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TROISIÈMES OBJECTIONS,

FAITES PAR M. HOBBES CONTRE LES SIX MÉDITATIONS.

OBJECTION Ire.

SUR LA MÉDITATION PREMIÈRE.

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE RÉVOQUÉES EN DOUTE.

Il paroît assez, par ce qui a été dit dans cette Méditation, qu'il n'y a point de marque certaine etévidente par laquelle nous puissions reconnoître et distinguer nos songes d'avec la veille et d'avec une vraie perception des sens; et partant que ces images ou ces fantômes que nous sentons étant éveillés, ne plus ne moins que ceux que nous apercevons étant endormis, ne sont point des accidents attachés à des objets extérieurs, et ne sont point des preuves suffisantes pour montrer que ces objets extérieurs existent véritablement. C'est pourquoi si, sans nous aider d'aucun autre raisonnement, nous suivons seulement le témoignage de nos sens, nous aurons juste sujet de douter si quelque chose existe ou non. Nous reconnoissons

donc la vérité de cette méditation. Mais d'autant que Platon a parlé de cette incertitude des choses sensibles, et plusieurs autres anciens philosophes avant et après lui, et qu'il est aisé de remarquer la difficulté qu'il y a de discerner la veille du sommeil, j'eusse voulu que cet excellent auteur de nouvelles spéculations se fût abstenu de publier des choses si vieilles.

RÉPONSE.

Les raisons de douter qui sont ici reçues pour vraies par ce philosophe n'ont été proposées par moi que comme vraisemblables et je m'en suis servi, non pour les débiter comme nouvelles, mais en partie pour préparer les esprits des lecteurs à considérer les choses intellectuelles, et les distinguer des corporelles, à quoi elles m'ont toujours semblé très nécessaires; en partie pour y répondre dans les méditations suivantes, et en partie faire voir combien les vérités que je propour pose ensuite sont fermes et assurées, puisqu'elles ne peuvent être ébranlées par des doutes si généraux et si extraordinaires. Et ce n'a point été pour acquérir de la gloire que je les ai rapportées; mais je pense n'avoir pas été moins obligé de les expli

aussi

quer, qu'un médecin de décrire la maladie dont il a entrepris d'enseigner la cure.

OBJECTION II.

SUR LA SECONDE MÉDITATION.

DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

Je suis une chose qui pense: c'est fort bien dit. Car de ce que je pense ou de ce que j'ai une idée, soit en veillant, soit en dormant, l'on infère que je suis pensant: car ces deux choses, je pense et je suis pensant, signifient la même chose. De ce que je suis pensant, il s'ensuit que je suis, parceque ce qui pense n'est pas un rien. Mais où notre auteur ajoute, c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison: de là naît un doute. Car ce raisonnement ne me semble pas bien déduit, de dire je suis pensant, donc je suis une pensée; ou bien je suis intelligent, donc je suis un entendement. Car de la même façon je pourrois dire, je suis promenant, donc je suis une promenade.

M. Descartes donc prend la chose intelligente, et l'intellection qui en est l'acte, pour une même chose; ou du moins il dit que c'est le même que la chose qui entend, et l'entendement, qui est une puissance ou faculté d'une chose intelligente. Néanmoins tous les philosophes distinguent le sujet de ses facultés et de ses actes, c'est-à-dire de ses propriétés et de ses essences; car c'est autre chose que la chose même qui est, et autre chose que son essence; il se peut donc faire qu'une chose qui

pense soit le sujet de l'esprit, de la raison ou de l'entendement, et partant que ce soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris ou avancé, et n'est pas prouvé. Et néanmoins c'est en cela que consiste le fondement de la conclusion qu'il semble que M. Descartes veuille établir.

Au même endroit il dit : « Je connois que j'existe, >> et je cherche quel je suis, moi que je connois être. » Or il est très certain que cette notion et connois»sance de moi-même, ainsi précisément prise, ne » dépend point des choses dont l'existence ne m'est » pas encore connue. »

Il est très certain que la connoissance de cette proposition, j'existe, dépend de celle-ci, je pense, comme il nous a fort bien enseigné: mais d'où nous vient la connoissance de celle-ci, je pense? Certes, ce n'est point d'autre chose que de ce que nous ne pouvons concevoir aucun acte sans son sujet, comme la pensée sans une chose qui pense, la science sans une chose qui sache, et la promenade sans une chose qui se promène.

Et de là il semble suivre qu'une chose qui pense est quelque chose de corporel; car les sujets de tous les actes semblent être seulement entendus sous une raison corporelle, ou sous une raison de matière, comme il a lui-même montré un peu après par l'exemple de la cire, laquelle, quoique Voyez Méditation 11, page 252.

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sa couleur, sa dureté, sa figure, et tous ses autres actes soient changés, est toujours conçue être la même chose, c'est-à-dire la même matière sujette à tous ces changements. Or ce n'est pas par une autre pensée que j'infère que je pense: car encore que quelqu'un puisse penser qu'il a pensé, laquelle pensée n'est rien autre chose qu'un souvenir, néanmoins il est tout-à-fait impossible de penser qu'on pense, ni de savoir qu'on sait: car ce seroit une interrogation qui ne finiroit jamais, d'où savezvous que vous savez que vous savez que vous savez, etc.?

Et partant, puisque la connoissance de cette proposition, j'existe, dépend de la connoissance de celle-ci, je pense, et la connoissance de celle-ci de ce que nous ne pouvons séparer la pensée d'une matière qui pense, il semble qu'on doit plutôt inférer qu'une chose qui pense est matérielle qu’immatérielle.

RÉPONSE.

Où j'ai dit, c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison, etc., je n'ai point entendu par ces noms les seules facultés, mais les choses douées de la faculté de penser, comme par les deux premiers on a coutume d'entendre; et assez souvent aussi par les deux derniers : ce que j'ai si souvent expliqué, et en termes si exprès, que je ne vois pas qu'il y ait eu lieu d'en douter.

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