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seignement. Ce qu'on appelle l'enseignement supérieur étant considéré, en général, comme l'enseignement le plus élevé, il semble que l'enseignement de la philosophie, qui est une science abstraite, profonde, difficile, féconde en contestations redoutables, il semble, à quelques esprits au moins, que cet enseignement serait plus naturellement placé dans ce qu'on appelle l'enseignement supérieur.

Eh bien, cela tient à une erreur l'enseignement qu'on appelle supérieur en France serait plus exactement défini si on l'appelait l'enseignement spécial. Ainsi, lorsque les jeunes gens, après avoir, dans les écoles secondaires, appris tout ce qui doit composer le savoir de l'homme éclairé, veulent se destiner à telle ou telle carrière, à la magistrature, à l'armée, aux travaux publics, on les envoie dans des écoles spéciales, où on leur apprend des choses plus élevées que celles qu'on enseigne dans l'enseignement secondaire, mais on leur apprend spécialement certaines choses. Dans les écoles de droit, on apprend spécialement les lois; à Saint-Cyr, à Metz, on apprend spécialement la science militaire; dans les écoles de médecine, on apprend spécialement la médecine; dans les écoles de théologie, on apprend spécialement la science des choses religieuses. Mais, dans l'enseignement secondaire, on doit apprendre tout ce qui compose le savoir de l'homme éclairé chez les nations civilisées.

Eh bien, je vous le demande, croiriez-vous que la

jeunesse, en France, aurait appris tout ce qu'elle doit savoir, si, en sortant des collèges de l'État, elle ne savait pas, d'une manière générale, avec une prudence dont je tâcherai tout à l'heure de tracer les limites, quelles sont les grandes questions qui ont agité l'esprit humain, et si, par exemple, lorsque vous prononcez les mots de scepticisme, de dogmatisme, vos jeunes gens ne savaient ce que veulent dire ces grands mots que par ouï-dire, ou parce qu'en lisant tel ou tel livre, ils les auraient rencontrés? Non, il faut que la jeunesse française, qui, comme cela s'est fait dans tous les temps et chez toutes les nations, a appris les belles-lettres, sache que l'esprit humain s'est préoccupé de telles ou telles questions, qu'il y a des écoles dans lesquelles on affirme, d'autres dans lesquelles on doute. Celles dans lesquelles on affirme sont des écoles dogmatiques, celles dans lesquelles on doute sont des écoles sceptiques. Il faut qu'elle puisse attribuer les grands génies, dont l'histoire de l'esprit humain a donné tant et de si éclatants modèles dans le monde, à telle ou telle école; en un mot, que votre jeunesse sache ce que doit savoir l'homme éclairé.

Eh bien, véritablement, les études seraient abaissées en France si l'enseignement philosophique disparaissait de l'enseignement secondaire.

Nous avons voulu faire une loi sévère, cela est vrai; nous avons voulu faire une loi qui rassurât la société contre les dangers d'un enseignement irré

fléchi; mais nous n'avons voulu faire ni une loi malveillante, nous l'avons prouvé en posant les premiers le principe d'un minimum de traitement de 600 francs pour les instituteurs primaires, ni une loi étroite, en voulant réduire le domaine des sciences et en voulant rétrécir pour la jeunesse française le domaine du savoir. Nous n'avons pas méconnu, et c'est ici la question du programme, que l'enseignement philosophique devait être donné à la jeunesse avec prudence et discrétion, que toutes les questions les plus compliquées, les plus difficiles, devaient être réservées pour l'enseignement spécial, mais nous avons pensé qu'on devait donner à la jeunesse les choses non contestées, les grandes croyances du genre humain, celles sans lesquelles l'esprit humain serait incomplet. Ce sont les croyances qui sont contenues dans quelques livres immortels que le monde admire, approuve, que les esprits les plus sages ne redoutent pas. C'est cette science qui doit composer l'instruction philosophique dans les collèges; et, s'il faut y apporter des limites, et il en faut naturellement, c'est au conseil supérieur qu'il appartiendra de la limiter sagement, en traçant le programme d'accord avec le gouverne

ment.

Et, si cette science si grande, si belle, car c'est la science des choses profondes, des choses morales, par sa grandeur, par sa liberté, peut s'égarer, et cela est vrai, c'est au gouvernement, avec le concours de toutes les autorités dont on l'a entouré pour diriger

VIII.

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moralement, patriotiquement, l'enseignement, c'est au gouvernement à y veiller. (Légères rumeurs à gauche.) Oui, à y veiller.

Il faut que l'enseignement soit libre, mais à la condition, comme je vous le disais l'autre jour, de respecter la jeunesse et de ne pas faire approcher de son esprit des doctrines détestables.

Quant à nous, qui désirons le maintien de l'enseignement philosophique, nous approuvons aussi le gouvernement lorsqu'il frappe les imprudents qui viennent, sans respect pour la jeunesse, lui apporter des doctrines déplorables, que l'humanité n'admet pas. (Marques très vives d'approbation sur les bancs de la majorité. - Rumeurs à gauche.)

Oui, l'enseignement philosophique, à la condition de cette double prudence: de le proportionner à l'état de l'enfant auquel on le donne dans l'enseignement secondaire, et à la condition de le sauvegarder, en ne lui laissant méconnaître aucune des erreurs de l'esprit humain, de le sauvegarder contre certains enseignements impies, immoraux, funestes, que le genre humain en majorité a repoussés depuis des siècles! (Marques d'approbation.)

Nous respectons la liberté de l'esprit humain (rires ironiques à gauche); oui, nous la respectons. Assurément ç'a été un puissant et déplorable génie que Spinosa. S'il existait aujourd'hui, nous ne voudrions pas, par respect pour la liberté de l'esprit humain, lui interdire le droit de faire un livre; mais nous n'en fe

rions pas un professeur, et nous approuverions le ministre qui l'aurait destitué. (Murmures à gauche. Approbation marquée à droite.)

Oui, la commission croit que nous ne devons pas nous prêter à restreindre l'enseignement; mais elle croit qu'il doit être renfermé dans les limites que le programme, qui est réservé à l'autorité du conseil supérieur, doit tracer, et que le gouvernement doit ensuite apporter une surveillance sévère, surveillance qui est dans la Constitution, pour qu'on n'enseigne que les doctrines que le genre humain admet, et qui sont nécessaires à tous les pays civilisés.

(Très bien! Très bien!)

La proposition Lasteyrie fut rejetée.

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