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absence de quinze jours seulement. Quant à ces montagnards des tribus de l'Est, voisines des Kabyles indépendants, il ne fut pas question de désarmement. Toutefois, le maréchal tint à faire venir à Alger, pour une cérémonie d'investiture, les chefs qui venaient de faire leur soumission.

La cérémonie fut fort imposante, le maréchal y prit la parole en ces termes :

Nous ne craignons point de pénétrer dans les montagnes les plus escarpées. Vous n'ignorez pas combien les punitions dont nous frappons les coupables sont terribles; mais vous voyez aussi que notre cœur est miséricordieux. Allez retrouver vos frères; unissez vos efforts contre notre ennemi commun, que vous êtes assez forts pour chasser de votre pays s'il tentait d'y revenir. Sachez d'ailleurs que, s'il le fallait, mes soldats ne vous feraient pas défaut.

Dans la lettre intime ci-après, le maréchal exprime l'espoir que sa campagne de Kabylie vient d'assurer le repos du côté de Dellys pour quelque temps.

Le maréchal Bugeaud à la maréchale duchesse d'Isly.

Chère amie,

Alger, le 8 août 1845.

J'étais bien affligé de ne pas avoir de nouvelles de ton arrivée à Luchon, ni de ton passage à Toulouse. Enfin, ta lettre du 30 juillet est venue hier me rassurer. Une lettre de Comman, postérieure à la tienne d'un jour ou deux, me dit

que Léonie est triste, cela me rend triste aussi. Tu as bien raison de dire que ce brave général nous est dévoué. Soigne bien cet excellent homme. La chaleur m'avait un peu fatigué, je vais bien aujourd'hui, et je me prépare à partir du 1er au 5, pour voler auprès de vous. Compte sur le départ du 5. Je passerai trois jours à Saint-Amand, d'après l'invitation gracieuse de M. le maréchal Soult. Tu es aussi invitée, ainsi que ta fille. La correspondance est devenue très gracieuse et les affaires faciles. Gardez-vous bien, dans vos conversations, d'exprimer aucun mécontentement. Cela serait exploité.

Je crois avoir arrangé nos affaires du côté de Dellys, de manière à y avoir du repos pour quelque temps. Tout va bien partout ailleurs, excepté dans la subdivision d'Orléansville, où le chérif a paru.

Abdel-Kader est entouré de 30,000 à 40,000 émigrés. Il prépare un retour, c'est évident, et le Maroc le laisse faire. Il y a là un danger permanent. Madame Saint-Germain m'a donné les meilleures nouvelles de Charles. Il a grandi, il est sage, il aura des prix. Que j'aurai de plaisir à revoir ce cher enfant et à me promener avec lui à la Durantie!

Léonie veut-elle son petit cheval? Je crains que cela ne vous fasse bien des bêtes, et qu'elle ne s'en serve pas; nous ferons comme elle voudra.

Je serais bien aise de trouver ma voiture à Mèze, mais comment pourras-tu l'y envoyer à temps?

Une autre affaire grave achevait de se conclure à cette même époque; c'était l'échange des ratifications du traité avec le Maroc. Pendant l'hiver 1844-1845, le général de la Rue, plénipotentiaire français, avait séjourné sur la frontière, en conférence avec le pléni

potentiaire marocain. Le traité avait été signé au mois de mars et promulgué au mois d'août (1).

Bien des erreurs ont circulé à propos de la délimitation des frontières du Maroc, et aujourd'hui encore quelques personnes ignorantes ou prévenues critiquent cette délimitation.

La vérité est que le général de Lamoricière, s'appuyant sur les documents conservés dans les archives des Turcs et recueillis par les Arabes les plus compétents, remit alors au général de la Rue, chargé de la délimitation avec la collaboration du commandant Martimprey et de M. Léon Roches, tous les renseignements sur lesquels se sont appuyés les négociateurs pour cette délimitation.

La meilleure preuve que cette délimitation était

(1) Le traité avec le Maroc, signé le 18 mars 1845 (9 rebia ettani 1261) par le général comte de la Rue pour la France et Ahmida ben Ali pour le Maroc fut promulgué par le roi Louis-Philippe, à Eu, le 23 août 1845, inséré en français et en arabe au Moniteur algérien du 20 septembre 1845.

Les limites sont déterminées par les articles 3, 4, 5. L'article 3 fait commencer la frontière à l'embouchure de l'Oued Adjeroud, pour finir au col Teniet-es-Sassi, dont la jouissance appartient aux deux puissances. Les points frontières sont nombreux et désignés avec grand détail.

L'article 4 dispose que, dans le Sahara, il n'y a pas de limite territoriale à établir dans les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu'elle sert de passage aux Arabes des deux empires. Chaque souverain procédera comme il l'entendra sur ses sujets, mais il s'abstiendra envers les sujets de l'autre gouvernement. (Suit l'énumération de cinq tribus marocaines et deux tribus algériennes habitant ces contrées.)

L'article 5 désigne les Ksours. Ceux qui appartiennent au Maroc sont ceux de Yiche et de Figuig. Ceux qui appartiennent à l'Algérie sont Aïn-, Safra, Sfissifa, Assia, Tiout, Chellala, El-Abiod et Bou-Semrhoune.

Quant au pays au sud des Ksours, dit l'article 6, comme il est inhabitable et que c'est le Désert proprement dit, la délimitation en serait superflue. L'article 7 stipule la non-extradition de réfugiés, mais ajoute qu'AbdelKader et ses partisans ne jouiront pas du bénéfice de cette convention, car cela serait contraire à l'article 4 du traité du 10 septembre 1844.

T. III.

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avantageuse pour la France, c'est que Muiey abd Rhaman a destitué le chef marocain délégué à cette opération, et qu'il a fallu de grands efforts pour obtenir la ratification du traité de délimitation.

On aurait dû prendre, dit-on, la Malouïa pour frontière. C'était l'avis des négociateurs, mais le traité de Tanger interdisait cette limite, puisqu'il était stipulé que l'on conserverait les limites existant entre les Turcs et le Maroc au moment de la conquête.

Et d'ailleurs il est puéril de prétendre qu'une délimitation quelconque de frontière en pays musulman puisse être faite de manière à prévenir des difficultés. Ces difficultés ne proviennent pas de telle ou telle délimitation, mais sont inhérentes au caractère des tribus; et d'ailleurs, il faut bien le dire, plus cette délimitation est vague, plus elle est avantageuse pour le peuple le plus fort et le mieux préparé.

Dans le texte du traité ne lit-on pas :

Dans le Sahara, il n'y a pas de limite à établir, puisque la terre ne se laboure pas.

Et plus loin:

Quant au pays au sud des Ksours, comme il est inhabitable et que c'est le Désert proprement dit, la délimitation en serait superflue.

Le vague d'un pareil énoncé est parfaitement approprié à la nature du pays et à l'esprit des musulmans. Une énonciation précise, en certaines circon

stances, peut devenir fort gênante. C'est en se plaçant à ce point de vue que les gouvernements de 1830 à 1881 ont toujours refusé de délimiter la frontière tunisienne. Il est certain que l'autorité française s'est trouvée entravée lors de l'insurrection récente de Bou-Amema en 1881, par ce fait que ce même traité de 1845 mentionne formellement l'oasis de Figuig comme marocaine.

Dans une lettre du 12 août 1845 à la maréchale, le gouverneur général fait allusion à la rentrée du général de la Rue et à l'échange des ratifications du traité avec le Maroc.

Le maréchal à la duchesse d'Isly, à Bagnères-de-Luchon.

Alger, 12 août 1845.

Le général de la Rue rentrant en France par Cette et PortVendres, je lui donne quelques lignes pour toi, qu'il mettra à la poste à Perpignan. Nos relations de voisinage avec le Maroc sont définitivement réglées; le traité est ratifié. Les dispositions des agents de l'empereur, à Tanger, ont paru excellentes; mais, à la frontière, c'est tout différent.

Le même système d'hostile perfidie n'a cessé d'y régner. Abdel-Kader y fait ce qu'il veut, et y reçoit toute espèce de secours; et des cavaliers marocains, mêlés aux siens, viennent faire des courses sur notre territoire. Peut-être la ratification et une lettre très énergique de M. de la Rue à l'empereur feront-ils donner des instructions différentes aux chefs de la frontière.

Chère amie, je suis heureux de vous savoir dans un climat plus doux que celui-ci; la chaleur est accablante; beaucoup.

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