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et veut la suivre ; il fait l'aveu de sa passion à son amante, et reçoit avec horreur la déclaration de Phèdre; il meurt du même genre de mort, et son gouverneur fait un récit. Mais c'est lorsque ces deux auteurs se rencontrent le plus pour le fond des choses, qu'on remarque mieux combien ils different pour la manière de les rendre. L'un est le Rubens de la poésie, et l'autre n'est qu'un plat barbouilleur. Lorsque Phèdre, ce triomphe de la versification françoise après Athalie, fut imprimée, ses ennemis firent de nouveaux efforts. Ils se hàtèrent de donner une édition fautive; on gâta des scènes entières; on eut la noirceur de substituer aux vers les plus heureux, des vers plats et ridicules. Racine dégoûté par ces indignités de la carrière du théâtre, semée de tant d'épines, résolut de se faire Chartreux. Son directeur en apprenant le dessein qu'il avoit pris de renoncer au monde et à la comédie, lui conseilla de s'arracher à ces deux objets si séduisans, plutôt par un mariage chrétien, que par une entière retraite. Ilépousa, quelques années après, la fille d'un trésorier de France d'Amiens. Son épouse également belle et vertueuse, fixa son cœur, et lui fit goûter les délices de l'hymen ; délices pures, sans repentir et sans remords. Ce fut alors qu'il se réconcilia avec les Solitaires de Port-Royal, qui n'avoient pas voulu le voir depuis qu'il s'étoit consacré au théâtre. La même année de son mariage, en 1677 Racine fut chargé d'écrire l'Histoire de Louis XIV, conjointement avec Boileau. Au retour de la derTome X

nière campagne de cette année, le roi dit à ses deux historiens : Je suis faché que vous ne soyez pas venus avec moi; vous auriez vu la guerre, et votre voyage n'eut pas été long. Racine lui répondit: Votre Majesté ne nous a pas donné le temps de nous faire faire nos habits.... La religion avoit enlevé Racine à la poésie ; la religion l'y ramena. Mad. de Maintenon le pria de faire une pièce sainte, qui pût être jouée à Saint-Cyr : il fit Esther. Imitateur des anciens qui mêloient dans leurs pièces des événemens de leur temps, il fit entrer dans la sienne le tableau de la cour et des spectateurs. On retrou→ voit Mad. de Montespan sous le nom de Vasthi, et Louvois sous celui d'Aman. L'élévation d'Esther étoit celle de Mad. de Maintenon. Cette pièce fut jouée en présence de toute la cour par les demoiselles de Saint-Cyr, en 1689; et toutes ces allusions ne contribuèrent pas peu à la faire applaudir. (Voyez HÉBERT, et I. SÉVIGNÉ.) Mais quand Esther fut imprimée, le charme se dissipa. Elle parut froide à la lecture; beaucoup de vers foibles, parmi un grand nombre d'exce lens ; l'action n'étoit point théatrale: enfin les beaux esprits de Paris déprimèrent tous les endroits qui avoient eu le suffrage de la cour. Mille louis de gratification consolèrent Racine de ces critiques. Il eut ordre de composer une autre Pièce; il crut avoir trouvé dans le quatrième livre des Rois un fait intéressant, et assez de matière pour se passer d'amour, d'épisodes et de confidens. Il répara la simplicité de l'intrigue par l'élégance de la poésie, par la noblesse des ca◄

Y

ractères, par la vérité des sentimens, par de grandes leçons données aux rois, aux ministres et aux courtisans, par l'usage heureux des sublimes traits de P'Ecriture. Athalie (c'est le nom de cette pièce) fut jouée en 1691; cette tragédie, le chef-d'œuvre de la scène Françoise, fut reçue avec froideur à la représentation et à la lecture on disoit que c'étoit un sujet de dévotion, propre à amuser des enfans. Mais le grand défaut est qu'il n'y a pas assez d'action dans cette pièce; c'est que tout s'y passe presque en longs discours, à la vérité supérieurement écrits; c'est que les quatre premiers actes entiers sont des préparatifs; c'est que Josabeth et Mathan sont des personnages peu agissans; c'est que le rôle du grand - prêtre Joad pouvoit être d'un dangereux exemple pour des fanatiques. « Athalie, dit le cardinal de Bernis à Voltaire, ne m'a jamais paru un ouvrage supérieur que par le style. J'ai toujours été révolté qu'on eût permis de mettre un semblable sujet sur notre théâtre.» Racine, entièrement dégoûté du théâtre, ne travailla plus qu'à l'Histoire du Roi; mais, soit qu'il craignît d'être accusé d'ingratitude s'il étoit vrai,

et

de reconnoissance s'il n'étoit satirique, il ne poussa pas bien loin cet ouvrage, qui périt dans un incendie. Valincourt, possesseur de ce manuscrit, le voyant près d'être consumé, donna vingt louis à un Savoyard pour l'aller chercher au travers des flammes; mais au lieu du manuscrit, on lui apporta un recueil des gazettes de France. Racine jouissoit alors de tous les agrémens que peut avoir un bel esprit à la cour.

.

Il étoit gentilhomme ordinaire du roi, qui le traitoit en favori et qui le faisoit coucher dans sa chambre pendant ses maladies. Ce monarque aimoit à l'entendre parler, lire, déclamer. Tout s'animoit dans sa bouche, tout prenoit une ame une vie. Pendant une maladie de Louis XIV, ce prince lui dit de chercher quelque livre propre à l'amuser. Racine lui proposa le Plutarque d'Amiot ; c'est du gaulois, répondit le roi; mais Racine substitua si heureusement les mots en usage que Louis XIV prit le plus grand plaisir à cette lecture. Dans une partie de plaisir à Auteuil, maison de campagne de Boileau, il lut quelques scènes de Sophocle qu'il traduisoit sur-lechamp. J'ai vu, dit Valincourt, qui étoit présent, nos meilleures Pièces représentées par nos meilleurs acteurs; rien n'a jamais approché du trouble où me jeta le récit du poëte. La faveur de Racine auprès de Louis XIV ne dura pas, et sa disgrace hâta sa mort. Mad. de Maintenon, touchée de la misère du peuple, demanda à Racine un Mémoire sur ce sujet intéressant. Le roi le vit entre les mains de cette dame, et fàché de ce que son historien approfondissoit les défauts de son administration, il lui défendit de le revoir, en lui disant Parce qu'il est Poëte, veut-il être Ministre ? Des idées tristes une fièvre violente, une maladie dangereuse, furent la suite de ces paroles. Racine mourut le 22 avril 1699, à 59 ans d'un petit abcès dans le foie. Un anonyme lui a fait cette épitaphe:

Racine a terminé ses veilles, Entre Sophocle et l'aîné des Corneilles,

Sa place étoit marquée aux champs que sans fatiguer les gens du

Élysiens.

Poëte et courtisan, voici sa courte

histoire :

monde du récit de mes ouvrages dont je ne leur parle jamais, je les entretiens de choses qui leur

Sur la scène il acquit plus d'honneur plaisent. Mon talent avec eux que de biens;

n'est pas de leur faire sentir que

A la cour il obtint plus de bien que j'ai de l'esprit, mais de leur ap

de gloire.

Ce grand homme étoit d'une taille médiocre; sa figure étoit agréable, son air ouvert, sa physionomie douce et vive. Il avoit la politesse d'un courtisan et les saillies d'un bel esprit. Son caractère étoit aimable, mais il passoit pour faux; et avec une douceur apparente, il étoit naturellement très-caustique. Il peignit dans ses Tragédies plus d'un personnage d'après nature, et le célèbre acteur Baron a dit plus d'une fois, «que c'étoit d'après lui-même qu'il avoit fait Narcisse dans la tragédie de Britannicus.» Plusieurs Epigrammes, un grand nombre de Couplets et de Vers satiriques qu'on brûla à sa mort, prouvent la vé– rité de ce que répondit Despréaux à ceux qui le trouvoient trop malin; Racine, disoit-il, l'est bien plus que moi. Sa malignité vint souvent de son amour propre, trop sensible à la critique et aux éloges. Racine voulant détourner son fils aîné de la poésie, lui avouoit que « la plus mauvaise critique lui avoit causé plus de chagrin, que les plus grands applaudissemens ne lui avoient fait de plaisir. » Ne crois pas, lui disoit-il, que ce soient mes piè ces qui m'attirent les caresses des grands. Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens, et cependant personne ne le regarde. On ne l'aime que dans la bouche de ses acteurs; au lieu

prendre qu'ils en ont. ( Voy. aussi l'art. BOILEAU, n.° III.) Malgré cette finesse politique, Racine passoit à la cour pour un homme qui avoit envie d'être courtisan, mais qui ne savoit pas l'être. Le roi le voyant un jour à la pro menade avec M.de Cavoye: Voilà, dit-il, deux hommes que je vois souvent ensemble; j'en devine la raison Cavoye avec Racine se croit bel esprit; Racine avec Cavoye se croit courtisan. Les défauts de ce poëte furent effacés en partie par de grandes qualités. La religion réprima tous ses penchans. La raison, disoit Boileau à ce sujet, conduit ordinairement les autres à la foi; mais c'est la foi qui a conduit Racine à la rai¬ son. Il eut sur la fin de ses jours une piété tendre, une probité austère. Il étoit bon père, bon époux, bon parent, bon ami... (Voyez MONNOYE.) Mais considérons-le à présent par les endroits qui l'immortalisent. Voyons dans cet écrivain rival des tragiques Grecs pour l'intelligence des passions, une élégance toujours soutenue, une correction admirable, la vérité la plus frappante; point, ou presque point de déclamation; par-tout le langage du cœur et du sentiment ; l'art de la versification, l'harmonie et les graces de la poésie portés au plus haut degré. C'est le poëte après Virgile, qui a le mieux entendu cette partie des vers; et en cela, mais peut-être en cela seul, il est supérieur à

Corneille. On ne trouve pas chez Iti comme dans ce père de notre théâtre, ces antithèses affectées, ces négligences basses, ces licences continuelles, cette obscurité, cette emphase, et enfin ces phrases synonymes, où la même pensée est plus remaniée que la division d'un sermon. Nous remarquons ces défauts de Corneille, pour servir de correctif au parallèle que Fontenelle fait de ce poëte avec Racine: paralJèle ingénieux, mais quelquefois trop favorable à l'auteur de Cinna. La Mothe a rendu plus de justice à l'un et à l'autre dans les vers suivans:

L'un plus pur, l'autre plus sublime, Tous deux partagent notre estime ? Par un mérite différent; Tour-à-tour ils nous font entendre Ce que le cœur a de plus tendre, Ce que l'esprit a de plus grand. Ce qui rendit Racine supérieur à Corneille dans les sujets qu'ils. traitèrent l'un et l'autre, c'est que Racine joignoit à un travail assidu une grande connoissance des tragiques Grecs, et une étude continuelle de leurs beautés, de leur langue et de la nôtre. Il consultoit les juges les plus sévères, les plus éclairés. Il les écoutoit avec docilité. Enfin il se faisoit gloire, ainsi que Boileau, d'être revêtu des dépouilles des anciens. Il avoit formé son style sur le leur. « On peut, dit M. du Molard, réussir peut-être mieux que lui dans les catastrophes; on peut produire plus de terreur, approfondir davantage le sentiment, mettre de plus grands mouvemens dans les intrigues; mais quiconque ne se formera pas comme lui sur les anciens, quiconque sur-tout n'i-mitera pas la pureté de leur style

et du sien, n'aura jamais de ré◄ putation dans la postérité.» Nous finirons ces remarques par le jugement plein de délicatesse et de vérité, qu'a porté sur Racine le Franc de Pompignan, dans une lettre au digne fils de ce grand homme. « Si le génie, dit-il, consiste à pénétrer profondément les objets et à les concevoir dans toute leur étendue sans s'arrêter à la surface, à saisir vivement, à rapprocher d'un coup d'œil leurs différens rapports, à les posséder de manière qu'ils paroissent pour ainsi dire créés dans l'ame de celui qui se les approprie, je reconnois le senti→ ment à ce caractère distinctif: il a les mêmes propriétés : il produit les mêmes effets, quoique sa sphère soit plus resserrée. Un pourroit donc conclure que Racine ayant eu le plus grand fonds de sentiment, il est le plus grand génie à cet égard. Horace, la Fontaine Quinault n'étoient pas d'aussi grands génies qu'Homère, Virgile et Corneille; mais c'étoient néanmoins des hommes de génie, parce qu'ils avoient du sentiment à un haut degré. Racine en avoit la plénitude: sa prose et ses vers sont comme pétris de cette faculté souple et délicate, qui s'attache sous sa main aux différentes matières qu'il traite, qui les anime, les vivifie, leur communique ce charme secret qui intéresse, et cette chaleur douce et continue dont il ne faut pas chercher la source dans des mouvemens passagers de tendresse; mais dans le trésor inépuisable d'un cœur naturellement sensible et fécond... L'amour n'inspire point le sentiment, mais le sentiment donne du génie à l'amour... » Outre les

tragédies de Racine, nous avons de lui: I. Des Cantiques qu'il fit à l'usage de Saint-Cyr. Ils sont pleins d'onction et de douceur, On en exécuta un devant le Roi, qui à ces vers:

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi;
L'un veut que, plein d'amour pour toi,
Je te sois sans cesse fidelle;
L'autre, à tes volontés rebelle,
Me soulève contre ta loi.

dit à Mad. de Maintenon: « Ah! Madame, voilà deux hommes que je connois bien. » II. L'Histoire de Port-Royal, 1767, 2 part. in-12: le style de cet ouvrage est coulant et historique, mais quel quefois négligé. III. Une Idylle sur la Paix, pleine de grandes images et de peintures riantes. IV. Quelques Epigrammes dignes de Marot. « Je ne connois, écrivoit Brossette à Rousseau, que trois personnes en France qui ont réussi après Marot, dans le genre épigrammatique. Ces trois personnes sont Despréaux, Racine et vous. » Mais il faut avouer qu'en lisant les épigrammes de Boileau, on trouve qu'il en a trop fait; et en lisant celles de Racine, qu'il n'en a pas fait assez. V. Des Lettres et quelques opuscules, publiées par son fils dans ses Mémoires de la Vie de Jean Racine, 1747 2 volum. in-12. (Voyez I. PLATON à la fin.) On trouve les différens ouvrages de Racine dans l'édition de ses Euvres, publiée en 1768, en 7 vol. in-8°, par Luneau de Boisjermain, qui l'a enrichie de remarques. Les éditions de Londres 1723, 2 vol. in-4°, et de Paris, 1765, 3 vol. in-4°, ainsi que celle de Didot l'aîné, 1783, 3 volum. in-4° ou in-8°, et 5 vol. in-16,

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sont très belles mais moins complètes. Boileau orna le portrait de son illustre ami de ces quatre vers:

Du Théâtre François l'honneur et la merveille,

Il sut ressusciter Sophocle en ses Écrits,

Et dans l'art d'enchanter les cœurs et les esprits,

Surpasser Euripide et balancer Cor

neille.

L'abbé d'Olivet donna des Remarques de Grammaire sur Racine, avec une Lettre critique sur la rime adressée à M. le président Bouhier, in-12, à Paris, 1738. L'année suivante l'abbé des Fontaines opposa à cet écrit : Racine vengé, ou Examen des Remarques grammaticales de M. l'abbé d'Olivet sur les Œuvres de Racine, à Avignon, (Paris) in-12. Ces deux écrits méritent d'être lus. Celui de l'abbé d'Olivet a été réimprimé en 1766. Mad. de Romanet, veuve de Racine, dont il avoit eu deux fils et trois filles mourut à Paris au mois de novembre 1732.

II. RACINE, (Louis) fils du précédent, naquit à Paris en 1692. Ayant perdu son père de bonne heure, il demanda des avis à Boileau qui lui conseilla de ne pas s'appliquer à la poésie, mais son penchant pour les Muses l'entraîna. Il donna en 1720 le poëme de la Grace, écrit avec assez de pureté, et dans lequel on trouve plusieurs vers heureux. I le composa chez les Pères de POratoire de Notre-Dame des Vertus, où il s'étoit retiré après avoir embrassé l'état ecclésiastique. Les chagrins que son père avoit essuyés à la cour, lui fai

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