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oit trouver: car enfin la méthode qui enseigne à suivre le vrai ordre, et à dénombrer exactement Coutes les circonstances de ce qu'on cherche, contient tout ce qui donne de la certitude aux règles d'arithmétique.

Mais ce qui me contentoit le plus de cette méthode étoit que par elle j'étois assuré d'user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir : outre que je sentois, en la pratiquant, que mon esprit s'accoutumoit peu à peu à concevoir plus nettement et plus distinctement ses objets; et que, ne l'ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettois de l'appliquer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j'avois fait à celles de l'algèbre. Non que pour cela j'osasse entreprendre d'abord d'examiner toutes celles qui se présenteroient, car cela même eût été contraire à l'ordre qu'elle prescrit: mais, ayant pris garde que leurs principes devoient tous être empruntés de la philosophie, en laquelle je n'en trouvois point encore de certains, je pensai qu'il falloit avant tout que je tâchasse d'y en établir; et que, cela étant la chose du monde la plus importante, et où la précipitation et la prévention étoient le plus à craindre, je ne devois point entreprendre d'en venir à bout que je n'eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans que j'avois alors, et que je n'eusse

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parer, tant en déracinant de mon esprit toutes mauvaises opinions que j'y avois reçues avant temps-là, qu'en faisant amas de plusieurs exp riences, pour être après la matière de mes raiso nements, et en m'exerçant toujours en la métho que je m'étois prescrite, afin de m'y affermir plus en plus.

TROISIÈME PARTIE.

| Et enfin, comme ce n'est pas assez, avant de cor mencer à rebâtir le logis où on demeure, que l'abattre, et de faire provision de matériaux et d'a chitectes, ou s'exercer soi-même à l'architecture, outre cela d'en avoir soigneusement tracé de de sin, mais qu'il faut aussi s'être pourvu de quelqu autre où on puisse être logé commodément pendan le temps qu'on y travaillera; ainsi, afin que je n demeurasse point irrésolu en mes actions, pendan que la raison m'obligeroit de l'être en mes juge ments, et que je ne laissasse pas de vivre dès lor le plus heureusement que je pourrois, je me forma une morale par provision, qui ne consistoit qu'e trois ou quatre maximes dont je veux bien vou faire part.

La première étoit d'obéir aux lois et aux cou tumes de mon pays, retenant constamment la reli

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gion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurois à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulois remettre toutes à l'examen, j'étois assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Et encore qu'il y en ait peut-être d'aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me sembloit que le plus utile étoit de me régler selon ceux avec lesquels j'aurois à vivre; et que, pour savoir quelles étoient véritablement leurs opinions, je devois plutôt prendre garde à ce qu'ils pratiquoient qu'à ce qu'ils disoient, non seulement à cause qu'en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu'ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l'ignorent eux-mêmes; car l'action de la pensée par laquelle on croit une chose étant différente de celle par laquelle on connoît qu'on la croit, elles sont souvent l'une sans l'autre. Et, entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissois que les plus modérées, tant à cause que ce sont toujours les plus commodes pour la pratique, et vraisemblablement les meilleures, tous exces ayant coutume d'être mauvais, comme aussi

afin de me détourner moins du vrai chemin, cas que je faillisse, que si, ayant choisi l'un extrêmes, c'eût été l'autre qu'il eût fallu suiv Et particulièrement je mettois entre les excès tout les promesses par lesquelles on retranche quelq chose de sa liberté; non que je désapprouvasse lois, qui, pour remédier à l'inconstance des espr foibles, permettent, lorsqu'on a quelque bon de sein, ou même, pour la sûreté du commerce, que que dessein qui n'est qu'indifférent, qu'on fas des vœux ou des contrats qui obligent à y pers vérer: mais à cause que je ne voyois au monde a cune chose qui demeurât toujours en même éta et que, pour mon particulier, je me promettois perfectionner de plus en plus mes jugements, non point de les rendre pires, j'eusse pensé con mettre une grande faute contre le bon sens, si pourceque j'approuvois alors quelque chose, me fusse obligé de la prendre pour bonne encor après, lorsqu'elle auroit peut-être cessé de l'être ou que j'aurois cessé de l'estimer telle.

Ma seconde maxime étoit d'être le plus ferme le plus résolu en mes actions que je pourrois, et c ne suivre pas moins constamment les opinions le plus douteuses lorsque je m'y serois une fois d terminé, que si elles eussent été très assurées: im tant en ceci les voyageurs, qui, se trouvant égare en quelque forêt, ne doivent pas errer en tou

noyant tantot d'un côté tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de foibles raisons, encore que ce n'ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir; car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins · à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d'une forêt. Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité très certaine que, lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables; et même qu'encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques unes, et les considérer après, non plus comme douteuses en tant qu'elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle. Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et les remords qui ont coutume d'agiter les consciences de ces esprits foibles et chancelants qui se laissent aller inconstamment à pratiquer comme bonnes les choses qu'ils jugent après être mauvaises.

Ma troisième maxime étoit de tâcher toujours

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