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Je placerai en regard de ces principes éternels ce que depuis quelques années, ce que depuis six mois, on a imaginé pour faire marcher la société humaine, et nous jugerons le sérieux, la fécondité des moyens anciens et des moyens nouveaux.

La vieille société, car ce n'est que pour elle que je parle, et quand je dis la vieille société, ce n'est pas, je le répète, la société aristocratique de telle ou telle époque, celle qui se caractérisait par les droits féodaux d'autrefois, celle qui se caractérisait par les 300,000 électeurs de la monarchie renversée. Je parle de la société de tous les temps. Eh bien, cette société éternelle, sur quels principes a-t-elle toujours reposé? Sur trois principes: la propriété, la liberté, la concurrence. Permettez-moi de vous les expliquer en peu de mots.

La propriété... Je ne viens pas, Messieurs, apporter à cette tribune un livre que j'ai fait sur ce sujet... j'en serais tenté peut-être..... (Les regards se portent sur le banc où siège M. Pierre Leroux. — On rit.) Mais je ne toucherai que les points essentiels des choses.

On recherche quel est le principe de la propriété. Suivant moi, ce principe c'est le travail : l'homme, sans le travail, est le plus misérable des êtres. Il a été grandement doué; mais, avant d'avoir exercé les facultés puissantes que Dieu lui a données, il est le plus dépourvu de tous les êtres; il ne devient quelque chose que par le travail. La société est, comme lui, misé

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rable sans le travail. Eh bien, la nature, la société, lui ont dit Travaille, travaille ! et tu seras assuré de conserver le fruit de ton travail. Voilà le principe vrai, essentiel, de la propriété. Travaille, lui dit la société, travaille, et tu seras assuré de conserver le fruit de ton travail !

Quand elle lui a dit cela, elle lui a donné un stimulant puissant.

Toutefois ce stimulant, quoique puissant, aurait été borné, et elle a ajouté Travaille, travaille, et le produit de ton travail sera pour toi et tes enfants! Et alors son ardeur est infatigable, il travaille jusqu'au dernier jour de sa vie; il a toujours un but à son ardeur. (Très bien! Très bien!)

Voilà le principe. (Interruption.)

Je ne puis pas traiter toutes les questions à la fois; bientôt j'arriverai à ce qui vous préoccupe. Par la propriété personnelle, le stimulant, dis-je, est puissant; par la propriété héréditaire, il devient infini!

Maintenant la société a fait cela pour son intérêt, pour l'intérêt de tous, pour l'intérêt de l'individu comme pour l'intérêt de l'espèce humaine tout entière, et, de même qu'elle dit : La liberté est un droit, elle dit avec le même fondement: La propriété est un droit.

Sur quoi, en effet, vous fondez-vous pour prétendre que la liberté est un droit? Sur l'observation de la nature humaine, sur l'observation des faits. Vous voyez un homme doué d'intelligence; vous voyez cette

intelligence, s'il n'est pas libre, s'abaisser, s'affaiblir disparaître. Si, au contraire, elle est plus forte que la tyrannie qui pèse sur lui, cette intelligence se révolte, elle arrive aux séditions; et, après avoir vu ainsi l'homme s'abaisser quand il est opprimé, quelquefois même se révolter, vous dites: L'homme doit être libre.

Après avoir observé la société, après avoir vu que, sans le travail, elle reste misérable, vous êtes fondé à dire: La propriété est un droit, comme vous avez dit : La liberté est un droit.

On cherche si l'origine de ce droit est humaine ou divine. Question de mots! Ceux qui croient que cet univers est l'œuvre d'un Être suprême doivent dire sans hésiter qu'elle est à la fois humaine et divine.

Voici comment il faut entendre le droit de propriété, pour le rendre essentiellement respectable. Ce droit n'est pas de ceux qui passent, de ceux qui sont quelquefois admis dans une société et méconnus dans une autre, non. C'est un droit tellement inhérent à la nature humaine, tellement essentiel à la société, qu'il est dans tous les états dans l'état sauvage, dans l'état barbare, dans l'état de demi-civilisation, dans l'état de civilisation complète. Il est partout, parce qu'il est dans la nature humaine, et, à ce titre-là, on est fondé à dire qu'il est divin. Mais qu'importe l'expression qu'on emploie? Il est partout, et cela suffit. S'il y avait des législateurs assez insensés pour ne pas l'écrire dans leurs lois : O législateurs d'un jour, leur

VIII.

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dirais-je, l'avenir bafouera votre ouvrage; vos lois passeront, il n'y aura d'éternel que votre ignominie! (Approbation.)

M. de Lamartine vous le disait ces jours derniers : quand on parcourt tous les pays, on est frappé de ce fait, c'est que la prospérité y est proportionnée au respect que la propriété y obtient. Remontez au moyen âge, allez en Orient, qui est la société du moyen âge vivante encore qu'y trouvez-vous? La prospérité toujours proportionnée au degré de respect que la propriété a obtenu.

Vous y voyez ceci, par exemple : la terre négligée, parce qu'elle est la plus exposée à la rapacité du despotisme, et le plus souvent abandonnée à des mains esclaves; le commerce préféré, parce qu'il peut plus facilement se soustraire à la tyrannie; dans le commerce, les valeurs mobilières, telles que l'or, l'argent, préférées aussi parce qu'elles sont faciles à cacher. Vous y voyez ces valeurs passer aux mains d'une race proscrite; vous y voyez cette race se venger, quand on veut lui enlever ses trésors qu'elle cache, se venger, savez-vous par quel moyen? Par l'usure.

Au contraire, que la propriété soit respectée, et toutes les valeurs sont reportées à leur taux naturel; la terre reprend l'importance qu'elle doit avoir dans le commerce; ce n'est plus telle ou telle industrie qui est préférée, elles sont toutes, suivant leur importance, également pratiquées; l'argent ne coûte plus ce qu'il coûtait, l'intérêt baisse, et cette race proscrite, reve

nue à la dignité naturelle, est l'égale de toutes les

autres.

Qui est-ce qui a fait tout cela? Le respect de la propriété.

Et lorsque les Turcs sont venus ici demander des conseils à la civilisation, que leur a-t-on dit? De proclamer pour premier principe, dans la charte de Gulhané, la propriété. Voilà le premier principe de la société; sans lui, point de sécurité, point de travail, point de civilisation!

Le second principe sur lequel la vieille société a toujours reposé, c'est la liberté; et par la liberté (permettez-moi de faire une distinction nécessaire ici), je n'entends pas la liberté politique, j'entends la liberté sociale, celle qui consiste à disposer de ses facultés comme on l'entend, à se choisir une carrière, à se consacrer à la terre, au tissage, à la métallurgie, en un mot, à choisir sa profession. La vieille société dit à l'homme Tu es libre; travaille, travaille à tes risques et périls; selon que tu travailleras avec plus ou moins d'application, avec plus ou moins d'habileté, tu seras riche ou pauvre; ta destinée dépend de toi. La société lui impose des lois, sans doute; elle lui enseigne quelles doivent être les règles des contrats, elle lui trace même les conditions de la société politique; mais elle lui répète : C'est à tes risques et périls que tu travailles; tu es libre, tu seras heureux ou malheureux, riche ou pauvre, selon ta conduite. - Et qu'arrive-t-il? Il arrive qu'en effet, chacun ayant

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