Slike stranica
PDF
ePub

peut-être aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espère qu'il sera utile à quelques uns sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise.

J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance; et, pourcequ'on me persuadoit que par leur moyen on pouvoit acquérir une connoissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avois un extrême désir de les apprendre. Mais sitôt que j'eus achevé tout ce cours d'études, au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d'opinion. Car je me trouvois embarrassé de tant de doutes et d'erreurs, qu'il me sembloit n'avoir fait autre profit, en tâchant de m'instruire, sinon que j'avois découvert de plus en plus mon ignorance. Et néanmoins j'étois en l'une des plus célèbres écoles de l'Europe, où je pensois qu'il devoit y avoir de savants hommes, s'il y en avoit en aucun endroit de la terre. J'y avois appris tout ce que les autres y apprenoient; et même, ne m'étant pas contenté des sciences qu'on nous enseignoit, j'avois parcouru tous les livres traitant de celles qu'on estime les plus curieuses et les plus rares, qui avoient pu tomber entre mes mains. Avec cela je savois les jugements que les autres faisoient de moi; et je ne voyois point qu'on m'estimât inférieur à mes condisciples, bien qu'il y en eût déjà entre eux quelques uns qu'on des

tinoit à remplir les places de nos maîtres. Et en notre siècle me sembloit aussi fleurissant et au fertile en bons esprits qu'ait été aucun des pré dents. Ce qui me faisoit prendre la liberté de jug par moi de tous les autres, et de penser qu'il avoit aucune doctrine dans le monde qui fût te qu'on m'avoit auparavant fait espérer.

Je ne laissois pas toutefois d'estimer les exercic auxquels on s'occupe dans les écoles. Je savois q les langues qu'on y apprend sont nécessaires po l'intelligence des livres anciens; que la gentilles des fables réveille l'esprit; que les actions mém rables des histoires le relèvent, et qu'étant lu avec discrétion elles aident à former le jugemen que la lecture de tous les bons livres est comm une conversation avec les plus honnêtes gens d siècles passés, qui en ont été les auteurs, et mên une conversation étudiée en laquelle ils ne no découvrent que les meilleures de leurs pensées que l'éloquence a des forces et des beautés incon parables; que la poésie a des délicatesses et de douceurs très ravissantes; que les mathématique ont des inventions très subtiles, et qui peuver beaucoup servir tant à contenter les curieux qu faciliter tous les arts et diminuer le travail de hommes; que les écrits qui traitent des mœur contiennent plusieurs enseignements et plusieur exhortations à la vertu qui sont fort utiles; que l

gie enseign

que la

sophie donne moyen de parler vraisemblablement

de toutes choses, et se faire admirer des moins savants; que la jurisprudence, la médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent; et enfin qu'il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connoître leur juste valeur et se garder d'en être trompé.

Mais je croyois avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Gar c'est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles que de voyager. Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu. Mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays; et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquoient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne chan

[ocr errors]

les rendre plus dignes d'être lues, au moins omettent-elles presque toujours les plus basses moins illustres circonstances, d'où vient que reste ne paroît pas tel qu'il est, et que ceux q règlent leurs mœurs par les exemples 'qu'ils e tirent sont sujets à tomber dans les extravaganc des paladins de nos romans, et à concevoir d desseins qui passent leurs forces.

J'estimois fort l'éloquence, et j'étois amoureux d la poésie; mais je pensois que l'une et l'autre étoier des dons de l'esprit plutôt que des fruits de l'étud Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qu digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendr claires et intelligibles, peuvent toujours le mieu persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils n parlassent que bas-breton, et qu'ils n'eussent ja mais appris de rhétorique ; et ceux qui ont les in ventions les plus agréables et qui les savent expri mer avec le plus d'ornement et de douceur, n laisseroient pas d'être les meilleurs poëtes, encor que l'art poétique leur fût inconnu.

Je me plaisois surtout aux mathématiques, cause de la certitude et de l'évidence de leurs rai sons: mais je ne remarquois point encore leur vra usage; et, pensant qu'elles ne servoient qu'aux arts mécaniques, je m'étonnois de ce que leurs fonde ments étant si fermes et si solides, on n'avoit rien

bâti dessus de plus relevé : comme au contraire je comparois les écrits des anciens païens qui traitent des mœurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques, qui n'étoient bâtis que sur du sable et sur de la boue: ils élèvent fort haut les vertus, et les font paroître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde; mais ils n'enseignent pas assez à les connoître, et souvent ce qu'ils appellent d'un si beau nom n'est qu'une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide.

Je révérois notre théologie, et prétendois autant qu'aucun autre à gagner le ciel : mais ayant appris, comme chose très assurée, que le chemin n'en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les vérités révélées qui y conduisent sont au-dessus de notre intelligence, je n'eusse osé les soumettre à la foiblesse de mes raisonnements; et je pensois que, pour entreprendre de les examiner et y réussir, il étoit besoin d'avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d'être plus qu'homme.

Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu'elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s'y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n'avois point assez de pré

[ocr errors]
« PrethodnaNastavi »