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Le 10 août, à huit heures et demie du matin, un jeune homme de trente ans, en bonnet et en uniforme de garde national, est pris et mené par le peuple à la section des Feuillants. Il réclame contre son arrestation. Il exhibe un ordre ainsi conçu : « Le garde national porteur du présent ordre, se rendra au château pour y vérifier l'état des choses et en faire son rapport à M. le procureur général syndic du département. Signe Borie et Leroulx, officiers municipaux1. » Théroigne, qui présidait aux colères populaires, en son amazone écarlate 2, le sabre en bandoulière, entre dans la cour des Feuillants 3. Elle monte au comité demander des têtes. Une plieuse des Actes des Apôtres désigne l'homme à Théroigne. Théroigne pousse à lui sabre au poing.

1. Le Dernier tableau de Paris, par Peltier. Londres, 1792.

2. Actes des Apôtres, vol. II. — 3. Le Dernier tableau de Paris.

L'homme arrache le sabre, se défend. On le massacre1.

Cet homme dont le sang inaugurait la journée était un gazetier c'était Suleau qui, dans les Actes des Apôtres, avait tant et si souvent ridiculisé les amours de Théroigne et du député Populus. C'était ce Suleau, un esprit bien portant, toujours en dépense de saillies et de forts éclats de rires, une gaieté déréglée mais contagieuse, une verve bouillante de bon sens, un méridional du Nord, aimant le péril pour le péril, tordant sans peur les ironies âcres sur les têtes des Mirabeau, des Barnave, des Lafayette et des Robespierre, joyeux complice des causes perdues; de son indignation faisant de sanglants vaudevilles, gai comme sa plume, vivant vite, préférant « la ceinture des Grâces à l'écharpe de la mairie 2, » le cœur réjoui quand il avait piqué le Minotaure jusqu'au sang, tout plein de forfanteries braves, un polémiste de lazzis et de caricatures, ne triant guère ses drôleries, les jetant à belles poignées dans les jambes des colosses, bouffonnant sur une révolution! C'était ce Suleau dominant de sa moquerie énorme la Ménippée gauloise de l'Apocalypse et du Journal de la Démocratie royale.

Chose étrange! dans ce Marignan où la noblesse a tout perdu, la presse royalistele vieil esprit de la France, parlant à des Français laisse les pleureuses à Durosoy et à Royou; pour vengeance et pour défense, elle secoue les grelots de la Folie; contre le canon de la Bastille, elle ne veut que l'arme blanche des plaisanteries; elle proteste contre la révolution par la parodie; et elle s'en va pleurant la monarchie mourante avec les quolibets et les joyeusetés enragées!

1. Le Dernier tableau de Paris. - 2. Actes des Apôtres, vol. III.

Les temps avaient beau se rembrunir, l'avenir se faire prévoir, « les Arlequins se faire anthropophages, le peuple prendre des lanternes pour des lois1, » Suleau gardait sa libre gaieté. Des Jacobins brûlaient les Actes des Apôtres, saccageaient le libraire Gattey; lui, il rossait les colporteurs de la Correspondance de la reine, et écrivait à un président de district « pour avoir l'honneur de lui apprendre qu'il venait de se donner le passe-temps d'un nouveau crime de lèse-nation 2. » Et tout cela avec une grâce d'insolence, et une fleur de provocation toute plaisante. Arrêté, emprisonné cinq mois « en son hôtel du Châtelet, où il avait toujours son domicile de droit et souvent de fait, » il ne tarit pas de sarcasmes et d'imaginations insultantes. Jamais accusé ne railla l'accusation d'une façon plus osée. A ce Châtelet, qui laissait mettre dans la balance de la justice le poids des événements, il apportait, des cachots d'Amiens, ses sarcasmes picards, amusant toute la prison et le dehors de ses pantomimes et de ses bons mots. S'il venait à l'instruction, il demandait une carafe d'orgeat, mettait un quart d'heure à la prendre, sortait, rentrait, se promenait dans l'audience, riait, chantait, disait au magistrat « Ah! c'est bien dommage que le comité des Recherches ne vous ait pas envoyé telle ou telle autre brochure! Elles sont bien meilleures que celles que vous me présentez. Elles vous auraient beaucoup plus amusé. » — Il saluait le public : « Bien des pardons, messieurs, si je ne vous divertis pas davantage 3. » A l'accusateur, quand on l'emmenait de l'audience : « Voulez-vous venir dans la carrière? » Au porte-clefs il demandait une

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2. Id., vol. III.

contremarque pour sortir 1. A un chevalier de Laisert, coupable d'une brochure incendiaire, et qui lui disait être cousin de M. de Lafayette : « Ah! monsieur, que me dites-vous là? vous êtes perdu! Votre parent n'a plus besoin pour devenir connétable que d'un pendu dans sa famille ! » Une autre fois, de la prison de l'Abbaye, il écrivait à ses abonnés qu'il transférait son bureau de souscription au Comité des Recherches, et son bureau de distribution dans la prison 2. Ces brocards et ces extravagances de Suleau captif étaient la nouvelle de tout le Paris aristocrate qui soupait encore. Du salon de la marquise de Ranne, ses fredaines se colportaient chez toutes les petites-maîtresses d'opinion orthodoxe3.

Pourtant, ne croyez pas que ce gazetier fût seulement un égayeur de soupers. Au moment où le bourreau avait pris Favras, la voix qui avait crié tout haut à Favras une promesse de vengeance, ç'avait été la voix de Suleau. Les guerres d'épigrammes d'alors n'étaient point seulement une question d'encre : Suleau savait tout ce qu'il jouait à avoir de l'esprit, et cela ne lui en ôtait point. Chaque jour c'étaient des lettres anonymes qui le prévenaient d'un projet d'assassinat tramé contre lui; et Suleau allait toujours son chemin tout droit. «Mon existence écrivait-il en

persiflant est un miracle continuel de la fée tutélaire de l'aristocratie; moi qu'un réverbère ne voit jamais sans un mouvement de convoitise "... » Et comme aiguillonné, il lançait d'une fronde plus raide le caillou de David. Il entendait rôder la bête autour de lui. Il raillait : « Mon sang? Eh! qu'en veulent-ils faire, bon Dieu! le veulent-ils

1. Journal de la Cour. Février 1790.

2. Actes des Apôtres, vol. III. 3. Journal de Suleau. 1791. 4. Actes des Apôtres, vol. V.

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boire 1?»« Quand il s'agira de me séparer de ma tête, je ferai comme saint Mirabeau, je la léguerai à mon valet de chambre 2. >> Il souriait à la couronne prévue de ses audaces; et, comme un gladiateur qui salue sa mort, il s'écrie quelque part : « Serai-je tumultuairement déchiré par la rage d'une multitude? Eh bien! c'est le sang des martyrs! il fera des prosélytes 3!» De cet homme, les adversaires mêmes reconnaissent la loyauté de controverse; à cet homme, Loustalot a dit, sans le faire réfléchir, en sortant un jour de chez le garde des sceaux : « M. Suleau, il n'y a pas de l'eau à boire avec tous ces gens-là. Si la cour ne vous a pas assuré 1,000 louis de pension, vous faites un métier de dupe. » Cet homme « fait son métier de dupe » sans aucune considération d'intérêt ni prochain ni indirect. Cet homme se vante de seize quartiers de roture, et il sacrifie gratuitement son repos, sa santé, sa vie à la cause des opprimés. Dans l'abdication des résistances, cet homme est seul debout.

Eh bien, ce noble cœur, ce vaillant rieur « qui n'a pour cortége que son courage, sa plume et son épée, » qui se risque à toutes les heures, l'aristocratie l'abandonne dans son courage! Oui, ceux-là qui lui doivent à tant de titres estime et reconnaissance, ne veulent de son héroïsme que sous bénéfice d'inventaire, tout prêts à l'oublier s'il vit, à ne pas se le rappeler s'il meurt! « C'est une tête exaltée dont il est prudent de se garer 5; » et c'est dans l'aristocratie même qu'on l'appelle le Marat de l'aristocratie! C'est le bravache Meude-Monpas qui le baptise de Suleau-Caméléon !

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2. Journal de Suleau. 1791. 4. Journal de Suleau, vol. II.

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