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sortir avec une fraction de son monde, soit pour rétablir l'ordre qui aurait été troublé, soit sous le prétexte de protéger le pays. Il peut, tout au plus, faire une sortie brusque et de nuit, à courte distance, pour arrêter des hommes signalés comme dangereux, ou pour tout autre coup de main partiel jugé nécessaire... Mais le détachement qui serait fait, dans ces cas fort rares, devrait être rentré au point du jour. S'il y a des actes à réprimer dans une tribu, il faut attendre, pour en demander compte, que quelque colonne vienne manœuvrer dans le pays.

Je terminerai le premier aperçu par des considérations majeures. Supposons, comme cela est arrivé, que l'insurrection éclate sur plusieurs points d'une province, ou dans plusieurs provinces en même temps, faut-il se croire obligé de courir partout pour éteindre l'incendie? Ceci serait contraire à toute bonne spéculation de la guerre et aux principes posés depuis longtemps. Notre effectif, bien que nombreux, ne l'est pas assez pour faire face à la fois à tous les dangers survenus et à survenir. Il faut donc ne se subdiviser que dans la mesure de ses forces, et de telle sorte que chaque subdivision soit parfaitement en état de vaincre l'ennemi qu'elle peut rencontrer dans le pays où elle doit opérer. Quand elle a vaincu, dompté celui-ci, elle court à celui-là. En un mot, il faut opérer comme nous l'avons fait de 1841 à 1843; tout le pays était alors insoumis; en avons-nous attaqué toutes les parties à la fois? Non, nous les avons vaincues successivement; cette action successive peut d'autant mieux s'appliquer à cette guerre, que les Arabes ne concentrent pas leurs forces à de grandes distances; on n'a généralement affaire qu'aux forces locales d'un certain rayon.

Laissez donc les autres s'agiter dans l'insurrection et ne vous croyez pas toujours obligés de courir au feu partout où

il se manifeste. Frappez vite et fort sur le premier foyer, ou

sur le foyer principal.

Le gouverneur général de l'Algérie,

Pour ampliation:

Le colonel faisant fonctions de chef

d'état-major général,

A. PÉLISSIER.

Maréchal DUC D'ISLY.

A peine débarqué, le maréchal Bugeaud écrivait à M. Guizot la lettre suivante :

Le maréchal Bugeaud à M. Guizot.

Alger, le 18 octobre 1845.

Je suis parfaitement convaincu, mon cher ministre, qu'un grand complot de révolte était ourdi depuis longtemps sur toute la surface de l'Algérie. Je l'ai fait avorter au printemps. dernier en écrasant les premiers insurgés qui se sont manifestés. Il a été repris à la suite du fanatisme que ranime le Ramadan. Plusieurs fautes graves, commises par des officiers braves, dévoués, mais ne connaissant pas assez la guerre, ont procuré à l'émir des succès qui ont certainement ravivé l'ardeur et les espérances des Arabes. Les circonstances sont donc très graves; elles demandent de promptes décisions. Ce n'est pas le cas de vous entretenir de mes griefs et des demandes sans l'obtention desquelles je ne comptais pas rentrer en Algérie. Je cours à l'incendie. Si j'ai le bonheur de l'apaiser encore, je renouvellerai mes instances pour faire adopter des mesures de consolidation de l'avenir. Si je n'y réussis pas, rien au monde ne pourra m'attacher plus longtemps à ce

rocher de Sisyphe. C'est bien le cas de vous dire aujourd'hui ce que le maréchal de Villars disait à Louis XIV: « Je vais combattre vos ennemis et je vous laisse au milieu des miens. »

Signé BUGEAUD.

Nous avons vu, après le retour triomphal du vainqueur d'Isly, combien les populations algériennes étaient promptes à l'enthousiasme et avec quelle facilité elles se laissaient aller à la confiance extrême. La terreur, il est vrai, n'était pas moins prompte à envahir leur cœur au premier incident fâcheux, et jamais peuple ne fut plus disposé à l'exagération et à la panique que la population de notre colonie. — C'est ainsi que, pendant l'absence du gouverneur général, le terrible événement de Sidi-Brahim prit les proportions d'une catastrophe épouvantable et d'un désastre sans précédent. A en juger par l'effroi qui se répandit à Alger, on aurait pu croire les résultats de nos campagnes entièrement compromis et le royaume arabe reconstitué entre les mains du puissant Émir. Il convient donc de raconter sans passion cet épisode et de rentrer dans la vérité.

Cet évènement, très improprement désigné par certains historiens sous le nom de « massacre de SidiBrahim », est un fait de guerre dans lequel, selon leur habitude, nos admirables soldats se sont défendus avec un héroïsme antique et ont vendu leur vie, pied à pied, après l'avoir, de prime abord, fort imprudemment compromise. Je trouve un saisissant récit de

ce combat de géants dans le livre Zouaves et Chasseurs à pied du général duc d'Aumale (Paris, 1855).

Nous occupions depuis un an, près des frontières du Maroc, une petite crique appelée Djemâa-Ghazaouat, mouillage fort médiocre, mais le meilleur de cette plage inhospitalière et le seul point d'où l'on pût assurer le ravitaillement des colonnes qui opéraient dans cette partie sans cesse agitée de nos possessions. Bien qu'on y eût déjà créé quelques établissements, les défenses en étaient à peine ébauchées. Aussi, le commandement en avait-il été confié à un officier d'une vigueur et d'une résolution bien connues, le lieutenant-colonel de Montagnac. Comme tout semblait tranquille sur la frontière, on avait, pour faciliter les subsistances et les fourrages, réuni à Djemâa plus d'infanterie et surtout de cavalerie qu'il n'en fallait pour la défense de ce petit poste. Tout à coup on apprend qu'Abdel-Kader a rassemblé des forces nouvelles et qu'il envahit notre territoire. Le général Cavaignac, qui commandait à Tlemcen, s'empresse de concentrer ses troupes : il envoie en conséquence des ordres à Djemâa; mais Montagnac était déjà en campagne. Informé que l'émir allait attaquer la tribu des Souhalia qui nous avait donné de nombreuses preuves de fidélité, il avait cru que l'honneur ne lui permettait pas de laisser nos alliés sans secours, et, malgré la défense formelle qui lui en avait été faite, il sortit avec 62 cavaliers du 2 hussards et 350 hommes du 8° d'Orléans. En vain reçoit-il à son premier bivac les ordres de son général : avant de les exécuter, il veut avoir repoussé l'ennemi. Entraîné par sa bouillante ardeur, égaré par de faux renseignements, il morcelle encore sa troupe, laisse dans le camp le commandant Froment-Coste du se bataillon et s'avance avec sa cavalerie, soutenue par deux compagnies de chasseurs. Bientôt

un combat inégal s'engage. Abdel-Kader est là, avec tout son monde. A la première décharge, Montagnac tombe blessé mortellement. En peu d'instants, tous les chevaux, presque tous les hommes, sont atteints. Le commandant de Cognord, du 2o hussards, rallic ceux qui restent. Cette poignée de braves se serre sur un mamelon et ne cesse de s'y défendre jusqu'à ce que les munitions soient épuisées. Alors les Arabes, se rapprochant de ce groupe devenu immobile et silencieux, «< le font tomber sous leur feu comme un vieux mur ». L'ennemi ne ramassa que des cadavres et des blessés qui ne donnaient plus signe de vie. Avant d'expirer, Montagnac avait fait appeler le commandant Froment-Coste. Ce dernier accourt avec une compagnie; ce nouveau détachement est entouré et, après une héroïque défense, détruit jusqu'au dernier homme (1).

Restait la compagnie de carabiniers du 8°, commandée par le capitaine de Géreaux. Les Arabes vont fondre sur elle de toutes parts. C'est, en effet, la présence de l'ennemi qui apprend à la fois à Géreaux le danger qui le menace et le désastre de ses compagnons. Mais son courage ne se trouble pas. Il rassemble sa petite troupe, se saisit du marabout de Sidi-Brahim qui est à sa portée et s'y barricade. Il y est aussitôt attaqué avec fureur. Cependant le feu des grosses carabines décime les assaillants, dont les plus hardis sont renversés à coups de baïonnette. Abdel-Kader, qui dirige le combat, le suspend un moment. Il envoie au capitaine français une sommation écrite, l'engageant à cesser une lutte inutile, promettant la vie sauve à ses hommes. Géreaux lit la lettre aux chasseurs d'Orléans qui n'y répondent que par les cris de Vive le Roi!

(1) Blessé et sans connaissance, le chef d'escadron Courby de Cognord allait être décapité, lorsqu'un vieux régulier d'Abdel-Kader reconnut l'officier supérieur aux soutaches de son dolman. On l'emporta; il se rétablit et fut rendu à la liberté l'année suivante: il est aujourd'hui officier général. (Note du duc d'Aumale, 1855.)

T. III.

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