Slike stranica
PDF
ePub

en Hollande. Il fut sur le point de périr dans ce trajet. Pour être plus libre, il avoit pris à Embden un bateau pour lui seul et son valet. Les mariniers, à qui son air doux et tranquille et sa petite taille n'en imposaient pas apparemment beaucoup, formèrent le complot de le tuer, afin de profiter de ses dépouilles. Comme ils ne se doutoient pas qu'il entendît leur langue, ils eurent l'heureuse imprudence de tenir conseil devant lui; par bonheur Descartes savoit le hollandais: il se lève tout-à-coup, change de contenance, tire l'épée avec fierté, et menace de percer le premier qui oseroit approcher. Cette heureuse audace les intimida, et Descartes fut sauvé... Quatre ou cinq mariniers de la West-Frise pensèrent disposer de celui qui devoit faire la révolution de l'esprit humain... Descartes passa la fin de 1621 et les premiers mois de 1622 à La Haye. C'est là qu'il vit cet électeur palatin qui, pour avoir été couronné roi, étoit devenu le plus malheureux des hommes. Il passoit sa vie à solliciter des secours et à perdre des batailles. La princesse Élisabeth sa fille, que sa liaison avec Descartes rendit depuis si fameuse, avoit alors tout au plus trois ou quatre ans. Elle étoit errante avec sa mère, et partageoit des maux qu'elle ne sentoit pas encore. La même année Descartes traversa les Pays-Bas espagnols, et s'arrêta à la cour de Bruxelles. La trève entre l'Espagne et la Hollande étoit rompue. Il y vit l'infante Isabelle, qui, sous un habit de religieuse, gouvernoit dix provinces, et signoit des ordres pour livrer des batailles, à peu près comme on vit Ximenes gouverner l'Espagne, l'Amérique et les Indes, sous un habit de cordelier... En 1623 il fit le voyage d'Italie; il traversa la Suisse, où il observa plus la nature que les hommes; s'arrêta quelque temps dans la Valteline; vit à Venise le mariage du doge avec la mer Adriatique... et arriva enfin à Rome sur la fin de 1624. Il y fut témoin d'un jubilé qui attiroit une quantité prodigieuse de peuple de tous les bouts de l'Europe, Ce mélange de tant de nations différentes étoit un spectacle intéressant pour un philosophe. Descartes y donna

[ocr errors]
[graphic]

toute son attention.' Il comparoit les caracteres de tous peuples réunis, comme un amateur habile compare, dans u belle galerie de tableaux, les manières des différentes éco de peinture. En 1625 il passa par la Toscane: Galilée ét alors âgé de soixante ans, et l'inquisition ne s'étoit pas enco flétrie par la condamnation de ce grand homme. En 1631 fit le voyage d'Angleterre, et en 1634 celui de Danemarc L'Espagne et le Portugal sont les seuls pays de l'Europe o Descartes n'ait pas voyagé.

(5) PAGE 13.

Descartes porta les armes dans sa jeunesse d'abord e Hollande, sous le célèbre Maurice de Nassau, qui afferm la liberté fondée par son père, et mérita de balancer la re putation de Farnèse; de là en Allemagne, sous Maximilien d Bavière, au commencement de la guerre de trente ans. I vit dans cette guerre le choc de deux religions opposées, l'am bition des chefs, le fanatisme des peuples, la fureur de partis, l'abus des succès, l'orgueil du pouvoir, et trente provinces dévastées, parcequ'on se disputoit à qui gouverneroi la Bohême. 11 passa ensuite au service de l'empereur Ferdinand II, pour voir de plus près les troubles de la Hongrie. La mort du comte de Bucquoy, général de l'armée impériale, qu fut tué, dans une déroute, de trois coups de lance et de plus de trente coups de pistolet, le dégoûta du métier des armes. Il avoit servi environ quatre ans, et en avoit alors vingtcinq. On croit pourtant qu'au siége de La Rochelle il combattit, comme volontaire, dans une bataille contre la flotte anglaise. On se doute bien que l'ambition de Descartes n'étoit point de devenir un grand capitaine. Avide de connoître, il vouloit étudier les hommes dans tous les états; et malheureusement la guerre est devenue un des grands spectacles de l'humanité. Il avoit d'abord aimé cette profession, comme il l'avouoit lui-même, sans doute parcequ'elle convenoit à l'activité inquiète de son âme; mais dans la suite, un coup

d'œil plus philosophique ne lui laissa voir que le malheur des

hommes...

(6) Page 15.

Ce fut en 1625, au retour de son voyage d'Italie, que Descartes fit ses observations sur la cime des Alpes. Il est peu d'âmes sensibles ou fortes à qui la vue de ces montagnes n'inspire de grandes idées. L'homme mélancolique y voit une retraite délicieuse et sauvage, le guerrier s'y rappelle les armées qui les ont traversées, et le philosophe s'y occupe des phénomènes de la nature. Descartes y composa une partie de son système sur les grêles, les neiges, les tonnerres et les tourbillons de vents...

(7) PAGE 16.

Dès son enfance, Descartes avoit l'habitude de méditer. Lorsqu'il étoit à La Flèche, on lui permettoit, à cause de la foiblesse de sa santé, de passer une partie des matinées au lit. Il employoit ce temps à réfléchir profondément sur les objets de ses études; et il en contracta l'habitude pour le reste de sa vie. Ce temps, où le sommeil a réparé les forces, où les sens sont calmes, où l'ombre et le deini-jour favorisent la rêverie, et où l'âme ne s'est point encore répandue sur les objets qui sont hors d'elle, lui paroissoit le plus propre à la pensée. C'est dans ces matinées qu'il a fait la plupart de ses découvertes, et arrangé ses mondes. Il porta à la guerre ce même esprit de méditation. En 1619, étant en quartier d'hiver sur les frontières de Bavière, dans un lieu très écarté, il y passa plusieurs mois dans une solitude profonde, uniquement occupé à méditer. Il cherchoit alors les moyens de créer une science nouvelle. Sa tête, fatiguée sans doute par la solitude ou par le travail, s'échauffa tellement, qu'il crut avoir des songes mystérieux. Il crut voir des fantômes; il entendit une voix qui l'appeloit à la recherche de la vérité. Il ne douta point, dit

[graphic]

y mêla un sentiment de religion...

(8) PAGE 16.

La première étude qui, attacha véritablement Desca fut celle des mathématiques. Dans son enfance, il les ét avec transport, et en particulier l'algèbre et l'analyse anciens. A l'âge de dix-neuf ans, lorsqu'il renonça b quement à tous les plaisirs, et qu'il passa deux ans C la retraite, il employa tout ce temps à l'étude de la géomét En 1617, étant au service de la Hollande, un inconnu fit a cher dans les rues de Bréda un problème à résoudre. Desca vit un grand concours de passants qui s'arrêtoient pour lire s'approcha; mais l'affiche étoit en flamand, qu'il n'entend pas. Il pria un homme qui étoit à côté de lui de la lui ex quer. C'étoit un mathématicien nommé Beckman, princi du college de Dordrecht. Le principal, homme grave, voya un petit officier français en habit uniforme, crut qu'un p blème de géométrie n'étoit pas fort intéressant pour lui; apparemment pour le plaisanter, il lui offrit de lui expliqu l'affiche, à condition qu'il résoudroit le problème. C'étoit u espèce de défi. Descartes l'accepta ; le lendemain matin le p blème étoit résolu. Beckman fut fort étonné; il entra en co versation avec le jeune homme; et il se trouva que le militai de vingt ans en savoit beaucoup plus sur la géométrie que vieux professeur de mathématiques. Deux ou trois ans après étant à Ulm, en Souabe, il eut une aventure à peu près pareil avec Faulhaber, mathématicien allemand. Celui-ci, venoit d donner un gros livre sur l'algèbre, et il traitoit Descartes asse lestement, comme un jeune officier aimable, et qui ne parois soit pas tout-à-fait ignorant. Cependant un jour, à quelque questions qu'il lui fit, il se douta que Descartes pouvoit bie avoir quelque mérite. Bientôt, à la clarté et à la rapidité de se réponses sur les questions les plus abstraites, il reconnut dan ce jeune homme le plus puissant génie, et ne regarda plu

qu'avec respect celui qu'il croyoit honorer en le recevant chez lui. Descartes fut lié ou du moins fut en commerce avec tous les plus savants géomètres de son siècle. Il ne se passoit pas d'année qu'il ne donnât la solution d'un très grand nombre de problèmes qu'on lui adressoit dans sa retraite : car c'étoit alors la méthode entre les géomètres, à peu près comme les anciens sages et même les rois dans l'Orient s'envoyoient des énigmes à deviner. Descartes eut beaucoup de part à la fameuse question de la roulette ou de la cycloïde. La cycloïde est une ligne décrite par le mouvement d'un point de la circonférence d'un cercle, tandis que le cercle fait une révolution sur une ligne droite. Ainsi, quand une roue de carrosse tourne, un des clous de la circonférence décrit dans l'air une cycloïde. Cette ligne fut découverte par le P. Mersenne, expliquée par Roberval, examinée par Descartes, qui en découvrit la tangente; usurpée par Toricelli, qui s'en donna pour l'inventeur; approfondie par Pascal, qui contribua beaucoup à en démontrer la nature et les rapports. Depuis, les géomètres les plus célèbres, tels que Huygens, Wallis, Wren, Leibnitz, et les Bernoulli, y travaillèrent encore. Avant de finir cet article, il ne sera peutêtre pas inutile de remarquer que Descartes, qui fut le plus grand géomètre de son siècle, parut toujours faire assez peu de cas de la géométrie. Il tenta au moins cinq ou six fois d'y renoncer, et il y revenoit sans cesse...

(9) PAGE 18.

C'est un spectacle aussi curieux que philosophique. de suivre toute la marche de l'esprit de Descartes, et de voir tous les degrés par où il passa pour parvenir à changer la face des sciences. Heureusement, en nous donnant ses découvertes, il nous a indiqué la route qui l'y avoit mené. Il seroit à souhaiter que tous les inventeurs eussent fait de même ; mais la plupart nous ont caché leur marche, et nous n'avons que le résultat de leurs travaux. Il semble qu'ils aient craint, ou de trop instruire les hommes, ou de s'humilier à leurs yeux

« PrethodnaNastavi »