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M. LE PRÉSIDENT. - N'interrompez pas !

M. THIERS. Quoique je regarde l'Université comme une grande institution, naturelle à notre pays, quoiqu'elle ne mérite pas beaucoup des reproches qu'on lui adresse, je ne puis pas partager votre idolâtrie; elle a des torts, je dirai lesquels. Vous allez en juger.

Il y a trois rapports essentiels sous lesquels il faut envisager les établissements d'éducation et d'instruction publique la moralité de l'enseignement, l'esprit religieux et le degré d'instruction qu'on y distribue.

Eh bien, quels sont les mérites et les torts de l'Université sous ces divers rapports? Quels sont les mérites et les torts des établissements de l'État, des collèges de l'État? Voilà ce que j'entends par l'Université, dont je vais vous dire quels sont, selon moi, les mérites et les torts.

J'ai été mêlé à ces questions de l'enseignement comme membre des assemblées. J'ai été membre de plusieurs commissions, j'ai recherché les faits avec la plus sérieuse attention. Eh bien, après avoir entendu les hommes les plus compétents de l'Université, de l'enseignement libre, du clergé, après avoir visité beaucoup d'établissements moi-même, et me rappelant tout ce que j'avais vu, car je suis un fils de cette Université, voici ce que j'ai cru reconnaître : il m'a semblé que, sous le rapport de la moralité, de l'instruction

religieuse, de l'esprit religieux et de l'instruction littéraire, on a été injuste pour elle. Je l'ai dit; non pas que tout soit bien; mais on a été injuste, je le sais. Je vais maintenant vous dire sous quel rapport tout n'est pas bien. Je n'entends pas parler de l'imperfection inévitable des institutions humaines, mais d'une autre imperfection qui entraîne responsabilité et modification.

Nous avons, dans la commission de 1844, voulu nous faire une idée exacte de la manière dont tous les établissements d'enseignement étaient surveillés. Nous avons trouvé que, sous quelques rapports, la surveillance n'était peut-être pas, dans les établissements de l'État, aussi immédiate, aussi paternelle que dans les établissements d'instruction privée; par exemple, qu'il y avait moins de soins. Nous avons trouvé que les établissements du clergé avaient une supériorité très grande quant aux maitres d'étude. Vous savez comme moi que les maîtres d'étude accusent une infériorité fâcheuse et regrettable dans les établissements de l'État. Nous avons découvert cela; et cependant, voulant juger par les résultats, nous nous sommes procuré un document que je dois vous faire connaître et qui nous a beaucoup éclairés. Il n'est pas permis, il est coupable, de regarder dans la correspondance des citoyens qui ont leur majorité; mais la correspondance des mineurs, que leur famille confie à des maîtres pour les bien surveiller, cette correspondance appartient à leurs maîtres; on nous l'a

produite, et c'était certainement le document le plus curieux qu'on pût mettre sous les yeux des membres d'une assemblée qui avait titre pour entrer même dans le secret des cœurs.

Quant à l'infériorité sous le rapport de la moralité, je ne veux jeter ce grand reproche à la tête d'aucun établissement; je crois pouvoir affirmer que l'infériorité n'était pas pour les établissements de l'État; je

le déclare ici en conscience et en sincérité.

Quant à l'esprit religieux, il est vrai que, dans l'Université, bien qu'il y ait un soin, qu'on ne peut pas désirer peut-être plus grand, à veiller à la pratique des devoirs religieux, il y a peut-être moins de pratiques religieuses que dans les institutions tenues par des ecclésiastiques. (Hilarité à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. — Ne riez donc pas dans un pareil sujet.

M. BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE, à demi-voix.

dit le contraire dans son rapport.

Il a

M. THIERS. Attendez! Vous dites, monsieur Saint-Hilaire, que j'ai dit le contraire. Vous allez voir que non, si vous voulez bien m'écouter jusqu'au bout. M. BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Thiers, tandis que moi, on m'a interrompu hier bien souvent.

Un membre à gauche. M. Thiers a interrompu hier cinquante fois.

M. DELEBECQUE. - Il a interrompu vingt-cinq fois au moins. (On rit.)

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Voix à droite. Il n'y a pas progrès; c'est déjà un peu moins.

M. THIERS. Je ne me plains pas de l'interruption. J'ai recueilli seulement un mot de M. Saint-Hilaire, et je me hâte de lui dire qu'il verra tout à l'heure que je ne suis pas en contradiction avec moi-même. Je ne change pas les faits. Je dis bien que, dans les établissements de l'État, il y avait moins de pratiques religieuses, c'est vrai; mais je ne suis pas convaincu que le résultat soit de produire des esprits moins religieux. Si vous m'aviez laissé achever, vous vous seriez abstenu de l'interruption.

Le collège peut quelque chose sur la jeunesse ; il peut moins, beaucoup moins que la famille. (Marques d'assentiment.) De quelque manière qu'on s'y prenne, on fera difficilement une génération autre que la société au milieu de laquelle elle est placée. (Nouvelles marques d'assentiment.)

Eh bien, j'ai cru remarquer, au contraire, qu'un des moyens les plus certains d'amener la jeunesse à l'esprit religieux, c'est de respecter beaucoup sa liberté sous ce rapport. Je crois que des établissements religieux, qui se proposeraient pour but de vouloir insister trop sous ce rapport, produiraient peut-être dans la jeunesse, au moment où elle sort du collège, une réaction qui ne serait pas favorable à l'esprit religieux. Si l'on traite l'enfant en homme libre, de quelque manière qu'on s'y prenne, on fera la société du temps actuel, qui n'est pas la

société railleuse, incrédule, du xvшe siècle, qui n'est pas davantage la grande et belle société croyante et héroïque du siècle de Louis XIV. Et, je le déclare tout de suite, j'ai, dès mon plus jeune âge, préféré cette société de Louis XIV à celle du XVIIIe siècle; non pas que je désavoue l'admiration que j'ai toujours eue pour les grands génies du xvIIIe siècle; non pas que la révolution de février, qui a produit tant de changements dans les esprits, et qui a tant éloigné la France, presque tout entière peut-être, de beaucoup d'idées libérales, philosophiques même, qui étaient en elle, non pas que cette révolution ait bouleversé mon esprit jusqu'à diminuer la grande estime que j'ai pour des hommes tels que Voltaire, Buffon, Montesquieu; non! mais j'aime mieux une grande société qui a sa voie tracée devant elle, qui y marche nettement, sans ambages, sans doutes, sans ces discussions malheureuses qui affaiblissent et appauvrissent les esprits; cette société héroïque, savante, qui nous donnait la bataille des Dunes, la bataille de Rocroy et Athalie; j'aime mieux cette société... (Interruptions diverses.) A gauche. Et les maîtresses de Louis XIV! (Bruit.)

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M. THIERS. Je vous prie de remarquer que la société de Louis XV, que la société de Louis XIV, étaient deux sociétés monarchiques; que, par conséquent, je ne préfère pas une monarchie à une république, je choisis entre deux monarchies. Eh bien, j'aime mieux l'état des esprits sous Louis XIV que

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