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chauffer (1), que le combustible était préparé, qu'il fallait en finir. De délai en délai, la nuit arriva. Des fascines furent jetées du haut des rochers à l'entrée des grottes; quelque temps après le feu y fut lancé de la même manière. A une heure du matin, le colonel Pélissier, qui voulait surtout les effrayer, ordonna d'éteindre le feu. Il était trop tard; la catastrophe était consommée, et plus de 500 créatures humaines avaient. péri étouffées.

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L'impression produite par ce fatal évènement fut immense en France et en Algérie. Le plus ému peutêtre fut le maréchal-gouverneur; toutefois on lui doit cette justice qu'il n'hésita pas un instant à justifier son lieutenant, et à le couvrir même de sa responsabilité personnelle. Il le fit avec une grande vivacité, dans les colonnes du Moniteur Algérien des 15 et 20 juillet, où la cause du colonel Pélissier est plaidée en ses termes :

On approchait de la fin de juin. A cette époque, il fallait achever la soumission du Dahra. La saison était avancée; la chaleur sévissait; les colonels Saint-Arnaud et Pélissier avaient ordre d'attaquer simultanément l'Ouarensenis. Leurs mouvements devaient être combinés; Saint-Arnaud devait attaquer par l'est et Pélissier par l'ouest. Si le colonel était parti, les Arabes, sortant des grottes, auraient salué son arrière-garde d'une vive fusillade. Le colonel ne pouvait abandonner les grottes ni perdre de temps à en faire le blocus, car les cavernes, qui sont traversées par un ruisseau abon

(1) Expression militaire empruntée au Moniteur Algerien du 15 juillet 1845.

dant, étaient garnies de vivres; nos troupes se trouvaient à la veille d'en manquer, et le lendemain elles devaient être sur un autre point... Combattre les Ouled-Rhia en s'introduisant dans les cavernes, c'était toujours les détruire sans plus d'humanité, et même en risquant beaucoup de monde. D'ailleurs, le colonel croyait que les fascines les feraient sortir et qu'il s'en emparerait. Il parlementa pendant plus de cinq heures sans succès; on lui tua un parlementaire et plusieurs hommes. Il continua le feu, et les Ouled-Rhia périrent par leur funeste obstination.....

L'attaque de ces grottes n'est pas nouvelle. L'année dernière, le général Cavaignac fit un siège semblable. Il y perdit le capitaine Louvencourt, du 5o bataillon de chasseurs, ainsi que plusieurs soldats. Le général lança des pétards sur les rochers et des obus dans l'intérieur; nous croyons même qu'il employa le feu... S'il y eut un petit nombre de victimes, c'est que la grotte était petite et ses défenseurs peu nombreux.

Fallait-il que le colonel Pélissier se retirât devant cette obstination et abandonnât la partie? Les conséquences de cette détermination eussent été funestes; car la confiance dans les grottes aurait beaucoup grandi. Aurait-il dû attaquer de vive force? Cela était à peu près impossible, et, dans tous les cas, il fallait perdre beaucoup de monde... Se résigner à un simple blocus qui pouvait durer quinze jours, c'était perdre un temps précieux pour la soumission du Dahra, et refuser son concours au colonel Saint-Arnaud. Après avoir pesé tous ces partis, il se décida à employer le moyen qui lui avait été recommandé par le gouvernement général, en cas d'extrême urgence.

Nous demandons si le siège des grottes est plus cruel que le bombardement et la famine dont nous accablons la population entière des villes de guerre en Europe, etc. Que l'on

fasse naître en Afrique des intérêts concentrés, immobiles, comme on les trouve dans toutes les grandes villes de l'Europe, et l'on peut être convaincu que nous n'irons pas nous exténuer à poursuivre des troupeaux et des populations à travers les ravins, les montagnes, les plaines et le Désert... Mais comme dans toute guerre il faut, pour la finir, atteindre les intérêts, etc.

Ces derniers mots « atteindre les intérêts »>, termes si souvent reproduits dans les discours et les écrits du maréchal Bugeaud au sujet des guerres d'Afrique, sont l'équivalent d'une signature. C'est bien le maréchal en personne qui défend son lieutenant dans les colonnes du journal officiel de la colonie. Il obéit ainsi à sa générosité habituelle; il obéit au sentiment de l'armée, qui se manifeste dans le même sens, au cours des lettres contemporaines de l'événement, écrites par le colonel de Saint-Arnaud.

Non seulement l'armée approuva la conduite du colonel Pélissier, mais, il faut bien le dire, la colonie tout entière n'eut qu'une voix en faveur de ce vigoureux soldat qui, pour anéantir l'insurrection, pour frapper de terreur les Arabes, pour arrêter l'effusion du sang, sacrifiait quelques victimes à l'intérêt général.

Le rapport du colonel Pélissier, adressé au gouverneur général, se terminait par ces mots :

Ce sont là, monsieur le maréchal, de ces opérations que l'on entreprend quand on y est forcé, mais que l'on prie Dieu de n'avoir jamais à recommencer!

Interpellé à la Chambre des Pairs par le prince de la Moskowa, le maréchal Soult, ministre de la guerre, « manqua, dit M. Guizot, dans cette occasion, de sa présence d'esprit et de son autorité accoutumées. Il exprima en quelques paroles embarrassées un blâme froid et timide, livrant le colonel Pélissier, sans satisfaire ceux qui l'attaquaient. »

Le maréchal Bugeaud ressentit vivement cet abandon et n'eut garde de l'imiter. « Avec un héroïsme inouï, dit un républicain, M. Léon Plée, le gouverneur général prit sur lui, devant l'opinion publique soulevée, la responsabilité du commandement. » Voici d'ailleurs sa lettre au ministre de la guerre

Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult.

Alger, 18 juillet 1845.

Je regrette, monsieur le maréchal, que vous ayez cru devoir blâmer, sans correctif aucun, la conduite de M. le colonel Pélissier. Je prends sur moi la responsabilité de son acte; si le Gouvernement jugeait qu'il y a justice à faire, c'est sur moi qu'elle doit être faite. J'avais ordonné au colonel Pélissier, avant de nous séparer à Orléansville, d'employer ce moyen à la dernière extrémité. Et, en effet, il ne s'en est servi qu'après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation. C'est à bon droit que je puis appeler déplorables, bien que le principe en soit louable, les interpellations de la séance du 11. Elles produiront sur l'armée un bien pénible effet qui ne peut que s'aggraver par les déclamations furibondes de la presse.

Avant d'administrer, de civiliser, de coloniser, il faut que les populations aient accepté notre loi. Mille exemples ont prouvé qu'elles ne l'acceptent que par la force, et celle-ci même est impuissante si elle n'atteint pas les personnes et les intérêts. Par une rigoureuse philanthropie, on éterniserait la guerre d'Afrique en même temps que l'esprit de révolte et alors on n'atteindrait même pas le but philanthropique. Agréez, etc.

Signé BUGEAUD.

Seize ans plus tard, en 1861, le colonel Pélissier, devenu maréchal de France, duc de Malakoff, gouverneur général de l'Algérie, était reçu par les colons à Mascara. Les notables lui faisaient les honneurs d'un cercle qui porte son nom en mémoire des luttes d'autrefois. Là, dans le voisinage du Dahra, au milieu de cette foule algérienne, les outrages que la presse française et les politiciens de l'époque avaient déversés sur lui revinrent à sa mémoire. Personne ne parlait avec plus d'originalité et de feu, on le sait, que ce soldat à l'écorce rude. Sous l'émotion du moment, il rappela ce terrible fait de guerre avec l'éloquence que lui donnait la conviction du devoir accompli, quelque pénible qu'il eût été. Il reçut ce jour-là un nouveau témoignage chaleureux de la reconnaissance des colons.

Ce malheureux évènement avait retardé d'un grand mois l'expédition de Kabylie. Le maréchal tenait, cependant, à la faire, malgré l'état avancé de la

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