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toit assez souvent. Aussi Richelieu disoit-il que le cabinet de ce Prince et son petit coucher lui causoient plus d'embarras que l'Europe entière. Sortant du conseil où le monarque avoit été forcé de sacrifier son avis au sien, il se rangeoit pour le laisser pas ser. « N'êtes-vous pas le maître ici, lui dit le roi, passez donc le premier. » Je ne le puis, répondit l'adroit ministre en prenant un flambeau des mains d'un page, qu'en remplissant auprès de Votre Majesté l'office de son serviteur. Quoiqu'il fût haut et impérieux, il avoit l'air doux, et il accueilloit tout le monde avec une extrême politesse. Il tendoit une main affectueuse à ceux qui venoient lui parler, et lorsqu'il avoit dessein de les gagner, il les combloit de louanges et de caresses. On pouvoit compter sur sa parole, au lieu que Mazarin se jouoit de la sienne; et quand il avoit promis une grace, on étoit sûr de l'obtenir. Il étoit ardent à rendre service à ses amis et à tous ceux qui lui étoient attachés. Ses domestiques le regardoient comme le meilleur des maîtres, et il les récompensoit avec cette libéralité qui forma souvent son caractère. Il voulut que sa sépulture même se ressentit de la grandeur avec laquelle il avoit vécu. Il choisit pour le lieu de son tombeau l'Eglise de Sorbonne. qu'il avoit rebâtie avec une magnificence vraiment royale. On lui éleva depuis un mausolée, chef-d'œuvre du célèbre Girardon. Ce qu'on a dit à l'occasion de ce monument, magnum disputandi argumentum, est, selon Voltaire, le vrai caractère de son genie et de ses actions. Il est très-difficile de connoître

un homme dont ses flatteurs ont dit tant de bien, et ses ennemis tant de mal. Il eut à combattre la maison d'Autriche, les Calvinistes, les grands du royaume, la reine - mère sa bienfaitrice le frère du roi, la reine régnante, à laquelle il osa tenter de plaire; enfin le roi lui-même, auquel il fut toujours nécessaire et souvent odieux. Malgré tant d'ennemis réunis, il fut tout en même temps, au dedans et au dehors du royaume. Mobile invisible de toutes les cours, il en régloit la politique sur les vrais intérêts de la France. Par ce principe il retenoit on relâchoit les rênes qu'il manioit en maître. Il savoit ainsi faire de tous les ministres étrangers ses propres ministres, et ses volontés s'exécutoient dans les armées de Portugal, de Suède, de Danemarck et de Hongrie comme s'il eût été en droit d'y donner des ordres absolus. En un mot le cardinal de Richelieu étoit l'ame de l'Europe, et fut à quelques égards, digne d'annoncer Louis XIV au monde. Ce fut lui sur-tout qui prépara l'autorité absolue de ce monarque; et ce n'est pas peut-être un beau sujet d'éloge. «Sans ce ministre altier, dit l'abbé Millot, la couronne se dégradoit. En terrassant le génie républicain du Calvinisme par la prise de la Rochelle, en abbattant avec la hache du bourreau les têtes illustres de plusieurs chefs de parti, il remet le roi en possession de toute l'autorité, ou plutôt il l'attache toute entière à son propre ministère. Faut-il que le pouvoir monarchique, si cher aux François, si nécessaire à leur bonheur, puisse contracter les vices de la tyrannie? Richelieu a malheureuse

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ment l'ame d'un despote; et les circonstances le poussent à des excès où il n'est que trop porté de lui-même. Il écrase d'impôts la nation et insulte en quelque sorte, à la misère publique par le faste de sa cour. Il veut que le parlement obéisse les yeux fermés, sans examen des édits, sans délibération libre ; il traite la magistrature en esclave plutôt qu'en dépositaire des lois. Il donne aux grands dont il a juré la perte, des juges qu'il regarde comme les instrumens serviles de ses vengeances et il dirige leurs arrêts sans daigner se couvrir d'un voile d'impartialité. En un mot, le pouvoir arbitraire se déploie si violemment entre ses mains, que la haine le poursuit jusqu'au tombeau, malgré les services réels qu'il a rendus à la monarchie. C'en étoit un bien essentiel d'affermir l'autorité de la couronne, de plier les grands à la dépendance, et de faire mouvoir par la direction d'un seul chef, tous les membres du corps politique. Mais la sagesse de Henri IV, sa justice, sa bonté et ses bienfaits, avec la vigueur de son ame étoient (on ne peut trop le répéter) plus propres encore à cimenter ce grand ouvrage, que les foudres de Richelieu.» Les appréciateurs sévères de ses talens conviennent que dans l'art de négocier il montra du génie et une grande supériorité de vues. Mais dans ce genre même, ils lui reprochent une faute très-importante : c'est le traité de 1633, portant partage des Pays-Bas Espagnols entre la France et la Hollande. Ce traité fut l'époque qui apprit aux Hollandois qu'ils avoient besoin de barrières contre la France;

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et Richelieu qui vouloit les unir à lui contre l'Espagne, en montrant son ambition glaça leur zèle. C'est donc à lui qu'ils attribuent la première origine de cette défiance qui éclata toujours depuis entre la cour de Versailles et celle de la Haye. Quelquesuns vont jusqu'à lui faire un reproche de cette politique si vaste tant admirée par d'autres. Ils remarquent qu'au dehors comme au dedans son ministère fut tout à la fois éclatant et terrible; qu'il détruisit bien plus qu'il n'éleva; que tandis qu'il combattoit des rebelles en France, il souffloit la révolte en Allemagne en Angleterre et en Espagne ; qu'il créa le premier ou déveToppa dans toute sa force, le système de politique qui veut immoler tous les états à un seul; qu'enfin il épouvanta l'Europe comme ses ennemis. Ils avouent que l'abbaissement des grands étoit nécessaire; mais ceux qui ont réfléchi sur l'économie politique des états, demandent si appeler tous les grands propriétaires à la cour, ce n'étoit pas en se rendant très-utile pour le moment, nuire par la suite à la nation et aux vrais intérêts du prince; si ce n'étoit pas préparer de loin le relâchement des mœurs, les besoins du luxe, la détérioration des terres, la diminution des richesses du sol, le mépris des provinces, l'accroissement des capitales; si ce n'étoit pas forcer la noblesse à dépendre de la faveur, au lieu de dépendre du devoir; s'il n'y auroit pas eu plus de grandeur comme de vraie politique, à laisser les nobles dans leurs terres et à les contenir, à déployer sur eux une autorité qui les accoutumât à être sujets,

sans les forcer à être courtisans. C'est à ceux qui ont étudié l'histoire et la politique, de juger Richelieu, d'après les différentes observations que nous venons de - rassembler sur cet homme célèbre. Thomas en a laissé un portrait peu flatté, mais trop véri table. Ce portrait est peu connu, ayant été retranché par le censeur de son Essai sur les Eloges; et nous le rapporterons encore: «< Examinons, dit-il, les moyens dont Richelieu se servit, et de quelle manière il déploya l'autorité royale qu'il usurpoit. Il y avoit deux reines; il les persé cuta toutes deux, et les outragea tour-à-tour ensemble; il traita l'une plus d'une fois comme criminelle; il força l'autre d'être jusqu'à sa mort errante et fugitive hors du pays où elle avoit régné, privée de ses biens, manquant du nécessaire, et réduite à implorer par d'inutiles requêtes, la vengeance du parlement contre son ennemi, qu'elle avoit fait cardinal et ministre. Le roi avoit un frère; le cardinal toute sa vie en fut l'oppresseur et le tyran. Il emprisonna ou fit périr sur l'échafaud plusieurs des amis de ce prince, le maltraita lui même, l'obligea plus d'une fois à force de persécutions, de fuir de la cour et de sortir de France, déclara tous ses partisans coupables de lèse-majesté, et fit ériger une chambre pour les proscrire. Par-tout, on ne voyoit que des instrumens honteux de supplice, et des effigies de ceux qui avoient échappé à la mort par l'exil. Il y avoit des princes du sang; le cardinal les traite à peu près comme le frère du roi ; il les emprisonne ou les fait fuir, les avilit ou les écrase. Il y avoit

des ministres, des généraux, des amiraux, des maréchaux de France; il sait avec eux le même plan. Le ministre la Vieuville le fait entrer au conseil ; le cardinal lui jure sur l'hostie une amitié éternelle; le cardinal, six mois après le fait arrêter. Le duc de Montmorenci avoit la place d'amiral; le cardinal l'en dépouille, et la prend pour lui sous un autre nom. Ce même duc en 1630 gagne une bataille en Italie, et en 1632 perd la tête sur un écha→ faud pour s'être ligué avec le frère du roi contre le ministre : il est vrai qu'il avoit été pris les armes à la main. Les deux princes de Vendôme fils de Henri IV, sont emprisonnés à Vincennes ; le comte de Soissons fuit en Italie, le duc de Bouillon sauve sa tête. par l'échange de Sédan. Parmi les maréchaux de France, le maréchal Ornano arrêté en 1636 meurt à Vincennes; le maréchal de Marillac, après quarante ans de service, est décapité, sous prétexte de concussion, c'est-àdire comme il le disoit lui-même, pour un peu de paille et de foin; le maréchal de Bassompierre, un des meilleurs citoyens, est mis à la Bastille et y reste onze ans, c'est-à-dire jusqu'après la mort du cardinal. En 1626, le comte de Talleyrand-Chalais ennemi du cardinal, est jugé à mort et exécuté à Nantes. En 1631; Marillac le garde des sceaux, frère du maréchal, est aussi arrêté et meurt prisonnier à Château-Dun. En 1633, Château-Neuf autre garde des sceaux, est mis en prison sans forme de procès. En 1633, le commandeur de Jars et d'autres, sont condamnés à perdre la tête: un seul a sa grace aur l'échafaud; tous les autres

sont

font exécutés. En 1638, le diic de la Valette fugitif, est condamné à mort par des commissaires, exécuté en effigie et dé'claré innocent après la mort du cardinal. En 1642, Cing-Mars favori du roi, est exécuté pour avoir conspiré contre le cardinal : de Thou, qui avoit su la conspiration et qui s'y étoit opposé de toutes ses forces par ses conseils, est aussi arrêté, jugé à mort et exécuté. C'est ainsi que le cardinal traita tous les grands et les hommes en place qui étoient ou qu'il regardoit comme ses ennemis. Le roi avoit des favoris, des confesseurs et des maîtresses; le cardinal les fit exiler et arrêter on les obligea de prendre la fuite dès qu'ils eurent le courage de lui déplaire. Les particuliers mêmes furent exposés à sa vengeance. Urbain Grandier est condamné comme magicien et brûlé vif en 1634 son premier crime étoit d'avoir disputé dans les écoles de théologie le rang à l'abbé Duplessis-Richelieu. Tous ceux qui étoient amis de ses ennemis, tous ceux qui approchèrent à quelque titre et de quelque manière que ce fût, de la mère ou du frère du roi, créatures, confidens, domestiques, médecins mêmes furent arrêtés, dispersés, condamnés, et perdirent ou la li berté ou la vie. Il y avoit des lois; il n'en respecta aucune dès qu'il s'agissoit des intérêts de sa haine : il persécuta ceux qui les récla moient; il opprima les corps éta blis pour en être les dépositaires et les vengeurs. Jamais il n'y eut en France autant de commissions. On sait que Richelieu se servit toujours de cette voie pour assassiner juridiquement ses ennemis. Laubadermont conseiller d'éTome X.

tat, et l'un de ces hommes làches et cruels faits pour servir d'instrument au plus barbare despotisme, pour égorger l'innocence aux pieds de la fortune pour calculer toutes les infamies par l'intérêt, et avilir le crime même aux yeux de celui qui le commande et qui le paye; Lau badermont enivré de sang et affa→ mé d'or, présidoit à la plupart de ces tribunaux, alloit prendre d'avance les ordres de la haine les recevoit avec le respect de la bassesse, se pressoit d'obéir pour ne pas faire attendre la vengeance, et après avoir immolé sa victime venoit pour le salaire d'un meurtre recevoir le sourire d'un ministre. C'est ainsi qu'Urbain Gran dier fut traîné dans les flammes Marillac, Cing-Mars et de Thou sur les échafauds. Celui qui se jouoit ainsi des lois, ne devoit point avoir plus de respect pour leurs ministres. Il destitua arbitrairement des magistrats; il écrasa les parlemens; il interdit des cours souveraines. En. 1631 il envoie au parlement un arrêt du conseil qui déclare tous les amis du frère du roi coupables de lèse-majesté. Les voix s'y partagent; le parlement est mandé; on déchire les procédures, et trois des principaux membres sont exilés. En 1636, il crée pour avoir de l'argent, vingt-quatre charges nouvelles. Le parlement se plaint; le cardinal fait em→ prisonner cinq magistrats. Ainsi, par-tout il déployoit avec une inflexible hauteur les armes du despotisme; c'est ainsi qu'il vint à bout de tout abaisser. Pour voir maintenant s'il travailla pour l'état ou pour lui-même, il suffit de remarquer qu'il étoit roi sous le nom de ministre; que secré

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taire d'état en 1624, et chef de tous les conseils en 1639, il se fit donner pour le siége de la Rochelle, les patentes de général; que dans la guerre d'Italie il étoit généralissime et faisoit marcher deux maréchaux de France sous ses ordres ; qu'il étoit amiral sous le titre de surintendant général de la navigation et du commerce; qu'il avoit pris pour lui le gouvernement de Bretagne et tous les plus riches bénéfices du royaume; que tandis qu'il faisoit abattre dans les provinces toutes les petites forteresses des seigneurs, et qu'il ôtoit aux Calvinistes leurs places de sureté, il s'assuroit pour lui de ces mêmes places; qu'il possédoit Saumur Angers, Honfleur, le Havre, Oléron et l'isle de Ré, usurpant pour lui tout ce qu'il ôtoit aux autres ; qu'il disposoit en maître de toutes les finances de l'état; qu'il avoit toujours en réserve chez lui trois millions de notre monnoie actuelle ; qu'il avoit des gardes comme son maître, et que son faste effaçoit celui du trône ainsi sa grandeur éclipsoit tout. S'il humilia les grands, ce ne fut point pour Fintérêt des peuples; jamais ce sentiment n'entra dans son ame. Il étoit ambitieux, et il vouloit se venger il s'éleva sur des ruines. Si pour achever de le connoître, on demande maintenant ce qu'il fit pour les finances, pour Pagriculture, pour le commerce pendant près de vingt ans qu'il régna, la réponse sera courte : Rien. Ces grandes vues d'un ministre, qui s'occupe de projets d'humanité et du bonheur des nations, et qui veut tirer le plus grand parti possible et de la terre et des hommies, lui étoient en

tièrement inconnues; il ne paroft pas même qu'il en eût le talent. Les finances sous son règne furent très-mal administrées. Après la prise de Corbie en 1636, on avoit à peine de quoi payer les troupes: il fut réduit à la misérable ressource de créer des charges de conseillers au parlement. Sous lui, les provinces furent toujours très-foulées d'une main il abattoit les têtes des grands, et de l'autre il écrasoit les peuples. Presque toutes ses opérations de finance se réduisirent à des emprunts et à une multitude prodigieuse de créations d'offices, espèce d'opération détestable qui attaque les mœurs, l'agriculture, l'industrie d'une nation, et qui d'une richesse d'un moment, fait sortir une éternelle pauvreté. L'état, sous Richelieu, paya communé— ment' quatre-vingts millions à vingt-sept livres le marc, c'està-dire près de cent soixante millions d'aujourd'hui. Le clergé qui sous Henri IV donnoit avec peine treize cent mille livres, sous les dix dernières années du cardinal paya, année commune, quatre millions. Enfin, ce ministre endetta le roi de quarante millions de rente; et à sa mort il y avoiť trois années consommées d'avance. On peut donc lui repro→ cher d'avoir prodigieusement augmenté cette maladie épidémique des emprunts, qui devenoit de jour en jour plus funeste; ďavoir donné l'exemple de la multiplication énorme des impôts; d'avoir aggravé tour-à-tour, et la misère par le despotisme, et le despotisme par la misère ; de n'avoir jamais voulu que cette grandeur imaginaire de l'état, qui n'est que pour le ministre et dont

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