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Paris, 20 août 1881.

Plusieurs motifs nous ont décidé à entreprendre cette étude sur la vie du maréchal Bugeaud: un penchant instinctif pour les hommes simples et très énergiques, un goût nettement prononcé pour les tempé- · raments autoritaires et non compliqués, un profond dédain de toutes les fictions, de toutes les malfaisances des prétendus libéraux modernes, enfin l'horreur invétérée de la race impuissante des révolutionnaires. -Toutes ces attractions, toutes ces répulsions jointes à la nostalgie ardente d'un état de choses fort et respecté, nous ont amené à choisir pour héros, entre tous, un grand soldat, un grand caractère, qui fut homme de devoir et de discipline. C'est ainsi que nous nous sommes attaché à cette tâche salutaire et réconfortante, étudier par le menu la vie entière d'un Français dont le glorieux nom, béni dans les chaumières du Périgord, respecté par les tribus du désert et du Tell algérien, a aujourd'hui encore le privilège de n'être prononcé qu'avec épouvante par les démagogues de Paris.

T. I.

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VI

Après la figure de Napoléon I, la plus grande figure militaire de ce siècle, la plus complète est celle du maréchal Bugeaud. Nos désastres et nos fautes nous ont placés aujourd'hui à un tel rang en Europe, qu'il nous a paru bon de remettre en lumière la physionomie d'un des plus illustres soldats de la France, qui fut en même temps un de ses meilleurs citoyens. Une telle existence peut à tous servir d'enseignement ce n'est point, en effet, seulement l'homme de guerre, le patriote dont la présence d'esprit, la loyauté, l'éloquence un peu brutale, stupéfiaient ses adversaires à la tribune, c'est aussi l'écrivain militaire hors ligne, l'agriculteur consommé, et enfin l'homme de foyer, austère, tendre et désintéressé, que nous nous sommes proposé de faire connaître.

S'il est pour la famille du maréchal, si orgueilleuse, à juste droit, de son héros, un sujet de consolation et de fierté, c'est la pensée que nos ennemis eux-mêmes ont conservé religieusement la mémoire du vainqueur d'Isly, du conquérant, de l'organisateur de nos possessions africaines. Au mois de septembre 1870, un jeune Français, frappé mortellement sur le champ de bataille, allait expirer dans l'hôpital de Haguenau. Appelée en toute hâte, sa mère survint pour arracher à la mort son cher mutilé. Lorsque l'état-major allemand apprit que cette noble femme, veuve d'un général, était la fille du maréchal Bugeaud, tous les fronts s'inclinèrent: « Ce fut pour moi, » nous dit la com

tesse Feray, « une joie bien douce d'entendre de « la bouche des officiers prussiens le récit enthou«siaste des campagnes de mon père et de voir de « quel respect son nom était entouré. La plupart de «ses livres, de ses Instructions au soldat, sont tra<< duits en allemand, répandus dans les écoles mili<taires et, faut-il l'avouer? plus populaires peut-être « au delà du Rhin que dans son propre pays. »

L'étude que nous avons entreprise est moins une œuvre personnelle que la mise en ordre des précieux documents que nous devons aux amis et à la famille du maréchal Bugeaud, et particulièrement à ses deux filles. C'est, en effet, dans le culte touchant et passionné voué par l'une d'elles, la plus jeune, Mme la comtesse Feray, à la mémoire de son illustre père, que cette femme admirable a puisé la force de supporter le poids d'infortunes et de douleurs sans nom. Pour faciliter notre travail, elle a bien voulu rassembler ses plus lointains souvenirs et nous dicter des notes inappréciables où se retrouvent vivants tous les récits dont fut bercée son enfance. C'est grâce à cette piété filiale que nous avons pu assister, en quelque sorte, aux premières années du maréchal qui s'écoulèrent si rudes dans la vieille demeure de famille, reconstituer dans son exactitude ce modeste intérieur de vince au début de la Révolution, et suivre pas l'héroïque soldat dans les épisodes de sa vie.

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VIII

L'intérêt saisissant qui s'attache aux réminiscences de Mme la comtesse Feray, si exquises de naïveté et d'émotion, est doublé de l'intérêt qu'offrent les lettres du maréchal, pieux trésor conservé dans la famille et que nous avons, grâce à l'obligeance de M. Robert Gasson-Bugeaud d'Isly, le petit-fils aîné du maréchal, la bonne fortune de révéler pour la première fois au public. Cette correspondance trop souvent interrompue sera reliée par des commentaires et des éclaircissements historiques, qui permettront de combler de trop longues lacunes. Dans chaque ligne de ces lettres se révèle le caractère de l'homme tout entier, et se trahit une individualité puissante, mais toujours simple et loyale. On le retrouve partout le même, depuis les lettres familières où le jeune vélite de la garde conto à ses sœurs les misères et les aventures de garnison, jusqu'aux récits palpitants qu'il leur fait de la bataille d'Austerlitz ou du siège de Lerida. Plus tard, ce sont les billets écrits à la maréchale sous la tente, le soir d'un engagement, au fond de la Kabylie, et dans lesquels le glorieux père se livre à des épanchements pleins de tendresse au sujet de ses enfants et de leur avenir, sans négliger, en terminant, les recommandations agricoles pour la Durantie, les avoines à semer en temps utile, les vieux arbres à arracher avant l'hiver. Ses confidences à son gendre, à sa femme, à ses filles, sont quelquefois fort piquantes; les hommes et les événements sont appréciés par lui avec une justesse

et une netteté singulières. Il peint un portrait en trois lignes, et c'est avec une vive curiosité qu'on lira les jugements portés par lui, après 1848, sur chacun des généraux d'Afrique dont la plupart furent, par la suite, appelés au gouvernement de la colonie.

Tous les événements importants auxquels se trouva mêlé le maréchal, ses premières campagnes, ses faits d'armes, son séjour à Blaye, ses luttes au Parlement, les difficultés de toute nature dont il eut à triompher en Afrique, ses rapports avec le roi et avec les ministres, son rôle en 1848, sont éclaircis par sa correspondance intime, par les notes de sa fille et les pièces inédites mises à notre disposition.

Il existe plus d'une méthode d'écrire l'histoire d'un homme et de raconter sa vie. Les mémoires composés par le personnage lui-même, de son vivant, offrent sans doute une source riche et fort utile de documents intéressants. Nul, en effet, ne saurait avec plus de clarté et plus de précision établir l'enchaînement de toute une vie, et fournir de meilleurs commentaires des actes de cette vie, que celui-là même qui l'a vécue. Toutefois, dans ces révélations posthumes souvent si précieuses, la vérité absolue n'est pas toujours respectée. En réalité, aurait-on le courage de reprocher à un homme d'avoir, dans un travail suprême, tenté ou de se justifier ou de se grandir devant la postérité? Voilà pourquoi les confes

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