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CLIX

DISCOURS

SUR

L'INSTRUCTION PUBLIQUE

(DISCUSSION GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI)

PRONONCÉ LE 18 JANVIER 1850

A L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

L'article 9 de la Constitution du 4 novembre 1848 portait que l'enseignement est libre, en ajoutant, toutefois, que la liberté de l'enseignement s'exerce selon les conditions de moralité et de capacité déterminées par la loi, sous la surveillance de l'État, et que cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement, sans aucune exception.

En vue de se conformer à ces prescriptions constitutionnelles, M. de Falloux, ministre de l'instruction publique, avait réuni, sous la présidence de M. Thiers, une commission dont faisaient partie des membres éminents de l'Université, MM. Cousin, Saint-Marc Girardin, Dubois de la Loire-Inférieure; plusieurs membres du clergé, MM. Dupanloup, Sibour; des notabilités parlementaires, MM. de Montalembert, de Corcelle, Freslon, etc., etc., et des délibérations de cette commission était sorti un projet de loi que le ministre avait déposé le 8 juin 1849 sur le bureau de l'Assemblée législative. Ce projet de loi instituait d'abord un conseil supérieur de

VIII.

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l'instruction publique composé de 24 membres dont la double mission était, disait l'exposé des motifs, d'assurer l'indépendance de l'enseignement libre et de maintenir celui de l'État en harmonie avec les traditions de l'esprit national qui avaient fait, siècle par siècle, la grandeur et l'unité de la France. L'Université, le clergé, la magistrature, l'enseignement libre, devaient être représentés dans ce conseil, et, en outre, dans chaque chef-lieu de département devait être organisé un conseil académique composé d'éléments de même nature et chargé d'exercer une surveillance et une action plus directes sur l'enseignement local. Quant à l'inspection des établissements publics ou privés prescrite par la Constitution, elle devait être faite par des inspecteurs généraux de l'instruction publique, des inspecteurs d'académie, des inspecteurs d'instruction primaire, et par les délégués des conseils académiques départementaux. Après avoir ainsi établi l'autorité et la surveillance de l'État, le projet de loi réglait les conditions de l'enseignement primaire et reconnaissait le droit d'exercer les fonctions d'instituteur public ou libre à tout individu âgé de vingt et un ans, muni du brevet de capacité et n'ayant pas subi de condamnation le rendant indigne de professer, à la condition de déclarer, au préalable, le lieu et le local où il entendait enseigner. En ce qui concernait l'enseignement secondaire, cet enseignement pouvait être également donné par tout Français âgé de vingt-cinq ans, n'ayant subi aucune condamnation le rendant indigne de professer, à la condition d'être pourvu du diplôme de bachelier ou du brevet de capacité délivré par un jury de l'État, ou bien encore de justifier qu'il avait rempli pendant cinq ans les fonctions de professeur ou de surveillant dans un établissement d'instruction secondaire public ou privé. Mais le projet de loi ne contenait aucune disposition relative à l'enseignement supérieur, et le ministre, en faisant connaître dans l'exposé

des motifs que le temps lui avait manqué pour s'occuper de cette grave matière, ajoutait qu'il la soumettrait prochainement à l'étude d'une commission spéciale.

La commission parlementaire à laquelle fut renvoyé l'examen préalable du projet de loi choisit pour son président M. Thiers, et pour rapporteur M. Beugnot. A part diverses dispositions de détail, elle adopta dans son principe ce projet, qui, en n'excluant du droit d'enseigner que les personnes non pourvues du brevet d'aptitude ou frappées d'indignité par des condamnations judiciaires, en tolérait implicitement l'exercice par les membres des congrégations religieuses non autorisées. Après avoir rappelé dans son rapport les vifs débats qui avaient eu lieu à ce sujet quelques années auparavant, M. Beugnot ajoutait : « La conciliation. si longtemps et si ardemment poursuivie est devenue possible aujourd'hui. Les événements dont la France a été le théâtre dans ces derniers temps ont plus contribué à éclairer et à calmer sur ce point les esprits, à modérer les désirs, à rapprocher les personnes, que les plus savantes discussions n'auraient pu le faire... Quand un désordre moral dont nul ne pressentait la profondeur s'est révélé au milieu de nous, alors tous les hommes sages, tous les amis sincères de la patrie ont compris qu'il ne s'agissait plus de savoir par qui et dans quelle mesure le bien se ferait, mais qu'il fallait recueillir toutes les forces morales du pays, s'unir intimement les uns aux autres pour combattre et terrasser l'ennemi commun qui, victorieux, ne ferait grâce à personne. »>

La discussion générale fut ouverte par un discours de M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui soutint que le droit de l'individu et celui du père de famille étaient primés par le droit supérieur de l'État, lequel avait pour devoir de veiller à ce que la jeunesse ne reçût pas une instruction dont le résultat serait de compromettre les traditions nationales et l'avenir du pays. Or, en introduisant dans les cadres du

conseil supérieur et des conseils académiques des éléments absolument hostiles à l'Université ainsi qu'à l'autorité de l'État, et avec le silence gardé au sujet des congrégations religieuses non reconnues, le projet de loi livrait à ces congrégations, et spécialement à celle des Jésuites, l'éducation de la jeunesse. Les générations nouvelles seraient ainsi élevées dans la haine des institutions libres, et, au lieu de la conciliation et du calme que les partisans du projet de loi prétendaient établir, c'étaient des divisions, des orages et des bouleversements qu'on préparait.

Cette thèse, combattue au nom de la liberté et de la religion par MM. de Montalembert, Poujoulat, Parisis, fut défendue par MM. Victor Hugo et Crémieux, et c'est après le discours de ce dernier que M. Thiers prit la parole pour appuyer le projet de loi.

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Messieurs,

Depuis que cette grande question est engagée devant vous, vous avez entendu, de part et d'autre, d'excellentes choses; je n'ai aucune peine à en convenir. Cependant je voudrais que la loi vous fût connue ; et, Dieu me préserve de rien vouloir dire de désobligeant pour ceux qui m'ont précédé à cette tribune, il me semble que la loi, vous ne la connaissez pas encore, bien que sans doute vous l'ayez lue. La matière en elle-même est si abstraite, l'organisation de l'enseignement en France est tellement

compliquée, que la simple lecture de la loi ne suffit pas pour la connaître. Il faut que tous les textes soient mis en rapport, que la loi soit expliquée, pour que vous en ayez une idée claire. C'est le seul genre de service que je voudrais rendre à la discussion, et pour cela j'aurais besoin d'avoir toutes mes forces; malheureusement je ne les ai pas. Si vous voulez bien me seconder de votre attention et de votre silence, peut-être arriverai-je au but, qui seul me donne la force de monter à cette tribune; c'est de vous faire comprendre la loi.

Elle a été l'ouvrage de deux commissions: la première, formée administrativement auprès de M. le ministre de l'instruction publique; la seconde, formée dans votre sein pour examiner le travail de la première. J'ai eu l'honneur de présider ces deux commissions. Je suis donc, je le crois, bien placé pour vous indiquer l'esprit dans lequel elles ont travaillé. On vous l'a dit avec vérité, c'est un esprit de transaction ou, si on l'aime mieux, de conciliation.

Le propre de toutes les transactions, c'est de blesser les partis extrêmes, c'est d'exciter chez les uns et les autres de vives réclamations, et puis, si elles sont bien faites, de satisfaire sans bruit, paisiblement, les deux intérêts sérieux qui étaient engagés dans la lutte.

La transaction que nous vous proposons certainement réuni la première condition: elle a excité de part et d'autre des plaintes très vives, très vives de ce côté, dans l'Assemblée (l'orateur désigne la gauche),

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