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Messieurs,

Vous avez choisi dans votre sein une commission de trente membres, à laquelle doivent être adressées toutes les propositions relatives à l'assistance publique, soit que ces propositions naissent de votre initiative, soit qu'elles émanent de celle du gouvernement. Votre intention a été de ramener à un centre commun tous les travaux qui ont pour but d'améliorer la condition des classes ouvrières, d'éviter ainsi les efforts divergents, et de rattacher à un ensemble bien conçu, d'accord dans toutes ses parties, les institutions de bienfaisance déjà créées ou restant à créer. Pénétrée de la pensée qui avait présidé à sa formation, la Commission, dont j'ai l'honneur d'être aujourd'hui le rapporteur, a voulu d'abord envisager d'un point de vue général l'œuvre si vaste que vous lui aviez imposée. Elle a cru qu'elle ne remplirait ni votre intention ni sa mission véritable, si elle se bornait à examiner isolément telle ou telle proposition de loi, qui lui serait renvoyée, ou qui naîtrait dans son propre sein, et qu'elle devait, au contraire, examiner sous tous ses rapports l'importante question de la bienfaisance publique, rechercher quels étaient, dans une société chrétienne et civilisée, les moyens vrais, sérieux, durables, et non chimériques, de venir au secours des classes pauvres, de leur faciliter le

travail, de leur alléger la souffrance, de réaliser en fin cette fraternité si souvent annoncée, mais toujours d'autant moins pratiquée qu'elle a été plus fastueusement promise.

La tâche de votre Commission, ainsi considérée, s'agrandissait singulièrement, et avait même de quoi intimider les esprits les plus hardis. Toutefois, devant les devoirs que la Constitution, que la situation du pays, que votre propre humanité vous imposent, il fallait ne reculer devant aucune difficulté, et votre Commission, prenant, soit dans les créations du passé, soit dans les inventions du jour, l'exemple des diverses manières d'aider le travail, de diminuer la misère, les a soumises toutes à un examen préalable, et approfondi quoique préalable, pour choisir entre celles qui lui paraîtraient sensées, fécondes en résultats, conformes aux vrais principes sociaux, compatibles avec le bon état des finances, et celles, au contraire, qui lui sembleraient chimériques, ruineuses, antisociales, stériles enfin parce qu'elles seraient impraticables. Cette séparation entre le vrai et le faux, le possible et l'impossible, exigeait, outre un sentiment d'humanité très sincère, une solide connaissance des principes sociaux, et votre Commission a employé tout ce qu'elle avait de lumières, consacré tout ce qu'elle pouvait donner d'attention, à remplir sa difficile tâche. Elle a passé en revue, nous osons le dire, l'organisation sociale tout entière; elle a parcouru la longue et douloureuse chaîne des misères humaines,

pour chercher les moyens légitimes et efficaces de secourir le peuple et d'améliorer son sort. Elle a ainsi, par un examen général, déclaré quels étaient, à ses yeux, les moyens 'admissibles, et ceux qu'elle ne jugeait pas tels. Elle a rangé dans les moyens admissibles, non seulement ceux qu'elle considérait comme . incontestablement bons et praticables, mais ceux même qui n'étaient que spécieux, pourvu qu'ils ne présentassent pas un caractère antisocial, attentatoire à la liberté, à la propriété, à la richesse publique. Une fois reconnus bons ou seulement spécieux, elle les a renvoyés à des sous-commissions, pour les examiner en détail, pour en proposer l'amélioration, s'ils étaient déjà employés par la bienfaisance humaine, qui heureusement n'est pas d'hier, ou en proposer l'introduction, s'ils n'avaient pas encore été mis en pratique. Quant à ceux qu'elle a reconnus inadmissibles, soit qu'ils fussent innocemment ou astucieusement chimériques, elle les a condamnés d'une manière formelle, comme faux, indignes d'être essayés dans un pays moral et libre. Votre Commission a ensuite entrepris l'œuvre difficile de coordonner entre eux, de ramener à un ensemble commun, les moyens qu'elle considérait comme admissibles, après vous en avoir proposé soit l'amélioration, soit l'introduction, selon qu'ils seraient anciens ou nouveaux. C'est à quoi elle travaille depuis que son examen général est achevé! Mais elle a pensé que, pendant qu'elle serait livrée avec application et patience à une œuvre de détail, nécessairement

longue, elle devait ne pas vous laisser dans l'ignorance de ses travaux, et vous faire connaître les principes qui l'avaient guidée, l'ensemble qu'elle avait conçu, afin que vous pussiez ou l'encourager par votre approbation si vous partagez sa manière de voir, ou la redresser si elle s'est méprise en quelques points seulement, ou l'arrêter sur-le-champ si vous jugez qu'elle se soit radicalement trompée. C'est un architecte qui vous soumet son plan avant que vous en décidiez l'adoption. Si le plan est bon, il faut l'adopter; s'il n'est que défectueux en quelque partie, il faut le rectifier; il faut le condamner tout à fait s'il est mauvais. C'est ce jugement, Messieurs, que la Commission m'a chargé de venir solliciter auprès de vous. D'autres rapporteurs viendront vous soumettre chaque question particulière; je suis chargé, quant à moi, de vous soumettre la question générale. C'est ce que je vais essayer de faire le plus brièvement qu'il me sera possible.

PRINCIPES GÉNÉRAUX.

Pour s'entendre il importe, dans la matière qui nous occupe comme dans toute autre, de poser quelques principes généraux, et de les poser solidement.

Ce qu'on appelle aujourd'hui l'assistance, et ce que, dans tous les temps, on a nommé la bienfaisance, est assurément la plus belle, la plus noble, la plus

attachante des vertus, tant de l'homme que de la société. De même que l'individu ne saurait trop s'y livrer, l'État non plus ne saurait trop la pratiquer. Mais il y a cette différence entre l'un et l'autre, que l'individu agit avec ses propres deniers, et que l'État, au contraire, agit avec les deniers de tous, avec ceux du pauvre comme avec ceux du riche, et que, si pour l'individu il n'y a d'autre conseil à suivre que celui de donner le plus possible, pour l'État, au contraire, il faut recourir aux principes de la justice distributive, et examiner si, en donnant aux uns, il ne prend pas aux autres, si, en un mot, il ne manque pas aux règles d'une bonne et équitable administration. Si donc il n'y a d'autre limite à poser à la bienfaisance de l'individu que son propre penchant à faire le bien, pour l'État il y a des limites précises à tracer, et ces limites il faut les chercher dans les principes de la justice et de la raison. Ce sont ceux que nous allons essayer d'établir ici.

Le principe fondamental de toute société, c'est que chaque homme est chargé de pourvoir lui-même à ses besoins et à ceux de sa famille, par ses ressources acquises ou transmises. Sans ce principe toute activité cesserait dans une société; car, si l'homme pouvait compter sur un autre travail que le sien pour subsister, il s'en reposerait volontiers sur autrui des soins et des difficultés de la vie. Dans les pays où des couvents trop nombreux multipliaient l'aumône, comme autrefois en Espagne, la charité exercée sans

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