Slike stranica
PDF
ePub

l'Ouest encore qui allait le rappeler. A l'heure même où le maréchal indiquait ses intentions à Gardère, la guerre sainte se prêchait dans le Dahra, dépendant en partie de la subdivision d'Orléansville commandée par le colonel de Saint-Arnaud. Le drapeau du Prophète y était déployé par le plus redoutable adversaire que nous ayons rencontré en Afrique après l'Émir, par le chérif Mohammed ben Abdallah que les Français, plus peut-être que les Arabes, ont popularisé sous le nom de Bou-Maza (l'homme à la chèvre) (1).

(1) Le peuple arabe a non seulement des chefs militaires, mais il a encore des chefs religieux. Il existe chez les Arabes trois classes de noblesse la noblesse d'origine; la noblesse temporelle ou militaire; la noblesse religieuse :

1o On appeile noble d'origine, chérif tout musulman qui peut, au moyen de titres en règle, prouver qu'il descend de Fathma Zohra fille du Prophète, et oncle de ce dernier. On peut dire que c'est Mohamed lui-même qui a fondé cette sorte de noblesse très considérée chez les Arabes. Il prescrit en effet dans plusieurs passages du Koran de témoigner les plus grands égards aux hommes issus de son sang, annonçant qu'ils seront les plus fermes soutiens et les purificateurs futurs de la foi musulmane. Les Arabes montrent en général une grande déférence pour les cheurfa (pluriel de chérif), et leur donnent le titre de sidi, mon seigneur. Toutefois, leur nombre est considérable au point de former des farku particuliers dans certaines tribus; les marques extérieures de respect qu'on leur témoigne varient avec les lieux. Le chérif est sujet aux lois, mais il a dans les pays musulmans le droit d'invoquer un jugement rendu par ses pairs. C'est ainsi qu'Abdel-Kader s'était réservé le droit de les juger lui-même. Les cheurfa jouissent de prérogatives plutôt morales que matérielles, et leur influence ne doit pas se mesurer sur les honneurs qu'on leur rend. Un grand nombre de cheurfa ont été marabouts, mais cette réunion de deux caractères distincts n'est qu'accidentelle.

2o Les membres de la noblesse militaire chez les Arabes portent le nom de djouad. Ce sont les descendants des familles anciennes et illustres dans le pays, ou encore les rejetons d'une tribu célèbre, les Koraïtches dont Mahomet faisait partie. Dans ce dernier cas, ils se désignent par le nom de dhaouda et représentent une noblesse supérieure aux djouad. La plus grande partie des djouad tire son origine des Mehhal, conquérants venus de l'Est à la suite des compagnons du Prophète. Les djouad constituent Télément militaire dans la société arabe. Ce sont eux qui, accompagnés de

Le général de Bourjolly, commandant à Mostaganem, voulut se porter au secours de son voisin, le

leur clientèle, mènent les Arabes au combat. Par le fait, ces derniers sont presque leurs sujets. L'homme du peuple, le vassal a souvent à souffrir de l'autorité des djouad. Ceux-ci se font pardonner leurs mauvais traitements et maintiennent leur influence en accordant généreusement hospitalité et protection à ceux qui la réclament. Du reste, l'habitude a rivé la chaîne qui unit l'homme du peuple aux djouad ou cheikhs, vieillards ou lettrés. 3o La noblesse religieuse mérite d'être étudiée avec soin. Son influence sur les Arabes est encore plus puissante, quoiqu'elle ne soit pas basée sur les mêmes fondements. Marabout est le participe passé du verbe rebat, lier. Le marabout est l'homme lié à Dieu, voué à l'observation des préceptes du Koran. C'est lui qui, aux yeux des populations, conserve intacte la foi musulmane; il est l'homme que les prières ont le plus rapproché de la Divinité. Aussi ses paroles deviennent des oracles auxquels la superstition ordonne d'obeir et qui règlent à la fois les discussions privées et les questions d'intérêt général. C'est ainsi que les marabouts ont souvent empêché l'effusion du sang en réconciliant des tribus ennemies, et prêché, le Koran aux mains, la guerre contre les Infidèles.. Il faudrait remonter très haut dans notre histoire pour retrouver le temps où nos évêques jouaient le rôle de marabouts et où leur influence spirituelle et temporelle était assez grande pour servir d'arbitre ou pour entraîner les Croisés dans une guerre sainte. La noblesse religieuse est héréditaire comme les deux autres noblesses. En l'honneur d'anciens marabouts particulièrement vénérés, sont établies des chapelles, marabout. C'est ordinairement autour de ces constructions que les marabouts établissent une sorte de douar qui prend le nom de zaouia.

Les zaouia ont pour chef l'homme le plus influent de la famille des marabouts. L'exercice de l'hospitalité envers tous les voyageurs et les étrangers musulmans est un des premiers devoirs de sa position. Les criminels même doivent trouver un abri chez lui; c'est ainsi que quelques chapelles que nous appelons vulgairement marabouts sont un asile inviolable aux yeux des Arabes. Du reste, ces congrégations religieuses, sortes d'abbayes, de couvents, de séminaires, sont tellement nombreuses dans certaines tribus, telles que les Hachem, qu'elles y forment des divisions particulières. Les marabouts ne se livrent ordinairement à aucun travail manuel. Ils se vouent, dans l'intérieur des zaouïas, à l'instruction d'un certain nombre d'hommes ou d'enfants confiés par les tribus. Ces disciples desservants, étudiants, prennent le nom de tôlba (tâleb, lettré), et deviennent maîtres d'école dans les villes, assesseurs de cadi, quelquefois méme cadis. On se tromperait en supposant que tout chérif, djouad ou marabout occupe une position élevée dans la société arabe. On en voit, au contraire, journellement qui sont occupés à de vulgaires métiers. Mais si tous les membres de ces classes ne jouissent point d'une part égale de

colonel de Saint-Arnaud. Mais les crues du printemps avaient emporté le pont du bas Chélif, et le général ne put franchir le fleuve que le 18 avril. Avant qu'il ne fût arrivé sur le terrain des hostilités, le chérif (1), dont Saint-Arnaud croyait poursuivre les débris, paraissait, le 20, sur la route de Tenès à Orléansville, y attaquait brusquement un détachement de la garnison de Tenès occupé aux travaux de la route, blessait quatre hommes, enlevait nos tentes et notre matériel de travail.

Le lendemain 21, le marabout insultait nos avantpostes de Tenès, et, le 22, il ne craignait pas d'attaquer un convoi, malgré une escorte de 500 soldats français que conduisait le commandant Prévost, tout nouvellement débarqué de France.

considération et d'influence, on peut affirmer au moins que la puissance et l'autorité ne se trouve que chez elles. Une partie des terres voisines, provenant en général de donations pieuses, est cultivée par les hommes de la zaouia et sert à les nourrir. De larges offrandes, des provisions de toute espèce sont offertes au marabout et à ceux qui, vivant près de lui, étudient la loi. Quelquefois, par suite d'anciennes obligations religieuses, les voisins de la zaouia lui payent l'aachour ou la dime. Toutefois ce tribut n'a jamais eu de caractère obligatoire devant la justice.

(1) Le colonel de Saint-Arnaud écrivait à son frère d'Orléansville le 13 avril 1845: Un marabout se disant chérif, c'est-à-dire de la famille du Prophète, en travaillant le fanatisme et la crédulité des Arabes, s'est fait un parti, a prêché la guerre sainte contre nous et est parvenu à rassembler un camp, où il compte 5 à 600 fusils et une cinquantaine de cavaliers. Ce chérif, nommé Mohammed ben Abdallah, est à trois journées de moi.

Par une autre lettre datée de Sidi-Aïssa-ben-Daoud, le 17 avril, le colonel raconte une rencontre où il a tué 60 hommes, fait couper têtes, enlevé 14 prisonniers et un drapeau.

...Demain, dit-il, je poursuivrai les débris de la bande du chérif. C'est un jeune homme de vingt ans, cicatrices au front et au nez, se donnant de l'importance, faisant le sultan; quatre chaouchs à sa tente, ne recevant pas tout le monde, mais recevant tous les cadeaux.

Toutes ces circonstances, écrit le maréchal en faisant, dans les colonnes de son Moniteur Algérien, un retour sur les théories des Chambres et des journaux de la métropole, doivent prouver aux partisans du système pacifique que nous devons rester forts et vigilants; que nous ne pouvons désarmer en présence d'un peuple belliqueux qui est comprimé, mais ne sera de longtemps assimilé.

D'autres indices d'agitation insurrectionnelle (1) amènent le maréchal à protester contre l'éternel reproche adressé par le civil au militaire, celui de fomenter ou même d'inventer la guerre par intérêt.

Voilà ce qui devrait prouver aux plus obstinés dans le système pacifique que nous devons être militants jusqu'à ce que nous n'ayons plus d'ennemis. Mais comment supposer qu'on pourrait être assez barbare et assez stupide pour faire la guerre sans nécessité et pour le seul plaisir de guerroyer? Nos troupes n'ont-elles pas eu cette jouissance a satiété depuis quinze ans? Voit-on que nous attaquions les tribus soumises dans une zone à cinquante lieues de la mer? Loin de là, nous les administrons, nous nous occupons de leurs intérêts, de leur religion, de leur justice. Nous leur faisons des barrages, des routes, des ponts, et nous ne faisons

(1) Les faits de guerre du printemps de 1845 dont il s'agissait étaient les suivants :

Quelques tentes des Beni-Amer s'étant déplacées pendant la nuit pour émigrer au Maroc, le commandant Vinoy, du poste de Sidi-bel-Abbes, mit à leur poursuite un douar... Un combat s'est engagé dans lequel les nôtres sont restés maîtres du terrain; mais ils ont eu 5 hommes tués, 12 blessés, et n'ont pu ramener l'émigration.

...Le khalifat de Laghouat, se rendant à Médéah avec les troupeaux de l'impôt de la Zekka, a été attaqué dans le Désert par un chef dissident des Ouled-Naïl, nommé Bedly. Sa troupe a été dispersée; il a perdu troupeaux, tentes et bagages; toutefois il a rallié Médéah avec la plus grande partie de sa suite. Le général Marey ne tardera pas à se porter en avant. (Moniteur du 15 avril.)

la guerre qu'aux voleurs de grand chemin. Encore ce sont les tribus elles-mêmes qui les arrêtent (1) et non pas les soldats.

La lettre ci-jointe adressée à cette même époque par le maréchal au colonel de Saint-Arnaud est des plus instructives. Elle contient en dehors d'éclaircissements sur des faits de guerre, sous une forme brève et saisissante, les principes de guerre pratiqués par le grand soldat dans sa lutte avec les Arabes.

Le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l'Algérie, au colone de Saint-Arnaud, commandant la subdivision d'Orléansville.

Mon cher Saint-Arnaud,

Alger, le 24 avril 1845.

Sachant ce que sont les Beni-Hidja qui ont attaqué deux fois notre petit camp en avant de Tenès, je dois craindre que l'insurrection ne gagne toutes les montagnes de l'Est et je prends des mesures en conséquence. Je suspends mon mouvement dans l'est d'Alger; je fais partir de Milianah un bataillon du 64° pour vous rejoindre avec un convoi de farines. Ce bataillon et les 500 hommes du bataillon d'Afrique resteront à votre disposition jusqu'à ce que le plus grand calme soit rétabli autour de vous, dans toute votre subdivision et dans tout le Dahra. Vous aurez ainsi sept bataillons; j'espère que vous pourrez marcher avec cinq au moins, six seraient encore mieux, afin de ne pas éprouver l'apparence d'un insuccès qui pourrait exalter la présomption de nos ennemis.

(1) Allusion à diverses arrestations de prêcheurs de guerre sainte faites spontanément par des tribus soumises.

« PrethodnaNastavi »