Slike stranica
PDF
ePub

mais que, lorsqu'il n'avait pu y parvenir, il était aussi du devoir de l'État de le recueillir, de l'occuper dans des travaux d'utilité publique, et que l'exercice de ce droit devait être l'objet de mesures législatives. Le droit au travail, il ne fallait pas se le dissimuler, était un droit parallèle au droit de propriété, et l'un était la condition sine qua non de l'autre; l'homme, en effet, ne pouvait devenir propriétaire que par le travail. Or nier le droit au travail amenait forcément à nier le droit à la propriété, et l'on arrivait ainsi au communisme. Aussi le moyen le plus efficace de combattre cette dernière doctrine était-il, en proclamant le droit au travail, de bien constater aux yeux de tous que la propriété n'était plus un privilège de quelques-uns, et que chacun, en usant du droit qui lui était reconnu, pouvait y aspirer à son tour. D'ailleurs, ajoutait M. Mathieu (de la Drôme), la reconnaissance de ce droit ne pouvait imposer de charge onéreuse à l'État, parce que l'ouvrier produisant en moyenne le double de sa consommation, l'État retirerait toujours un profit de son travail, et, en résumé, outre que la mise en application de ce droit serait productive pour lui, elle était un remède certain contre le communisme.

Cette thèse, combattue par MM. de Tocqueville et Duvergier de Hauranne, fut vivement défendue par Ledru-Rollin, qui demanda l'inscription du droit au travail dans la constitution comme un gage de sécurité, et prédit, si elle n'avait pas lieu, de lamentables déchirements pour la république. M. Thiers intervint à son tour au débat et prononça le discours suivant, éloquent plaidoyer contre toutes les fausses et folles doctrines qui avaient cours alors.

Citoyens représentants,

Je viens, à mon tour, user du droit dont vous usez tous, de contribuer à la constitution qui doit régler les destinées de notre pays. Mes amis et moi nous attachons à cette constitution une sérieuse importance. Nous n'avons pas fait, nous n'avons pas désiré la république nous l'acceptons. (Agitation.)

Mes amis et moi, nous attachons, dis-je, une sérieuse importance à cette constitution. Nous n'avons pas désiré, nous n'avons pas fait la république, mais nous l'acceptons loyalement, sincèrement. Pour tout homme de bon sens, pour tout honnête homme, le gouvernement légal du pays est toujours digne de ses respects. Nous n'avons jamais conspiré, nous ne conspirerons jamais. (Très bien! Très bien !)

Nous n'avons ni flatté ni trahi la royauté, nous ne flatterons ni ne trahirons la République. (Nouvelles marques d'approbation.) Nous lui dirons la vérité. Nous avons trouvé quelquefois des difficultés à la dire, à la faire entendre; ces difficultés ne nous ont jamais découragés, elles ne nous décourageront pas davantage encore.

La forme avec laquelle nous cherchions à faire le bien est brisée; ce bien, nous persisterons à le poursuivre sous la forme actuelle, comme sous la précédente.

Nous avons, dans tous les temps, désiré la liberté,

non pas celle des factions, mais celle qui consiste à placer les affaires publiques à l'abri de la double influence et des cours et des rues. Nous avons désiré la bonne administration des finances, la grandeur du pays, une politique nationale; nous poursuivrons tout cela dans l'avenir comme dans le passé. (Sensation.)

Maintenant, Messieurs, qu'il s'agit d'une des questions les plus graves, les plus essentielles pour l'avenir de la nouvelle république, celle du travail, nous vous demandons de vous dire la vérité en toute sincérité, car jamais, sur aucun sujet, vous n'avez eu autant besoin de l'entendre. (Mouvement.)

S'il s'agissait d'une simple question d'économie politique, je ne monterais point à cette tribune. Tous les jours j'entends une nouvelle économie politique, bien fière d'elle-même, accuser l'ancienne économie politique, la traiter avec amertume et mépris. S'il ne s'agissait que d'une pareille querelle, je ne prendrais pas aujourd'hui la parole. Je ne suis ni professeur ni disciple de l'ancienne économie politique. Je la respecte comme une science consciencieuse, honnête, qui n'a jamais cherché à tromper le peuple, qui n'est pas responsable du sang qui a coulé; mais, je le répète, je ne suis pas un de ses adeptes.

Il s'agit, non pas d'une question de tarif, mais d'une question sociale, politique, philosophique, métaphysique, d'une question qui a tous ces caractères à la fois il ne faut lui en refuser aucun, car elle les a tous.

Je vous demande de la traiter, autant du moins qu'il est permis de le faire devant une assemblée nombreuse et avec des forces insuffisantes, de la traiter franchement, complètement, clairement, si je le puis, car jamais il n'a été plus important de s'entendre, de savoir sur quoi l'on est d'accord et sur quoi l'on diffère.

On dit : Le peuple souffre. Oui, Messieurs; il faudrait être bien barbare, bien cruel pour le méconnaître. Mais je m'adresse à cette science nouvelle, si orgueilleuse et si assurée de son savoir. Le peuple souffre, lui dirai-je; qu'avez-vous trouvé pour le soulager? Si vous avez autre chose que des généralités dangereuses et funestes, si vous avez un secret, un moyen pratique, vous seriez coupables de ne pas l'apporter à cette tribune, et nous vous écouterons, toutes les fois surtout que, sans ébranler les principes sociaux, sans nous montrer une malveillance qui a droit de nous blesser, vous viendrez ici nous parler humainement, sensément; nous vous écouterons, dis-je; l'orateur qui descend de cette tribune en est la preuve. Mais moi, au nom de la société en péril, je viens vous demander quels sont vos remèdes. Vous accusez l'ancienne économie politique, les anciens hommes d'État, de n'avoir pas amélioré le sort du peuple. Je vous réplique en vous adressant toujours la même question Quels sont vos moyens? Voilà l'interrogation que je vous adresserai sans cesse. Il y a cinq mois que nous sommes réunis en assemblée : quant à moi,

:

je n'ai cessé d'écouter les hommes qui passaient pour apporter ici des idées nouvelles; je les ai écoutés, nous les avons tous écoutés. Eh bien, je le dis en toute humilité, ou mon intelligence m'a fait défaut, ou ils n'ont rien apporté de nouveau, rien de sérieux, rien que des hommes pratiques puissent regarder comme un remède véritable aux maux dont on se plaint. Je vous adresserai done toujours cette question: Vos moyens ?

Il n'y a rien de plus dangereux, au lendemain d'une révolution à la suite de laquelle le peuple, dont vous voulez améliorer le sort, mais dont vous flattez aussi les passions, s'est emparé du pouvoir, il n'y a rien de plus dangereux que de lui dire qu'il y a quelque part un bien, un bien que de méchants détenteurs retiennent dans leurs mains et ne veulent pas lui accorder; il n'y a, dis-je, rien de plus dangereux. Il faut donc, et c'est un devoir pour tous, il faut être clair, positif, et, si l'on a des moyens, les apporter à cette tribune. Eh bien, je viens, non pas au nom de l'ancienne économie politique, dont, je le répète, je ne suis point l'adepte, je viens, au nom de quelque chose de plus sacré, au nom de la société, vous demander compte des ressources que vous avez préparées pour améliorer le sort du peuple. Mais avant, je vais vous exposer, le plus brièvement que je pourrai, les principes essentiels sur lesquels, non pas la société d'hier, non pas la société de tel ou tel pays, mais la société de tous les pays et de tous les temps, a reposé.

« PrethodnaNastavi »