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Je disais, Messieurs, avant cette interruption, que m'a value un mot que je me suis hâté d'expliquer, qui ne s'adressait à personne ici, car, après vingt ans d'expérience, j'ai appris à connaître et à observer les convenances parlementaires, je disais que le troisième principe, celui de la concurrence, avait donné ces deux beaux résultats, qui ne sont pas encore ce que nous devons désirer pour l'humanité, mais qui sont un immense progrès c'est que l'ouvrier gagne davan: tage, et paye la plupart des objets de consommation un peu moins, quelques-uns seulement un peu plus, et qu'en somme sa condition est considérablement améliorée depuis trente ans. Voilà un fait qui est incontestable.

Et à quoi ce fait est-il dû? A la concurrence, qui a changé tous les procédés. D'un côté, les machines ayant pris le rôle de la force brutale, le rôle de la force intelligente est resté à l'ouvrier, et sa condition en a été plus relevée. D'un autre côté, consommateur autant que producteur, l'ouvrier a pris sa part, sa très grande part, du bon marché que la société a obtenu. Et, au milieu de tout cela, quel est celui dont la condition s'est empirée ? C'est l'entrepreneur.

Je pourrais, pour le démontrer, citer toutes nos grandes industries.

Je choisis celle des cotons. J'ai pris une période décennale, celle de 1835 à 1845, dans l'époque la plus calme du dernier régime. Voici les résultats. La France, en 1835, employait 35 millions de kilogrammes de

coton brut, qu'elle convertissait en fils, en tissus de tout genre. En 1845, la France en a ouvré 65 millions de kilogrammes, c'est-à-dire à peu près le double. Ainsi, en 1845, la société a obtenu deux fois plus de produits. Maintenant à quel prix ce coton avait-il été ouvré? Les 35 millions de kilogrammes de coton de tout genre, filés ou tissus, avaient coûté 630 millions à la société française en 1835, et les 65 millions de coton ont coûté 650 millions en 1845. Ainsi, pour une somme à peu près égale, il y a eu le double de produits, dont le peuple a profité, car il en est le principal consommateur.

Quant à l'ouvrier, on a cherché quelle était, dans la même période, en additionnant toutes ses journées de travail, la moyenne du prix de sa main-d'œuvre pour une année. Elle était de 330 francs, et elle a monté à 400. Ainsi, tandis que, pour avoir le double de produit, on a payé à peu près la même somme, le salaire de l'ouvrier a monté approximativement de 330 à 400 francs.

Or savez-vous ce qui est advenu des entrepreneurs par suite de cette même concurrence? Ils ont un peu moins gagné qu'auparavant, parce que, poussés par l'émulation industrielle, ils ont cherché à satisfaire le public, d'une part, et leurs ouvriers, de l'autre. Ils ont été obligés dès lors de se contenter de profits moindres.

Telle est cette loi admirable qui fait qu'à mesure que la société s'avance, l'ouvrier comme producteur

gagne davantage, et, comme consommateur, paye moins; tandis que l'entrepreneur, placé entre la société et l'ouvrier, obligé de satisfaire tous les deux, est contraint à des efforts inouïs, et forcé de se contenter de profits très inférieurs.

Telle est la vraie marche des choses. Je ne dis point. qu'il n'y ait pas des interruptions dans cette marche des choses; je ne dis pas qu'il n'y ait des jours pénibles, je le montrerai moi-même tout à l'heure, et c'est pour ces jours pénibles que nous devons chercher des palliatifs. Mais enfin cette vieille société, que vous accusez tous les jours, avec ces trois principes: la propriété, la liberté, la concurrence, cette société a fait des progrès, des progrès qui ont été au profit de tous, et surtout, et heureusement, plus encore au profit du travail que du capital.

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Vous dites que la société marche toujours vers l'appauvrissement des classes ouvrières remontez à deux siècles en arrière, remontez même plus loin, remontez à l'origine des sociétés; voyez la marche de l'intérêt de l'argent, quelle est-elle? Chez les Romains, je vous demande pardon de remonter si haut, chez les Romains, l'intérêt de l'argent était de 12 à 15, et même 20 pour cent; dans le moyen âge, il était de 10 à 12 pour cent; dans le xvIIIe siècle, de 7 ou 8, et aussi de 9 pour cent; et aujourd'hui, en temps de calme, il est habituellement de 4 et 5.

Vous prétendez que la société marche sans cesse vers ce terme, que les capitaux se refusent au tra

vail! Je dis, moi, que la société marche, au contraire, vers l'amélioration du sort de toutes les classes, et plus encore des classes inférieures que des classes supérieures.

Les grands principes de la société se résument par ces mots dits à l'homme Travaille, tu seras assuré du produit de ton travail; travaille selon tes facultés, à tes risques et périls, travaille mieux que ton rival, et tu seras riche, si tu es appliqué, sage et habile.

Eh bien, à la place de ces principes, que voulezvous mettre? Les mots de communauté, d'association, de réciprocité, de fraternité.

Messieurs, il faut sans doute des idées grandes et élevées, et, pour mon compte, je suis partisan du spiritualisme, je le serai toujours, toute ma vie; je n'aime pas plus la politique que la philosophie consacrée au culte de la matière; mais enfin, s'il faut de grandes idées, il faut aussi du positif. Quand il s'agit du bienêtre du peuple, quand il s'agit de salaires, quand il s'agit de consommations, il faut des chiffres précis. Eh bien, voyons ce que vous nous apportez, et quelles sont vos idées? Je vais les énumérer toutes, sans vouloir en décrier aucune.

Qu'avez-vous apporté? Les uns ont nié la propriété, c'est le communisme; les autres ont proposé l'association, c'est le système du Luxembourg; les autres ont proposé la réciprocité, le bon marché, la suppression du numéraire, c'est le système de M. Proudhon; et enfin un quatrième, un membre de la com

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mission de constitution, vous a apporté le droit au travail.

Examinons toutes ces propositions.

Quant au communisme, c'est dans un livre qu'on peut dire tout ce que ce sujet comporte; je ne le dirai pas à la tribune. Et puis cette opinion est tellement décriée qu'elle ne semble pas un adversaire sérieux. Cependant sur quoi se base-t-elle? Sur la négation de toute propriété et sur la négation de toute liberté. Voulez-vous sacrifier ces deux principes sociaux? Je dis au communisme, quel qu'il soit...

Un membre. Il y a divers communismes.

M. THIERS. Je ne le nie pas, il y a divers communismes; mais le fond est le même chez tous. Je m'adresse donc au communisme, quel qu'il soit, et, prenant son principe essentiel, je lui dis : Vous ne ferez qu'une société paresseuse et esclave. (C'est cela! Très bien!) On ne travaille pas pour la communauté. On peut dire à l'homme : Mourez pour la patrie! Mais dites-lui de tisser du fil ou de forger du fer pour la patrie, et vous verrez comment il vous écoutera. (Hilarité générale.)

Le communisme fera donc une société paresseuse, et il fera de plus une société esclave. Tout le monde l'a dit, et ce n'est pas du nouveau. De peur que l'on soit riche ou pauvre, heureux ou malheureux, il se charge de la destinée de l'homme, et il lui dit : Toi, tu seras Raphaël; toi, tu seras Bossuet; toi, tu seras Newton!

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