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qu'il a d'être heureux, ses devoirs et ses foiblesses, la chaîne morale de tous ses rapports, voilà le sujet de leurs entretiens et de leurs lettres. C'est ainsi que les philosophes doivent s'entretenir avec les grands. La nature avoit destiné à Descartes un autre disciple encore plus célèbre: c'étoit la fille de Gustave-Adolphe, c'étoit la fameuse Christine (30). Elle étoit née avec une de ces âmes encore plus singulières que grandes, qui semblent jetées hors des routes ordinaires, et qui étonnent toujours, même lorsqu'on ne les admire pas. Enthousiaste du génie et des âmes fortes, le grand Condé, Descartes et Sobieski avoient droit dans son coeur aux mêmes sentiments. Viens', dit-elle à Descartes: je suis reine, et tu es philosophe; faisons un traité ensemble: tu annonceras la vérité, et je te défendrai contre tes ennemis. Les murs de mon palais seront tes remparts. C'est donc l'espérance de trouver un abri contre la persécution qui, seule, put attirer Descartes à Stockholm. Sans ce motif, auroit-il été se fixer auprès d'un trône? qu'est-ce qu'un homme tel que Descartes a de commun avec les rois? Leur àme, leur caractère, leurs passions, leur langage, rien ne se ressemble; ils ne sont pas même faits pour se rapprocher, leur grandeur se choque et se repousse. Mais s'il fut forcé par le malheur de se réfugier dans une cour, il eut du moins la gloire de n'y pas démentir sa conduite; il y vécut tel qu'il

y avoir des mœurs et de la vertu; il ne fut ni ni bas, ni flatteur; il ne fut point le lâche comp sant des princes ni des grands; il ne crut po qu'il devoit oublier la philosophie pour la fortur il ne brigua point ces places qui n'agrandiss jamais ceux qui sont petits, et rabaisseroient p tôt ceux qui sont grands. Et comment Descar auroit-il pu avoir de telles pensées? Celui qui sans cesse occupé à méditer sur l'éternité, sur temps, sur l'espace, ne doit-il pas contracter u habitude de grandeur, qui de son esprit passe son âme? celui qui mesure la distance des astre et voit Dieu au-delà; celui qui se transpor dans le soleil ou dans Saturne pour y voir l'espa qu'occupe la terre, et qui cherche alors vaineme ce point égaré comme un sable à travers les mo des, reviendra-t-il sur ce grain de poussière pou y flatter, pour y ramper, pour y disputer ou que ques honneurs ou quelques richesses? Non : il v avec Dieu et avec la nature; il abandonne au hommes les objets de leurs passions, et poursu le cours de ses pensées, qui suivent le cours d l'univers; il s'applique à mettre dans son âme l'o dre qu'il contemple, ou plutôt son âme se mont insensiblement au ton de cette grande harmonie Je ne louerai donc point Descartes de n'avoir ét ni intrigant ni ambitieux. Je ne le louerai poin

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d'avoir été frugal, modéré, bienfaisant, pauvre à la fois et généreux, simple comme le sont tous les grands hommes; plein de respect, comme Newton, pour la Divinité; comme lui, fidèle à la religion; aimant à s'occuper dans la retraite et avec ses amis de l'idée de Dieu. Malheur à celui qui ne trouveroit pas dans cette idée, si grande et si consolante, les plus doux moments de sa vie! D'ailleurs, toutes ces vertus ne distinguoient point un homme aux siècles de nos pères. Mais je remarquerai que, quoique sa fortune ne pût pas suffire à ses projets, jamais il n'accepta les secours qu'on lui offrit. Ce n'étoit pas qu'il fût effrayé de la reconnoissance; un pareil fardeau n'épouvante point une âme vertueuse: mais le droit d'être le bien

faiteur d'un homme est un droit trop beau pour qu'il l'accorde avec indifférence. Peut-être faudroit-il choisir encore avec plus de soin ses bienfaiteurs que ses amis, si ces deux titres pouvoient se séparer: ainsi pensoit Descartes (31). Avec ses sentiments, son génie et sa gloire, il dut trouver l'envie à Stockholm, comme il l'avoit trouvée à Utrecht, à La Haye et dans Amsterdam. L'envie le suivoit de ville en ville, et de climat en climat; elle avoit franchi les mers avec lui, elle ne cessa de le poursuivre que lorsqu'elle vit entre elle et lui un tombeau (32): alors elle sourit un moment sur sa tombe, et courut dans Paris,

renne.

Hommes de génie, de quelque pays que v soyez, voilà votre sort. Les malheurs, les persé tions, les injustices, le mépris des cours, l'indi rence du peuple, les calomnies de vos rivaux de ceux qui croiront l'être, l'indigence, l'exil, peut-être une mort obscure à cinq cents lieues votre patrie, voilà ce que je vous annonce. Fau que pour cela vous renonciez à éclairer les ho mes? Non, sans doute. Et quand vous le voudrie en êtes-vous les maîtres? Êtes-vous les maîtres dompter votre génie, et de résister à cette impu sion rapide et terrible qu'il vous donne? N'ête vous pas nés pour penser, comme le soleil pou répandre sa lumière? N'avez-vous pas reçu comm lui votre mouvement? Obéissez donc à la loi qu vous domine, et gardez-vous de vous croire info tunés. Que sont tous vos ennemis auprès de la v rité? Elle est éternelle, et le reste passe. La vérit fait votre récompense; elle est l'aliment de votr génie, elle est le soutien de vos travaux. Des mil liers d'hommes, ou insensés, ou indifférents, o barbares, vous persécutent ou vous méprisent mais dans le même temps il y a des âmes avec qu les vôtres correspondent d'un bout de la terre l'autre. Songez qu'elles souffrent et pensent avec vous; songez que les Socrate et les Platon, morts

il y a deux mille ans, sont vos amis; songez que, dans les siècles à venir, il y aura d'autres âmes qui vous entendront de même, et que leurs pensées seront les vôtres. Vous ne formez qu'un peuple et qu'une famille avec tous les grands hommes qui furent autrefois ou qui seront un jour. Votre sort n'est pas d'exister dans un point de l'espace ou de la durée. Vivez pour tous les pays et pour tous les siècles; étendez votre vie sur celle du genre humain. Portez vos idées encore plus haut; ne voyez-vous point le rapport qui est entre Dieu et votre âme? Prenez devant lui cette assurance qui sied si bien à un ami de la vérité. Quoi! Dieu vous voit, vous entend, vous approuve, et vous seriez malheureux! Enfin, s'il vous faut le témoignage des hommes, j'ose encore vous le promettre, non point foible et incertain, comme il l'est pendant ce rapide instant de la vie, mais universel et durable pendant la vie des siècles. Voyez la postérité qui s'avance, et qui dit à chacun de vous: Essuie tes larmes; je viens te rendre justice et finir tes maux: c'est moi qui fais la vie des grands hommes; c'est moi qui ai vengé Descartes de ceux qui l'outrageoient; c'est moi qui, du milieu des rochers et des glaces, ai transporté ses cendres dans Paris; c'est moi qui flétris les calomniateurs, et anéantis les hommes qui abusent de leur pouvoir; c'est moi qui regarde avec mépris ces mausolées élevés dans

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