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OCT 3 1838

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La Révolution française commerça dans l'opinion publique du xviie siècle : eile commença dans les salons.

Lentement, depuis la mort de Louis XIV, les salons ont marché à l'influence. Ils ont eu l'Encyclopédie pour hôtesse; et de leurs portes mi-fermées, une armée d'idées, la philosophie, s'est répandue dans la ville et dans la province, conquérant les intelligences à la nouveauté, les familiarisant d'avance avec l'avenir. Et pendant que le trône de France diminue, et apprend l'irrespect aux peuples, les salons tirent à eux le regard et l'occupation du public. Dans l'interrègne des grandeurs royales, ils s'exercent à régner. Aux temps de Louis XVI, cette domination latente,

non officielle, mais réellement et quotidiennement agissante, a grandi dans la volontaire abdication d'une cour purifiée, mais sans éclat comme sans initiative. Ce n'est plus alors Versailles qui est l'instituteur et le tyran de Pa ris; c'est Paris qui fait penser Versailles, et les ministres prennent conseil des sociétés, avant d'ouvrir un avis à l'OEil-de-Boeuf1.

Dès que la révolution commence à émouvoir le royaume, dès qu'elle jette aux inquiétudes et aux aspirations les tressaillements précurseurs, les salons dépouillent leur légèreté, leur agrément; ils renoncent à leur charme d'école de politesse, de langage et de galanterie : ils deviennent salons d'État. Les bureaux d'esprit se mettent à distribuer la popularité; et la politique, faisant désormais les lendemains de la société française, réglant désormais l'avenir des fortunes et jusqu'à la durée des existences, la politique entre en victorieuse dans les esprits, des envahit, les asservit, chassant brutalement la conversation comme une femme chasserait une fé

Ce n'est plus alors ce jugement des hommes et des choses, voltigeant, vif, profond parfois, mais toujours sauvé par le sourire; c'est une mêlée de voix pesantes, où chacun apporte non le sel d'un paradoxe, mais la guerre d'un parti. Les femmes, qui devaient des grâces si précieuses au train de société du vieux temps, ont déserté la conversation; et elles ont usé vis-à-vis d'elle de toute l'ingratitude qu'elles mettent d'ordinaire à quitter une mode embellissante, mais vieille, pour une mode désavantageuse, mais nouvelle. Comme tout à l'heure, elles étaient

1. Du gouvernement, des mœurs, etc., par Senac de Meilhan. Hambourg, 1795.

affolées des montgolfières, de Mesmer, de Figaro, elles sont maintenant éprises de la Révolution. Elles se font sourdes à ces conseils de l'expérience qui leur disent de ne point se commettre en de si grands intérêts; que ni la nature ni l'éducation ne les ont faites mûres pour ces disputes, apanages et soucis virils; « qu'elles ne voient dans les choses que les personnes, et que c'est de leur affection qu'elles tirent leurs principes... que de leur société elles font une secte, de l'esprit public un esprit de parti, et qu'elles ne vont même au bien que par l'intrigue 1. » On ne voit plus que femmes jouant sérieusement avec l'abstrait et la métaphysique des institutions d'empires 2. « Aujourd'hui persifle l'Échappé du Palais tout le beau sexe est politique, ne traite que de la politique, et tourne tout en politique; et il n'est pas jusqu'aux soubrettes, ces Agnès désintéressées, qui n'en raisonnent pertinemment d'après leurs maîtresses 3. » Une maîtresse de maison n'est plus cette modératrice d'un cercle tranquille, et qui, en son hospitalière impartialité, accueillait chaque dire d'une oreille patiente. « C'est dit une femme une Penthésilée assise près d'une table à thé, tremblante de fureur, et, au milieu des violents débats, se brûlant les doigts, et répandant une tasse de thé sur sa robe *. » Les femmes ont bientôt fait les jeunes gens à leur image; les jeunes gens ne rient plus, ne courtisent plus : ils récitent les gazettes : « La même loi qui oblige aujourd'hui à avoir le gilet court et la culotte courte, commande la démocratie. Il vaudrait autant avoir les bras roulés sur les genoux que

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1. Lettres de la comtesse de au chevalier de ***.

2. Lettres de ces dames à M. Necker.

3. L'Échappé du Palais ou le général Jacquot.

4. Aperçu de l'État des mœurs, par H. Maria Williams, an ix, vol. II.

:

de ne pas appeler le roi le Pouvoir exécutif 1. » Toute l'ambition des jeunes gens est de jeter en entrant dans un salon bien garni : « Je sors du club de la Révolution; » et s'ils peuvent conter qu'ils se sont élevés jusqu'à une petite motion, ils ont, pour toute une soirée, tous les yeux et tous les cœurs 2. Car ce n'est plus pour l'écrivain, plus pour le peintre, plus pour le musicien que sont toutes les prévenances d'accueil : c'est pour le député, le confident de la Constitution, qui raconte le journal avant qu'il n'ait paru. C'est le Bathylle grave dont les femmes raffolent; et de quelles voix elles lui commandent : « Dès ce soir, je veux que vous me récitiez votre motion, je veux vos mêmes gestes, vos mêmes accents! » Et des jeunes femmes aux jeunes hommes, les étranges mots qui s'échangent en ces années : « Je n'ai pas oublié la brochure que vous m'avez recommandée : Qu'est-ce que le Tiers? Ce matin, pendant ma toilette, une de mes femmes m'en a lu une partie... »

ou bien encore: « Savez-vous que depuis que vous êtes dans le Tiers, je ne gronde plus mes gens?» - Alors, dans les boudoirs discrets et secrets, « le rose tendre du meuble disparaît sous le noir de mille follicules éparses et de brochures circonstancielles. » Alors les élégantes manquent le spectacle pour l'assemblée nationale; si bien que les billets de tribune s'échangent contre des billets d'Opéra ou des Bouffons français, et encore avec six livres de retour 4. Presque toutes, les femmes adoptent l'opinion de l'Opinion. Ces cœurs que Rousseau avait, suivant l'expression de d'Escherny, fondus et liqué

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1. Mes amis, voilà pourquoi tout va si mal.

***

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3. Lettres de la comtesse de au chevalier de ***. 4. Déjeuner du mardi ou la Vérité à bon marché.

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