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dus à ce peuple italien, si longtemps opprimé, calomnié, qu'on avait cru mort et qui revit !...

...Pardonnez-moi, messieurs, puisqu'on pardonne beaucoup aux voyageurs de retour; encore un souvenir, encore un exemple de poésie populaire, qui ne saurait s'effacer de ma mémoire, et que je raconterai, si Dieu me donne de vieillir, dans bien des années, avec la même émotion qu'aujourd'hui. C'était le 22 avril 1847, le lendemain du jour où l'on avait célébré par un banquet public l'an deux mille six cent de la fondation de Rome. L'édit qui constituait la consulte d'État venait de paraître. Rome entière s'agitait, et la reconnaissance publique ne pouvait se contenir, il fallait qu'elle éclatât. A la chute du jour, six mille hommes se trouvaient réunis sur la place du Peuple; ils s'armèrent de torches et commencèrent à défiler, précédés par un corps de musique et par une grande bannière blanche portant le texte de l'édit. Ils marchaient en bon ordre dix par dix; des prètres en cheveux blancs à côté des étudiants de l'université, des ouvriers en habit de travail à côté des princes romains. De cette longue et imposante colonne on n'entendait partir que des acclamations de joie et de gratitude; pas un cri qui fùt menaçant; pas une parole de haine même contre le parti vaincu,

même contre l'étranger. A mesure que le cortége s'avançait dans le Corso, les maisons s'ornaient de guirlandes et de draperies, s'illuminaient de lampions et de verres de couleur. La foule était immense, elle était enivrée d'allégresse, mais bienveillante, et les femmes et les enfants y pouvaient circuler sans crainte. On se rendait au Quirinal, et bientôt cinquante mille personnes se pressèrent sur la place qui précède le palais des Pontifes. Les hommes armés de torches se rangèrent devant la porte en carré, la bannière et les musiciens au milieu. Ils entonnèrent la cantate nationale, cet hymne pacifique qui fait la terreur de tant d'hommes d'État, et qu'il n'est pas permis de chanter partout. Un cri s'éleva; on avait vu derrière les fenêtres du palais passer des lumières, on les suivait avec une attente pleine d'amour jusqu'au balcon, dont les portes s'ouvrirent et laissèrent voir, à la clarté des flammes allumées sur les terrasses voisines, la noble et douce figure de Pie IX. Il parut, non pas effrayé comme on voudrait le faire croire, non pas comme un souverain vaincu par ses sujets, mais doucement ému de la reconnaissance publique, saluant à droite et à gauche avec une grâce qui ravissait tous les cœurs. Les acclamations, les applaudissements unanimes l'accueillaient. Tout à coup le silence se fit, le pape

avait donné le signal de la prière; il prononçait les longues oraisons par lesquelles il bénit son peuple; la foule attendait, muette, découverte, agenouillée; et quand les dernières paroles eurent été proférées, l'Amen solennel s'éleva de toute la place, des terrasses, des palais voisins, des rues adjacentes; et il sembla que Rome entière répondait à son pontife, la Rome des martyrs comme celle du dixneuvième siècle, et derrière elle tout le monde. chrétien. Je ne sais rien de plus grand que cette prière du soir d'un peuple avec son évêque en ce lieu admirable, à la clarté des étoiles, sous un ciel sans nuage. Et pour bien marquer qu'il s'agissait d'un acte religieux, aussitôt que le pontife se fut retiré du balcon, les six mille torches s'éteignirent, et, un moment après, la foule s'est écoulée. Pour moi, je restai quelque temps encore au pied de l'obélisque qui domine la place, profondément ému par cette pensée que je venais de voir, s'il plaisait à Dieu, la fin du déchirement profond dont souffre depuis soixante ans la société européenne. Depuis soixante ans, la société veut, elle cherche la liberté; elle ne saurait s'en passer à aucun prix, elle ne peut pas non plus se passer du christianisme : cependant on lui a fait croire que ces deux grands biens étaient incompatibles, qu'il fallait choisir; et elle n'a pu prendre sur elle de renoncer ni à l'un ni à l'autre.

Je pensais alors que la société avait eu raison, que je venais d'assister à l'un de ces actes qui jugent les questions de droit, quelles que puissent être dans la suite les difficultés de fait; je venais d'assister à la réconciliation éternelle du christianisme et de la liberté.

Je me propose d'expliquer avec vous la seconde partie de la Divine Comédie, le Purgatoire. Ces leçons seront philologiques. Nous lirons le texte, nous en dégagerons le sens, quelquefois obscur et contesté; nous y étudierons de près le caractère mal connu de la langue italienne, de cette langue douce et forte, qui a des caprices charmants et une grâce toute virile: cette langue que Charles-Quint trouvait faite pour les femmes, et qui, chez Dante, rappelle le mâle accent des vieux Romains. Sans doute je n'enseignerai pas l'italien; mais l'explication d'un texte si classique ne sera pas inutile à ceux qui étudient cette langue trop négligée. Depuis cent cinquante ans les esprits se sont tournés vers le Nord pour y chercher des lumières et des modèles qui les ont trompés souvent. On a oublié le Midi, c'est-à-dire l'Espagne et l'Italie, que le siècle

de Louis XIV avait si bien connues; dont les langues étaient familières à Corneille, à Racine, à madame de Sévigné; dont les littératures, sœurs de la nôtre, ont pour elle des enseignements plus instructifs; dont les libertés aujourd'hui renaissantes sont solidaires de nos libertés. Ces leçons seront aussi littéraires. Nous y assisterons de près à la lutte de l'esprit contre la parole, au combat de l'inspiration contre l'expression insuffisante et rebelle; car l'inspiration du poëte n'appartient qu'à lui, et il faut qu'il la fasse passer dans la langue qui est à tous. Nous entrerons dans le secret du génie, et nous verrons comment Dante peut se vanter de n'avoir jamais sacrifié une seule de ses pensées au besoin du vers. On ne s'approche pas impunément d'un génie comme celui de Dante, on n'interprète pas ses paroles sans en être ému, échauffé, éclairé, sans y découvrir des beautés et des vérités innattendues. Nous consacrerons la moitié de nos conférences à commenter ce que nous aurons traduit. Comme la plupart des grands écrivains, Dante est tout entier dans quelques pages de son livre; il ne lui faut pas plus pour montrer tout ce qu'il peut. Il n'y est pas seul, il y porte avec lui tout son siècle, dont il consacre les doctrines, dont les passions l'enflamment, dont les inspirations éclatent dans ses chants. Mais le treizième siècle,

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