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librement travaillé, vous avez des riches et des pauvres, des heureux et des malheureux.

Oui, il y a des hommes à qui le travail a réussi, parce que Dieu les avait bien doués, ou parce qu'ils ont été appliqués, parce qu'au talent ils ont joint l'esprit de suite.

Quelquefois il arrive qu'après avoir été longtemps riches et heureux, parce qu'il leur aura manqué une dernière qualité, la prudence, certains hommes, après avoir été riches, cesseront de l'être.

Et voyez cette scène, cette scène animée qu'on appelle le spectacle du monde : celui qui était pauvre devient riche, celui qui était riche devient pauvre. Cette condition atteint tout le monde, les rois comme les princes, les hommes enfin de toutes les classes de la société. Mais tout cela, c'est la liberté, c'est l'homme livré à lui-même, exerçant ses facultés à ses risques et périls, réussissant ou ne réussissant pas.

M. FLOCON. Quel est donc le travail des princes?

M. THIERS. Lisez les œuvres du grand Frédéric, et vous verrez ce que peut être le travail des princes... Le troisième principe, c'est la concurrence, c'est-àdire l'émulation. La société dit à l'homme Travaille, travaille à tes risques et périls... Elle lui dit autre chose encore Tâche de faire mieux que ton voisin; regarde, observe de quelle manière il s'y prend, quels procédés il emploie; tâche de faire mieux. Si tu fais mieux, eh bien, l'acheteur ira à toi; si tu l'attires par des produits meilleurs ou plus économiques, tu l'em

porteras sur tes rivaux. Grâce à cette émulation, qu'arrive-t-il? C'est que la société fait tous les progrès que vous lui avez vu faire depuis plusieurs siècles. C'est, en effet, par cette émulation qui porte les hommes à se surpasser les uns les autres, qu'on a substitué à la force des bras la force de la vapeur. Nous avons vu, depuis cinquante ans, les merveilles de cette émulation industrielle; nous avons vu, par exemple, des produits qui coûtaient cent, ne coûter que vingt ou trente.

Nous avons vu tous, dans notre enfance, pardonnez-moi d'entrer dans des détails qui sont vulgaires, mais qui servent à expliquer la marche des choses, nous avons vu les cotons arriver de l'Inde, filés avec une perfection merveilleuse par des mains qui semblaient des mains de fées; je les ai vus, et ceux qui sont de mon âge les ont vus comme moi; et aujourd'hui, grâce à la concurrence, grâce aux efforts qu'on a faits pour se surpasser au moyen des machines, nous renvoyons ces cotons filés à l'Inde, que nous avons imitée, et que nous avons ruinée en l'imitant.

Voilà le résultat de cette émulation qu'on appelle la concurrence.

Ce n'est pas seulement ce produit qui a fait des progrès extraordinaires, ce sont tous les produits à la fois.

Mais est-il vrai, comme on le dit, que ce soit le peuple qui paye les frais de la concurrence? Vous allez en juger. Il s'est passé là un phénomène admirable, qui prouve la sagesse des lois de la Providence.

Tandis que, par la concurrence, qu'il faut appeler de son vrai nom, par l'émulation industrielle, on est parvenu à procurer à la société tous les produits en plus grande abondance et à meilleur marché, savezvous quel a été le sort des ouvriers? Je ne veux pas taire leurs maux, les dissimuler, et vous rendre indifférents à eux; je ne le veux pas plus que mes honorables collègues qui siègent là (l'orateur montre la gauche); mais enfin, quand vous les poussez au désespoir, permettez-moi d'essayer de les calmer en leur montrant le meilleur avenir qui les attend. Savez-vous, dis-je, ce qui est arrivé aux ouvriers par cette admirable loi dont je parlais tout à l'heure? Ils ont fait les deux bénéfices de la concurrence d'abord ils sont plus payés, et je vous le prouverai par des chiffres, car il faut apporter des chiffres dans cette question; ils sont, je le répète, plus payés. Pourquoi le sont-ils davantage? Parce que les machines qu'on doit à la concurrence, chargées en quelque sorte du métier de la bête de somme, ont laissé à l'homme un travail plus relevé. L'ouvrier est plus payé depuis quarante ou cinquante ans ; je vous le prouverai tout à l'heure. A côté de cela, il est consommateur autant que producteur, et, tandis qu'il est payé davantage, il dépense moins pour son entretien (mouvement), pas pour tous les objets, mais pour la plupart.

Messieurs, j'ai fait, comme homme public, je fais encore tous les jours comme individu, une enquête incessante sur l'état des classes laborieuses, sur les

conditions du travail et de la production; car ces hommes d'État que vous appelez indifférents au bienêtre populaire se sont sincèrement appliqués à en étudier les conditions. Ils ont pu ne pas les découvrir ou ne pas les réaliser, mais ils l'ont voulu et essayé. Je fais, dis-je, une enquête perpétuelle, et en voici les résultats, que je déclare certains. Je voudrais même que vous pussiez les contrôler au moyen d'une grande enquête sur l'état des classes laborieuses, faite dans le sein de l'Assemblée et en son nom; vous verriez combien de mensonges volontaires ou involontaires ont été accumulés sur cette désolante question, qui peut bouleverser l'univers. (Très bien! Très bien!) Eh bien, voici des faits certains, relatifs aux diverses professions.

L'ouvrier des champs qui est placé aux portes de Paris... et le progrès que je vais vous montrer autour de Paris existe aussi dans les provinces les plus pauvres, à un degré moindre, il est vrai, mais il existe... L'ouvrier des champs aux portes de Paris gagnait, en 1789, de 20 à 24 sous par jour; en 1814, il en gagnait 30, quelquefois plus. Savez-vous combien il gagne aujourd'hui? 40 sous. (Mouvement.)

Laissez-moi exposer les faits. Songez, Messieurs, que la question que nous traitons est la plus grave qu'il y ait au monde, et que, si l'on se borne toujours à des généralités qui se repousseront sans se pénétrer, nous n'arriverons jamais à la vérité. (C'est vrai!)

Permettez-moi donc d'aborder les faits, de les ana

lyser, et nous généraliserons ensuite. Je commence par les salaires, j'examinerai ensuite le prix des objets de consommation, car je n'aurais traité qu'un côté de la question si je ne l'examinais pas sous ces deux rapports.

Eh bien, à quelques lieues de Paris, le manouvrier qui gagnait 24 sous en 1789 en gagnait 30 en 1814, et, grâce à une longue prospérité, il en gagne 40 aujourd'hui, quelquefois 45.

Le tisserand qui gagnait 30 sous, non pas aux portes de Paris, mais à Rouen, à Lille, en gagne 40. (Rumeurs et dénégations à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. - Vous contesterez les faits autant que les opinions, mais ce sera à votre tour, et à la tribune.

M. THIERS. Voulez-vous la vérité? (Oui! Oui!) N'aimez-vous donc que la misère? Ne voulez-vous que ce triste tableau? (Parlez!) Eh bien, la misère, je ne la nie pas, mais tout n'est pas misère heureusement. Et, si avec vos paroles, et en peignant la situation des couleurs les plus noires, vous pouviez améliorer le sort de l'ouvrier, à la bonne heure! Mais savez-vous ce que vous faites? Vous inspirez le désespoir, vous faites verser le sang. (Vive approbation à droite.)

Je n'injurie personne, j'apporte des faits. Croyezvous que ce soit d'aujourd'hui, pour le besoin de cette discussion, que j'ai recueilli ces faits? L'année dernière, j'étais membre d'une commission de douanes : j'ai poussé mes collègues à faire une enquête sur

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