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face, de pénétrer dans leur demi-cercle. Loin de nous la pensée de comparer à un simple jeu d'enfants les veilles et les fatigues surhumaines de notre armée d'Afrique pendant l'hiver de 1845 à 1846. Mais, cette réserve faite, nous nous arrêterons à une pareille image, parce qu'elle représente bien les marches et contremarches de nos colonnes luttant d'énergie et d'activité pour empêcher l'ennemi de pénétrer dans le Tell.

Par l'ennemi, l'on entend désigner ici l'adversaire principal, Abdel-Kader; car nous en avions un autre. Le loup se trouvait dans la bergerie dans la personne de Bou-Maza. Ce dernier était aussi difficile à joindre dans l'intérieur que l'Emir sur notre périmètre. D'ailleurs les Bou-Maza se multipliaient; il en avait surgi successivement une douzaine, se distinguant par des surnoms, mais s'appelant tous Mohammed ben Abdallah. Une vieille légende musulmane voulait alors qu'un certain Mohammed ben Abdallah dût nous jeter à la mer. Il suffisait qu'un fanatique isolé vînt prêcher la guerre sainte, sous ce nom, pour soulever les tribus en apparence les mieux pacifiées.

Contre ces ennemis de l'intérieur, le maréchal avait organisé aussi une pléiade d'intrépides gens de guerre qui ne le cédaient point aux autres en énergie. C'étaient, outre Bedeau, Comman à Blidah; Saint-Arnaud à Orléansville; Canrobert à Tenès; Bourjolly à Mostaganem; Eynard avec un corps mobile sur le Chélif (1).

(1) On doit ajouter à ces noms illustres ceux du lieutenant-colonel Bosquet, chef du bureau arabe à Mostaganem, du capitaine Trochu, aide de camp du maréchal. Il faut noter comme curiosité le nombre singulier

Nous eûmes simultanément jusqu'à dix-huit colonnes en mouvement.

L'incendie, il est vrai, se manifestait, partout à la fois, dans le Dahra, sur le Chélif et ses affluents; sur la lisière du Maroc, et dans le petit Désert du Tittery.

Avant d'en venir aux opérations personnelles du maréchal contre l'Émir, nous nous occuperons sommairement des soulèvements de l'intérieur. Au cours de l'été, plusieurs chérifs avaient prêché isolément la guerre sainte, plus spécialement dans la région comprise entre le Chélif et la mer; plusieurs aussi avaient été livrés à l'autorité française qui avait sévi sans pitié.

Nous citerons, à titre d'exemple, l'histoire d'un Mohammed ben Abdallah qui parut au commencement de septembre 1845 chez les Beni-Ferah et les BeniMenacer. Le commandant supérieur de Cherchell fit sortir 350 hommes pour dissiper le rassemblement. Un combat très vif eut lieu le 6 septembre, dans l'Oued-Meselmoun. Nous avions eu déjà cinq tués et vingt-deux blessés, quand, au milieu d'un feu des plus vifs, le chef du bureau arabe de Cherchell, Moullé, et l'agha des Beni-Menacer sortirent des rangs, représentèrent aux insurgés leur folie, leur promettant l'aman s'ils livraient le fanatique. Une heure après, le chérif Mohammed garrotté, avec son domestique, était amené à Cherchell sous l'escorte de

de ces soldats de 1845 destinés à gagner le bâton de maréchal de France. Trois d'entre eux, Cavaignac, Trochu, Mac-Mahon, étaient destinés à devenir chefs de l'Etat.

vingt-sept de ces mêmes Beni-Menacer qu'il venait d'entraîner au combat.

Condamnés à mort à Alger par les diverses juridictions militaires (2° conseil de guerre et conseil de revision), ces deux malheureux furent ramenés, pour être exécutés, au milieu même de la tribu qu'ils avaient soulevée. Il n'y eut pas plus de merci pour le Sancho que pour le Don Quichotte.

Son histoire était celle de tous les prêcheurs de guerre sainte (Djehed) qui ont précédé et de tous ceux qui devaient surgir. Un homme se présente, seul, aux Arabes un jour de marché, un chapelet à la main, quelques versets du Coran à la bouche. Ceux qui l'écoutent vont peut-être l'acclamer, peut-être le livrer; plus souvent le suivre d'abord et le livrer ensuite!

Le jour même de l'exécution du Bou-Maza des Beni-Menacer (22 septembre), -et ce jour était aussi celui du combat de Sidi-Brahim, -un autre Mohammed ben Abdallah, le vrai Bou-Maza, tombait à l'improviste sur la colonne Bourjolly manœuvrant sur le haut Riou et l'obligeait à rétrograder. Le 23, à Touazi, le général vit son arrière-garde chaudement attaquée; les escadrons du 4° chasseurs d'Afrique durent charger vigoureusement pour dégager le 9° chasseurs d'Orléans, dont le commandant Cler eut le genou percé d'une balle. Le colonel Berthier, officier d'ordonnance du Roi, fut tué en conduisant cette charge. La colonne, poursuivant cette retraite pénible, arriva à Relizane le 25.

Bou-Maza poussa jusqu'aux jardins de Mostaganem, d'où il fut repoussé par le lieutenant-colonel Mel

linet. Rejoint successivement par le colonel Géry, puis par le général de Bourjolly, Bou-Maza prit la fuite non sans perte. Mais, tout l'hiver, il tint en haleine Saint-Arnaud, commandant d'Orléansville, et Canrobert, commandant de Tenès. Ce dernier devait lui infliger un échec sévère à Badjena les 29 et 30 janvier 1846. Atteint, le 15 mars, à l'Oued Ksa par SaintArnaud, Bou-Maza reçut dans cette affaire une blessure au bras dont il ne guérit jamais. Il fut châtié de nouveau les 23 et 24 avril par Canrobert à Sidi-Khalifa.

Voilà pour ce qui concerne le vrai Mohammed ben Abdallah, que nous connaissons sous le nom de BouMaza. Quant à ses homonymes ils pullulaient. La correspondance du colonel Saint-Arnaud en porte notamment témoignage (1).

Le 3 novembre, un chérif de vingt ans, désigné plus spécialement sous le nom du Bou-Maza des Beni-ZougZoug élait parvenu à soulever les tribus du Chélif entre Orléansville et Milianah, et avait effectué une razzia sur les Ouled-Segris. Informé, le général Comman hâta sa marche vers Milianah afin de rassurer les tribus fidèles. Les Beni-Zoug-Zoug arrêtèrent ce fanatique et le conduisirent à Milianah, où il fut remis au commandement supérieur.

(1) Tous ces chérifs (cheurfa), écrit-il le 3 novembre, paraissent et disparaissent. ».

Puis, le 6 décembre : « Je poursuis à mort les chérifs, qui poussent comme des champignons. C'est un dedale; on ne s'y reconnait plus. Depuis l'aîné, Bou-Maza, nous avons Mohammed-bel-Cassem, Bou-Ali, Ali-Chergui, Si-Lârbi, Bel-Bej, enfin je m'y perds. J'ai déjà tué Ali-Chergui chez les Medjaja, je viens de tuer Bou-Ali chez les Beni-Derjin. Je voudrais bien aussi mettre la main sur Ben-Hinni, »

<«< Cet homme, dit le Moniteur Algérien, qui n'a pas plus de vingt à vingt-deux ans, est d'un fanatisme et d'une arrogance incroyables. Il a déclaré à ceux qui l'ont interrogé qu'il était l'envoyé de Dieu et d'un grand marabout, suscité pour soulever les populations de l'Est et faire triompher la religion des trois croyants (1).

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Ce malheureux fut condamné à mort par jugement du conseil de guerre du 15 novembre. On l'a considéré comme le frère de Bou-Maza, parce qu'il le déclara devant la justice. Mais les Arabes fanatisés se disent souvent frères l'un de l'autre, sans qu'il y ait entre eux d'autres liens que des liens spirituels. L'identité du prénom Mohammed ben Abdallah rend improbable la fraternité du sang.

Un autre Mohammed ben Abdallah surgit, dès le 20 septembre, dans le Djebel Dira, au sud du Tittery. Celui-là commença par décapiter nos caïds. Le

(1) Les journaux du temps et les Annales algériennes ont reproduit l'interrogatoire du prétendu frère de Bou-Maza (Mohammed ben Abdallah); ses réponses, à la veille du supplice, étaient empreintes d'une grande élévation de sentiments.

D. Qu'avez-vous à reprocher aux Français? Des vols, des exactions, des injustices, des crimes? Dites sans crainte la vérité ?

R. Rien de tout cela; les Arabes vous détestent parce que vous n'avez pas la même religion qu'eux, parce que vous êtes étrangers, que vous venez vous emparer de leur pays aujourd'hui, et que demain vous leur demanderez leurs femmes et leurs enfants. Les Arabes disent à mon frère Guidez-nous, recommençons la guerre; chaque jour qui s'écoule consolide les chrétiens; finissons-en sur l'heure. D. Beaucoup d'Arabes savent nous apprécier et nous sont dévoués.

R. Il n'y a qu'un Dieu. Ma vie est dans sa main et non dans la vôtre; je vais vous parler franchement. Tous les jours vous voyez des musulmans vous dire qu'ils vous aiment et sont vos serviteurs. Ne les croyez pas! Ils vous mentent par peur ou par intérêt. Chaque fois qu'il viendra un chérit qu'ils jugeront capable de vous vaincre, ils le suivront, fùt-ce pour vous attaquer dans Alger.

D. Comment les Arabes peuvent-ils espérer nous vaincre, conduits par des chefs qui n'ont ni armée, ni canons, ni trésors?

R. La victoire vient de Dieu; il fait, quand il le veut, triompher le faible et abat le fort,

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