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plus agréables de France ou d'Italie. Je préfère même son séjour à cette solitude charmante où vous étiez l'année der»nière. Quelque agréable que soit une maison de campagne, » on y manque de mille choses qu'on ne trouve que dans les >> villes; on n'y est pas même aussi seul qu'on le voudroit. » Peut-être y trouverez-vous un ruisseau dont le murmure » vous fera rêver délicieusement, ou un vallon solitaire qui » vous jettera dans l'enchantement; mais aussi vous aurez à » vous défendre d'une quantité de petits voisins qui vous assiégeront sans cesse. Ici, comme tout le monde, excepté » moi, est occupé au commerce, il ne tient qu'à moi.de vivre >> inconnu à tout le monde. Je me promène tous les jours à >> travers un peuple immense, presque aussi tranquillement » que vous pouvez le faire dans vos allées. Les hommes que je >> rencontre me font la même impression que si je voyois les >> arbres de vos forêts ou les troupeaux de vos campagnes. Le >> bruit même de tous ces commerçants ne me distrait pas plus » que si j'entendois le bruit d'un ruisseau. Si je m'amuse quel» quefois à considérer leurs mouvements, j'éprouve le même plaisir que vous à considérer ceux qui cultivent vos terres : >> car je vois que le but de tous ces travaux est d'embellir le >> lieu que j'habite, et de prévenir tous mes besoins. Si vous >> avez du plaisir à voir les fruits croître dans vos vergers, et >> vous promettre l'abondance, pensez-vous que j'en aie moins » à voir tous les vaisseaux qui abordent sur mes côtes m'ap» porter les productions de l'Europe et des Indes? Dans quel >> lieu de l'univers trouverez-vous plus aisément qu'ici tout » ce qui peut intéresser la vanité ou flatter le goût? Y a-t-il » un pays dans le monde, où l'on soit plus libre, où le sommeil » soit plus tranquille, où il y ait moins de dangers à craindre, » où les lois veillent mieux sur le crime, où les empoisonne>>ments, les trahisons, les calomnies soient moins connus, où >> il reste enfin plus de traces de l'heureuse et tranquille inno>> cence de nos pères? Je ne sais pourquoi vous êtes si amou>> reux de votre ciel d'Italie. La peste se mêle avec l'air qu'on

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» cheurs du soir y sont malsaines; l'ombre des nuits y co >> des larcins et des meurtres. Que si vous craignez les hi » du Nord, comment à Rome, même avec des bosquets, » fontaines et des grottes, vous garantirez-vous aussi bien » la chaleur, que vous pourrez ici, avec un bon poêle ou » cheminée, vous garantir du froid? Je vous attends avec petite provision d'idées philosophiques qui vous feront pe » être quelque plaisir; et, soit que vous veniez ou que vous >> veniez pas, je n'en serai pas moins votre tendre et fic >> ami. >> Cette lettre est très intéressante. D'abord elle n fait voir le goût de Descartes pour la Hollande, et la mani dont il y vivoit. Elle nous montre ensuite son imagination e tour agréable qu'il savoit donner à ses idées. On a accuse géométrie de dessécher l'esprit; je ne sais s'il y a rien da tout Balzac où il y ait autant d'esprit et d'agrément. L'ima nation brillante de Descartes se décèle partout dans ses o vrages; et s'il n'avoit voulu être ni géomètre, ni philosoph il n'auroit encore tenu qu'à lui d'être le plus bel-esprit son temps.

(12) PAGE 22.

Le Discours sur la méthode parut le 8 juin 1637. Il éto à la tête de ses Essais de philosophie. Descartes y indiq les moyens qu'il a suivis pour tâcher de parvenir à la v rité, et ce qu'il faut faire encore pour aller plus avant, y trouva une profondeur de méditation inconnue jusqu'alor C'est là qu'est l'histoire de son fameux doute. Il a depuis re pété cette histoire dans deux autres ouvrages, dans le pr mier livre de ses Principes, et dans la première de ses Méd tations métaphysiques. Il falloit qu'il sentit bien vivemer l'importance et la nécessité du doute, pour y revenir jusqu trois fois, lui qui étoit si avare de paroles. Mais il regardoit doute comme la base de la philosophie, et le garant sûr de progrès qu'on pourroit y faire dans tous les siècles...

(13) PAGE 23.

Les règles de l'analyse logique, qu'on peut regarder comme la seconde partie de sa Méthode, sont indiquées dans plusieurs de ses ouvrages, et rassemblées en grande partie dans un manuscrit qui n'a été imprimé qu'après sa mort. L'ouvrage est in titulé, Règles pour conduire notre esprit dans la recherche de la vérité. En voici à peu près la marche. Voulez-vous trouver la vérité, formez votre esprit, et rendez-le capable de bien juger. Pour y parvenir, ne l'appliquez d'abord qu'à ce qu'il peut bien connoître par lui-même. Pour bien connoître, ne cherchez pas ce qu'on a écrit ou pensé avant vous; mais sachez vous en tenir à ce que vous reconnoissez vous-même pour évident. Vous ne trouverez point la vérité sans méthode; la méthode consiste dans l'ordre; l'ordre consiste à réduire les propositions complexes à des propositions simples, et vous élever par degrés des unes aux autres. Pour vous perfectionner dans une science, parcourez-en toutes les questions et toutes les branches, enchaînant toujours vos pensées les unes aux autres. Quand votre esprit ne conçoit pas, sachez vous arrêter; examinez long-temps les choses les plus faciles; vous vous accoutumerez ainsi à regarder fixement la vérité, et à la reconnoître. Voulez-vous aiguiser votre esprit et le préparer à découvrir un jour par lui-même, exercez-le d'abord sur ce qui a été inventé par d'autres. Suivez surtout les découvertes où il y a de l'ordre et un enchaînement d'idées. Quand il aura examiné beaucoup de propositions simples, qu'il s'essaie peu à peu à embrasser distinctement plusieurs objets à la fois; bientôt il acquerra de la force et de l'étendue. Enfin, mettez à profit tous les secours de l'entendement, de l'imagination, de la mémoire et des sens, pour comparer ce qui est déjà connu avec ce qui ne l'est pas, et découvrir l'un par l'autre. Descartes divise tous les objets de nos connoissances en propositions simples et en questions. Les questions sont de deux sortes : ou on les entend parfaitement, quoiqu'on ignore la manière de les résoudre; ou la con

étoit de donner trente-six règles, c'est-à-dire douze chacune de ses divisions. Il n'a exécuté que la moitié de vrage; mais il est aisé de voir par cet essai comment il toit l'esprit de système et d'analyse dans toutes ses recherc et avec quelle adresse il décomposoit, pour ainsi dire, tou mécanisme du raisonnement.

(14) PAGE 24.

Les Méditations métaphysiques de Descartes parurent 1641. C'étoit, de tous ses ouvrages, celui qu'il estimoi plus. Il le louoit avec un enthousiasme de bonne foi; ca croyoit avoir trouvé le moyen de démontrer les vérités taphysiques d'une manière plus évidente que les démo trations de géométrie. Ce qui caractérise surtout cet ouvra c'est qu'il contient sa fameuse démonstration de Dieu l'idée, démonstration si répétée depuis, adoptée par les u et rejetée par les autres; et qu'il est le premier où la distin tion de l'esprit et de la matière soit parfaitement développe car avant Descartes on n'avoit point encore bien approfon les preuves philosophiques de la spiritualité de l'âme. U chose remarquable, c'est que Descartes ne donna cet ouvra au public que par principe de conscience. Ennuyé des trac series qu'on lui suscitoit depuis trois ans pour ses Essais philosophie, il avoit résolu de ne plus rien imprimer. J'a rois, dit-il, une vingtaine d'approbateurs et des millie d'ennemis: ne vaut-il pas mieux me taire, et m'instruire silence? Il crut cependant qu'il ne devoit pas supprimer ouvrage qui pouvoit fournir ou de nouvelles preuves de l'exi tence de Dieu, ou de nouvelles lumières sur la nature de l'âm Mais, avant de le risquer, il le communiqua à tous les homm les plus savants de l'Europe, recueillit leurs objections, y répondit. Le célèbre Arnauld fut du nombre de ceux qu consulta. Arnauld n'avoit alors que vingt-huit ans. Descart fut étonné de la profondeur et de l'étendue de génie qu'il trou

dans ce jeune homme. Il s'en falloit de beaucoup qu'il eût porté le même jugement des objections de Hobbes et de celles de Gassendi. Il fit imprimer toutes ces objections, avec les réponses, à la suite des Méditations; et, pour leur donner encore plus de poids, le philosophe dédia son ouvrage à la Sorbonne. Je veux m'appuyer de l'autorité, disoit-il, puisque la vérité est si peu de chose quand elle est seule. Il n'avoit point encore pris assez de précautions. Ce livre, approuvé par les docteurs, discuté par des savants, dédié à la Sorbonne, et où le génie s'épuise à prouver l'existence de Dieu et la spiritualité de l'âme, fut mis, vingt-deux ans après, à l'index à Rome.

(15) PAGE 26.

On a été étonné que, dans ses Méditations métaphysiques, Descartes n'ait point parlé de l'immortalité de l'âme. Ses ennemis avoient beau jeu; et ils n'ont pas manqué de profiter de ce silence pour l'accuser de n'y pas croire. Mais il nous apprend lui-même, par une de ses lettres, qu'ayant établi clairement dans cet ouvrage la distinction de l'âme et de la matière, il suivoit nécessairement de cette distinction que l'âme par sa nature ne pouvoit périr avec le corps...

(16) PAGE 33.

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La Géométrie de Descartes parut en 1637 avec le Traité de la méthode, son Traité des météores et sa Dioptrique. Ces quatre traités réunis ensemble formoient ses Essais de philosophie. Sa Géométrie étoit si fort au-dessus de son siècle, qu'il n'y avo avoi réellement que très peu d'hommes en état de l'entendre. C'est ce qui arriva depuis à Newton; c'est ce qui arrive à presque tous les grands hommes. Il faut que leur siècle coure après eux pour les atteindre. Outre que sa Géométrie étoit très profonde et entièrement nouvelle, parcequ'il avoit commencé où les autres avoient fini, il avoue lui-même dans une de ses lettres

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