à Rome, expédition qu'on ne peut bien juger qu'en remontant aux circonstances qui l'ont produite. L'Autriche, après la bataille de Novare, allait poursuivre les conséquences de sa victoire contre les États d'Italie qui lui avaient déclaré la guerre, et marcher sur Parme, Modène, Florence, Bologne et Rome. De déplorables désordres commis dans les États-Romains y donnaient plus qu'ailleurs prétexte à son intervention. Les puissances catholiques s'étaient réunies à Gaëte, pour concerter le rétablissement d'une autorité qui est nécessaire à l'univers chrétien. En effet, sans l'autorité du souverain pontife, l'unité catholique se dissoudrait; sans cette unité, le catholicisme périrait au milieu des sectes, et le monde moral, déjà si fortement ébranlé, serait bouleversé de fond en comble. Mais l'unité catholique, qui exige une certaine soumission religieuse de la part des nations chrétiennes, serait inacceptable, si le pontife qui en est le dépositaire n'était complètement indépendant; si, au milieu du territoire que les siècles lui ont assigné, que toutes les nations lui ont maintenu, un autre souverain, prince ou peuple, s'élevait pour lui dicter des lois. Pour le pontificat il n'y a d'indépendance que la souveraineté même. C'est là un intérêt du premier ordre, qui doit faire taire les intérêts particuliers des nations, comme dans un État l'intérêt public fait taire les intérêts individuels; et il autorisait suffisamment les puissances catholiques à rétablir Pie IX sur le siège pontifical. Une armée autrichienne étant prête à se rendre à Rome, soit pour user du droit de la guerre, soit pour satisfaire au vœu des nations catholiques, la question s'est élevée de savoir si la France devait se prêter à ce que l'Autriche poussât son invasion jusqu'à Rome, et dominât ainsi moralement et matériellement presque toute l'Italie. Il n'y avait que deux moyens de l'en |