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Qu'importe même que Dieu ait parlé? sa parole, ses commandements n'obligeant point sous le rapport légal, puisque l'État doit être étranger à toute religion, j'en prends ce que je veux, j'en retranche ce que je veux. Or l'homme-pouvoir est nécessairement souverain de lui-même, comme tout autre homme comme tout autre homme, il n'a de règle que sa raison et que sa volonté. Tout ce qu'il pensera sera donc vrai, tout ce qu'il voudra sera donc juste. Et quand il existeroit une autre justice, une autre vérité, il ne pourroit pas les reconnoître comme chef de l'État, et leur imprimer le caractère légal et obligatoire; car ce seroit soumettre l'ordre civil à l'ordre spirituel, et transformer la loi religieuse en loi politique. Le libéralisme ne sauroit done, s'il n'abandonne ses maximes, établir jamais qu'un pouvoir complètement et radicalement arbitraire; et sous ce second rapport, il trompe encore le juste désir de liberté qui émeut les nations chrétiennes.

Pour résumer ce qui vient d'être dit, dès qu'on n'admet qu'un pouvoir humain, on

consacre la servitude: dès qu'on rejette la Loi divine, on rejette tout principe de justice obligatoire, et l'on consacre la tyrannie: dès qu'on sépare l'ordre politique de l'ordre religieux, on se prive de toute garantie imaginable contre l'arbitraire. Qu'est-ce, en effet, que gouverner arbitrairement? C'est substituer à la Loi de justice, sa volonté propre, son caprice. Donc, pour se garantir de cet abus, il sera nécessaire d'opposer à la force qu'on appelle pouvoir, une autre force qui la réprime. Mais cette force sera-t-elle spirituelle ou matérielle? Si elle est matérielle, comme il faudra qu'elle soit plus puissante que le pouvoir pour l'arrêter, elle sera ellemême le pouvoir, ou la force dernière et prédominante. Nous voilà donc contraints de recourir à une troisième force pour réprimer à son tour celle-ci, et ensuite à une quatrième, et ainsi jusqu'à l'infini. Si, au contraire, elle est spirituelle, nous retombons dans le système des deux puissances subordonnées, c'est-à-dire, dans le système chrétien.

On voit ici pourquoi le libéralisme, éminemment social en tant qu'il veut la liberté,

est néanmoins, à cause des doctrines qui l'égarent, destructeur par son action. Il repousse le joug de l'homme, le pouvoir sans droit et sans règle; il réclame une garantie contre l'arbitraire qui ôte à l'obéissance sa sécurité : rien de mieux jusques-là; mais, séparé de l'ordre spirituel, il est contraint de chercher cette garantie si désirée, où elle n'est pas et ne peut pas être, dans des formes matérielles de gouvernement. Le vice qui l'irrite et l'inquiète est inhérent à la nature du seul pouvoir qu'il veuille reconnoître. Il le renverse aujourd'hui par un motif qui l'oblige à renverser demain celui qu'il aura mis à sa place; et ainsi sans fin et sans repos.

Frappée de ces conséquences aussi funestes qu'inévitables des maximes du libéralisme une autre classe d'hommes se jette aveuglément dans les extrémités contraires, non moins fatales en réalité, bien qu'il y ait encore au fond même des erreurs qui l'abusent, un sentiment juste et vrai. Que veulent, en effet, les royalistes? un ordre stable, qui ne peut exister sans l'obéissance au pouvoir. Ils ont donc raison de rejeter des principes in

compatibles avec toute obéissance, avec tout pouvoir, quel qu'il soit. Mais à ces principes faux, ils en opposent d'également faux, et qui choquent violemment la conscience humaine; de sorte que, dans la vérité, on ne dispute de part et d'autre que sur le mode de destruction, et qu'il n'est pas plus possible de constituer une société durable avec les doctrines royalistes gallicanes, qu'avec les doctrines appelées libérales.

L'origine du gallicanisme remonte aux temps où les Princes s'étant affranchis de F'autorité de l'Église, qui imposoit pour règle à leur pouvoir la Loi de justice universelle, n'en reconnurent plus d'autres que leur bon plaisir et leur intérêt, et après avoir peu à peu renversé les anciennes barrières qui défendoient les droits de chacun et la liberté de tous, transformèrent en despotisme l'antique monarchie chrétienne. Afin de consacrer

«Non seulement il s'agit de finir la guerre au dehors, « mais il s'agit encore de rendre au dedans du pain aux « moribonds, de rétablir l'agriculture et le commerce, « de réformer le luxe qui gangrène toutes les mœurs de

ces envahissements successifs, on inventa surtout en France, un nouveau droit public, dont les parlements se firent les gardiens; et, en 1682, des évêques serviles proclamèrent comme un dogme de la religion, ce qui n'avoit été jusques-là qu'une lâche flatterie des cours judiciaires, savoir, que la souveraineté chez les peuples chrétiens est indépendante du Christ et de sa loi. On conçoit que, depuis lors, les maximes des Princes soient devenues les maximes de ceux qui leur étoient dévoués; qu'on ait conçu le pouvoir comme ils le concevoient eux-mêmes; qu'on se soit attaché sans examen à ce qui existoit de fait, et qu'ainsi l'on ait confondu très dange

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« la nation, de se ressouvenir de la vraie forme du « royaume, et de tempérer le despotisme, cause de tous « nos maux ». Lettre de Fénelon au duc de Chevreuse; Corresp., t. 1, p. 392. Depuis environ trente ans, « vos principaux ministres ont ébranlé et renversé pres<«< que toutes les anciennes maximies de l'État, pour faire « monter jusqu'au comble votre autorité.... On n'a plus parlé ni de l'État ni des règles, on n'a parlé que du « Roi et de son bon plaisir ». Lettre de Fénelon à Louis XIV; Corresp., t. II, p. 334.

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