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Ne vous occupez pas de la rive gauche, où, m'écrit-on de Milianah, il y a déjà des prédications de révolte. Je me porterai vers Milianah, le 3 mai, avec une colonne suffisante pour faire repentir l'Ouarensenis de ses tentatives. De là, je serai aussi en mesure d'agir contre les Beni-Ferah et Zatima. C'est un moment de crise à passer, j'espère qu'il tournera au profit de notre domination.

Mais, pour que cela soit, il faut frapper très durement sur les insurgés et opérer, autant qu'il se pourra, le désarmement et l'enlèvement des chevaux.

La tribu des Beni-Hidja mérite le châtiment le plus sévère et le plus exemplaire; il faut vous attacher à elle avec persévérance comme un fléau. Arrachez-lui toutes ses récoltes; coupez-lui ses arbres fruitiers de toute espèce; qu'elle soit ruinée pour longtemps, à moins qu'elle ne consente à remettre ses fusils, ses chevaux et une forte contribution de guerre.

Le général de Bourjolly ne pourra pas rester longtemps dans le Dahra, parce qu'il aura besoin d'aller surveiller de près le pays sur la Mina. Mais, en s'en retournant, il peut encore, si cela est nécessaire, fouler le pays des ennemis, après s'être bien ravitaillé à Tenès ou à Orléansville, Je lui écris dans ce sens. S'il était nécessaire, vous retourneriez avec lui dans le Dahra pendant quelques jours.

Agissez de concert avec lui pour établir notre autorité d'une manière solide dans cette contrée. Elle n'avait pas assez senti le poids de nos armes, il faut le lui faire sentir à présent cruellement.

J'envoie M. le capitaine d'état-major Lapasset pour remplacer le malheureux Béatrix. C'est un homme intelligent, qui parle, lit et écrit l'arabe; je vous le recommande particulièrement.

A présent, je veux vous parler de ce camp malencontreux en avant de Tenès, de l'autre côté de la gorge. J'ignore quel en est l'auteur? Est-ce Cavaignac ou Claparède? Quel qu'il soit, je lui en témoigne mon blâme le plus absolu. Ce sont de pareils postes créés sans nécessité, et contre tous les principes que je vous ai si souvent exposés, qui amènent des malheurs. Il est fort heureux que le désastre n'ait pas été plus grand. Je n'avais jamais entendu parler de ce camp; on ne m'en a pas dit un seul mot dans aucun rapport. Je croyais qu'il n'y avait qu'un camp ambulant de travailleurs et même dans ce cas ne valait-il pas mieux faire rentrer, tous les soirs, les troupes à la ville, quand le travail s'exécute à une lieue seulement? J'ai ordonné de ne pas l'évacuer en ce moment, parce que cela produirait un mauvais effet moral; mais on peut l'évacuer sans scrupule quand vous agirez vigoureusement contre les Beni-Hidja.

S'il était indispensable, ce que j'ai de la peine à croire, pour les travaux de la route et de la conduite d'eau, vous le laisserez jusqu'à l'achèvement du travail. Après quoi, il sera retiré sans aucun retour sur cette décision. Si vous le gardez encore temporairement, il faut qu'il soit inexpugnable. Sans ce poste, il n'y aurait probablement eu qu'une insurrection dans le vide l'ennemi n'aurait pas osé attaquer Tenès, puisqu'il ne l'a pas fait malgré le scindement des forces. Ce détachement de 50 à 60 hommes a tenté le Diable; c'était bien le cas de le retirer quand Claparède est sorti avec les forces les plus disponibles. Il faut que cette minie de l'éparpillement et de l'immobilisation des forces soit quelque chose de bien invétéré dans les esprits, pour que, malgré nos paroles et nos écrits si multipliés contre ce système, on le suive encore si souvent. Faites-moi connaître la situation des choses le plus souvent possible par Tenès et par Milianah.

Il faut profiter de l'occasion pour nous former un petit territoire autour de Tenès aux dépens des tribus ou fractions de tribus qui auraient pris part à la révolte. Prenons tout ce qui est à notre convenance et faisons indemniser les expropriés par le reste de la tribu. Agissons en vainqueurs et en maîtres. Væ victis!

Mille choses affectueuses et dévouées.

Signé Maréchal DUC D'ISLY.

P. S. Ménagez autant que possible les magasins d'Orléansville; ravitaillez le plus possible les colonnes à Tenès pour éviter d'autant les transports de ce point à l'autre.

Quand il y avait lieu de payer de sa personne, le maréchal n'était pas homme à s'attarder dans des polémiques stériles. Après avoir fait, dans la journée du 25, une pointe par mer sur Cherchell, il se mit en route le 3 mai par voie de terre, en passant par Milianah, à la tête de la colonne expéditionnaire du Dahra. Le duc de Montpensier l'accompagnait.

Les opérations furent constamment contrariées par un temps affreux. Le maréchal, dans l'Ouarensenis, allait et venait sous des pluies torrentielles, presque sans résultat. Les insurgés, qui le connaissaient de longue date, évitaient avec lui les engagements, tombant de préférence sur son lieutenant Saint-Arnaud qui opérait séparément et dont la colonne était moins nombreuse. Le maréchal, ne rencontrant jamais le gros de l'ennemi, n'obtenait que des soumissions incomplètes, parfois fictives.

Du 4 au 25 mai, il n'eut guère d'autre affaire que

l'attaque d'arrière-garde d'un chef insurgé, Omar ben Ismaïl, à la date du 13. L'attaque fut repoussée par le colonel Renault, du 6 léger. Le maréchal lança la cavalerie disponible, qui tua une douzaine d'hommes et enleva le nombre, restreint pour les guerres africaines de ce temps, de 300 têtes de bétail. Le 26 mai et le 1er juin la colonne réalisa deux razzias plus importantes.

Tout l'honneur de cette campagne du printemps de 1845 appartient au colonel Saint-Arnaud, qui agissait de son côté sur la rive droite du Chélif avec quatre bataillons, tandis que le maréchal manœuvrait sur la rive gauche avec onze bataillons. Le colonel SaintArnaud, ayant appris qu'un fort rassemblement s'était formé sous la conduite du chérif instigateur de la révolte, s'était porté dans l'ouest de Tenès. Le 21 mai, à la pointe du jour, le lieutenant-colonel Bisson, du 53°, mis en mouvement pendant la nuit, enlevait la position très-forte où se trouvaient les insurgés; 150 Arabes restaient sur le carreau. Dans la même journée, le colonel Saint-Arnaud les atteignit de nouveau et leur tua 200 hommes. Le drapeau du chérif fut pris pendant l'action (1).

(1) Le colonel Saint-Arnaud, dans sa Correspondance intime, raconte cette affaire comme il suit :

Orléansville, 26 mai 1845.

Deux brillantes affaires : une razzia chez les Beni-Mezroug dans la nuit du 20 au 21, où j'ai tué plus de 150 Kabyles, pris 3,000 têtes de bétail; le même jour, à trois heures du soir, j'ai été attaqué par plus de 1,200 Kabyles commandés par les trois chérifs en personne avec leurs quatre drapeaux. Par un mouvement tournant de cavalerie, j'ai enveloppé l'ennemi et l'ai rejeté dans un ravin où l'attendait le 53o. C'était une véritable petite bataille. Nous avons manœuvré avec autant de sangfroid qu'au Champ de Mars. L'ennemi a laissé plus de 200 cadavres ; je n'ai eu que 7 blessés. J'ai pris un drapeau et beaucoup de fusils.

Le coup était rude, et Bou-Maza disparut momentanément. Nos colonnes de Mostaganem, Orléansville et Tenès, imitant sa tactique, cessèrent de le poursuivre personnellement pour s'en prendre aux tribus qui l'avaient soutenu. Le chérif s'enfuit en remontant l'Oued Riou, vivement serré de près par notre agha Hadj-Ahmed, qui lui tua tous ses compagnons, sauf deux cavaliers ; lui prit ses chevaux, son drapeau, deux mulets chargés de poudre et d'argent. Bou-Maza se vengea d'Hadj-Ahmed au mois de juillet suivant en venant lui donner la mort au milieu du cortège nuptial de son fils; toute la noce fut enlevée dans une razzia.

Quant aux Français, ils ne virent plus réapparaître Mohammed ben Abdallah qu'en septembre, aux débuts de la grande insurrection. « Nous venons enfin, dit spirituellement le colonel Saint-Arnaud, de chasser BouMaza du pays... jusqu'à ce qu'il y revienne. »>

Dans la répression de ce premier soulèvement de 1845, l'autorité française eut recours à un moyen nouveau fort cruel pour les Arabes, celui du désarmement. Le colonel Saint-Arnaud imagina, le premier, d'imposer cette condition, bien rigoureuse pour une population essentiellement guerrière (1). Le ma

(1) Le colonel Saint-Arnaud, qui inaugura le désarmement, écrivait à son frère, de Tenès, le 4 mai 1845 :

J'ai eu, dans leurs affreuses montagnes (des Beni-Hidja), deux jolis combats les 29 et 30 avril; je ruine si bien leur pays que je les force à demander grâce, et, ce qui ne s'est jamais vu en Afrique, je les oblige à rendre leurs fusils. Le maréchal lui-même ne pouvait croire à ce résultat. Je fais livrer par les BeniHidja 500 fusils, 300 sabres, 200 pistolets et 25,000 francs de contributions. Les vieux officiers d'Afrique ont peine à croire à la remise des fusils, même en les voyant couchés devant ma tente...

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