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Son entrée, dans ce jour d'émotions, fut l'occasion des manifestations les plus touchantes. L'intrépide maréchal, avant de prendre un instant de repos, passa en revue les deux bataillons de la milice d'Alger qu'il trouva sur pied.

Cette campagne pénible a été décrite à grands traits d'une plume magistrale par le général Trochu, qui, en qualité d'aide de camp, n'avait point quitté le maréchal et avait partagé toutes ses fatigues. Nous ne saurions mieux faire que de citer in extenso ce récit remarquable, qui mentionne en termes émus les incidents de guerre et le triomphe improvisé au retour:

Cette campagne n'a pas été la plus féconde en périlleux et brillants combats, mais la plus étendue, la plus active et la plus efficace de toutes celles qui ont rempli et honoré son gouvernement de l'Algérie.

Dix-huit colonnes mobiles furent mises en mouvement. Celle que commandait le maréchal en personne ne comptait pas plus de 2,500 baïonnettes et 400 sabres. Des marches, des contre-marches, des fatigues écrasantes, des efforts inouïs furent imposés à toutes; mais pas une, à proprement parler, ne combattit sérieusement l'ennemi, qui, ne s'étant organisé nulle part, demeurait insaisissable, on pourrait dire invisible. La petite cavalerie du maréchal rencontra seulement à Temda celle d'Abdel-Kader, qui ne fit pas grande contenance et s'en alla de très bonne heure, paraissant obéir à un mot d'ordre de dispersion. Finalement, lorsque les dix-huit colonnes épuisées étaient au loin, en opération, celle du maréchal entre Médéah et Boghar, on apprit soudainement qu'AbdelKader, les tournant toutes avec 2,000 cavaliers du Sud, avait

T. III.

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pénétré par la vallée de l'Isser jusque chez les Khrachna dont il avait tué les chefs nos agents et pillé les tentes. Il était donc à l'entrée de la Mitidja, la plaine de la grande colonisation, défendue seulement par trois ou quatre douzaines de gendarmes dispersés, à douze lieues d'Alger qui n'avait pas de garnison, et où un bataillon de condamnés, outre la milice, dut être formé à la hâte et armé. L'alerte fut des plus vives; Alger ne courait là aucun risque, ni l'Algérie non plus, car la pointe audacieuse d'Abdel-Kader ne pouvait être qu'une incursion; mais les oreilles des colons de la Mitidja l'échappèrent belle!

La sérénité du maréchal dans cette redoutable crise, on pourrait dire sa gaieté, nous remplit d'étonnement et d'admiration. Ce calme profond d'un chef responsable sur qui la presse algérienne et métropolitaine s'apprêtait à déchaîner toutes ses colères, et aussi des veilles continuelles, des fatigues excessives pour son âge, furent, dans cette campagne ultra laborieuse de près d'une année, des faits qui mirent dans un nouveau relief la vaillante organisation morale et physique du gouverneur. Mais son rôle dans l'action ne différa et ne pouvait pas différer de celui des autres généraux lancés comme lui, avec de petits groupes, à la poursuite d'un ennemi qui n'avait pas de corps et se montrait partout inopinément, alors que les populations indigènes, d'ailleurs. restées en intelligence avec lui, s'étaient généralement soumises et avaient repris leurs campements accoutumés.

La guerre se termina tout à coup, comme il arrive si souvent, par un hasard qui fut un coup de fortune inattendu. Les cavaliers d'Abdel-Kader étaient des gens du Désert, grands pillards, et qui, une fois gorgés de butin, n'avaient plus, selon leur coutume, qu'une préoccupation, celle de le remporter à leurs tentes, entreprise qni avait ses difficultés et ses périls. En ce moment, dix compagnies de jeunes soldats

venant de France et un bataillon venant de Djidjelli furent envoyés à tout hasard contre l'Émir dans l'Isser. Ils surprirent la nuit, un peu surpris eux-mêmes, je crois, ses gens livrés aux idées de retour que j'ai dites. Aux premiers coups de fusil, les Arabes se débandèrent et coururent vers le Sud. Abdel-Kader abandonné faillit être pris, et ne put jamais se relever de cet échec qui ne nous coûta rien.

De cette campagne, qui ne fut marquée par aucune action militaire éclatante, le maréchal parlait souvent avec complaisance, et c'était à bon droit; elle fut l'une des plus grandes crises, la plus grande crise peut-être de sa carrière algérienne. Quand il rentra dans Alger avec une capote militaire usée jusqu'à la corde, entouré d'un état-major dont les habits étaient en lambeaux, marchant à la tête d'une colonne de soldats bronzés, amaigris, à figures résolues et portant fièrement leurs guenilles, l'enthousiasme de la population fut au comble. Le vieux maréchal en jouit pleinement. C'est qu'il venait d'apercevoir, de très près, le cheveu auquel la Providence tient suspendues les grandes renommées et les grandes carrières, à un âge (soixante-deux ans) où, quand ce cheveu est rompu, il est difficile de le renouer.

Bien que cet éloquent récit de la campagne de cinq mois, dû à la plume du général Trochu, soit complet, nous ne croyons pas devoir passer sous silence l'ordre du jour que le maréchal adressa aux troupes à sa rentrée à Alger, ainsi que son allocution aux milices.

Au quartier général à Alger, le 2 mars 1846.

Officiers, sous-officiers et soldats,

Dans cette campagne de cinq mois d'hiver, je me suis abs

tenu de vous parler par la voie de l'ordre du jour ; je connaissais votre dévouement à la France, l'élévation de votre moral, la force de votre discipline. J'étais bien sûr que vous supporteriez avec la persévérance qui triomphe de tous les obstacles, les marches incessantes, les privations de tous genres, les plus rudes intempéries.

Vous n'êtes pas restés au-dessous de la haute estime que j'ai de vous.

Je suis heureux et fier de dérouler sous vos yeux le tableau des résultats obtenus par votre énergique patriotisme. Vous trouverez dans cet ensemble une digne récompense de vos nobles sacrifices.

Le soulèvement du pays conquis était fomenté de longue main par le chef habile que vous avez si souvent vaincu, mais qui n'a pas encore renoncé à vous arracher votre conquête. A la fin de septembre, il se présenta sur votre frontière de l'Ouest, non pas en chef de partisans, comme on l'a dit, mais en véritable prétendant qui s'appuyait sur l'amour des Arabes, sur le fanatisme religieux, sur le sentiment national et sur l'autorité que lui avaient donnée dix ans de règne.

Les petits succès qu'aux premiers jours, il dut à la trop grande audace de quelques officiers enflammèrent les indigènes. La révolte éclata sur toute la province d'Oran, gagna rapidement l'ouest et l'est de celle d'Alger, et apparut, timide encore, sur quelques points de celle de Constantine.

Votre tâche devint encore plus compliquée que celle de la conquête. Il est plus difficile de conserver que de conquérir. Évacuer une partie du pays pour se concentrer, c'eût été laisser à notre adversaire les ressources de l'impôt et du recrutement, ainsi que toutes les forces locales. Il aurait formé bientôt une armée régulière pour appuyer les goums des tribus. C'eût été aussi renverser le gouvernement des Arabes,

si péniblement institué par nous, et livrer à la vengeance implacable d'un chef irrité tous les hommes compromis pour

notre cause.

Comment plus tard aurions-nous pu reconstituer ce gouvernement si nous avions lâchement abandonné les chefs qui, presque tous, nous sont restés fidèles?

Il fallait tout conserver: vous l'avez fait en multipliant votre action et vos forces par la mobilité et le concours mutuels que se sont prêtés les trois divisions de l'armée.

Toutes les insurrections de quelque importance ont été successivement vaincues; vous n'avez pas permis à l'ex-Émir de s'asseoir ni de rien organiser nulle part. A peine arrivait-il sur un point que vous y paraissiez. Après avoir échoué dans tout le Tell, de la frontière du Maroc au Djurjura, il s'est vu forcé de chercher un appui dans la grande Kabylie. Vos colonnes l'y ont suivi de près, et, par leur attitude énergique, elles ont déterminé les Kabyles du Nord à le repousser de leur pays. Il a cru pouvoir s'arrêter chez ceux du Sud : vous l'en avez bientôt chassé. En fuyant, il a tenté un coup de main sur nos alliés. Le colonel Camou, à Boïn, comme le général Gentil sur l'Isser, ont converti son entreprise en un grand échec.

Le général Yusuf l'a poursuivi dans le Désert, l'a atteint le 13, à dix-huit lieues du sud de Zarhez, c'est-à-dire à près de dix lieues du Tell. Ses pertes matérielles, en cette occasion, sont considérables, mais l'atteinte portée à son influence est bien plus considérable encore. Comment pourra-t-il, sous le coup de deux défaites, exécuter les projets qu'il avait formés contre le sud de la province de Constantine?

Abdel-Kader cherchera de nouveaux soldats pour vous attaquer encore sur les points où il croira vous trouver faibles. Vous y accourrez, vous finirez par lasser sa persévérance, et

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