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CHAPITRE VIII.

AGITATIONS SOURDES, UTOPIES, REPRESSION.

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Influence fâcheuse de l'agitation sur le crédit; fonds publics, banque, affaires industrielles et commerciales. La Montagne dans l'Assemblée. Audace croissante des journaux et des clubs. Sagesse de l'Assemblée, vote définitif de la proposition Lanjuinais. Commission du projet de loi sur les clubs, projet nouveau de MM. Crémieux et Senard, révélations de M. Léon Faucher, apologie des clubs par M. Crémieux. M. Lagrange et les insurgés. — Assassins du général de Bréa, jugement du conseil de guerre, le socialisme et l'assassinat. Désordres à Cette et à Niort, connivence des autorités, répression énergique; rixes à Lyon, la statue de l'Homme du Peuple, mort d'un anarchiste. - Croisade contre la révolte, dissolution de gardes nationales, révocation de sous-préfets et de maires, enlèvement d'emblèmes révolutionnaires. Le maréchal Bugeaud à Bourges et à Lyon, discours énergiques, interpellations de MM. Coralli, Arago et Saint-Gaudens, réponse de M. Odilon Barrot, ordre du jour. Utopies, M. Cabet et l'Icarie, déceptions et misères; M. Proudhon arrive à l'application, Banque du Peuple, déclaration solennelle, statuts de la Banque nouvelle; rivalités de boutique, M. Considérant et M. Proudhon, injures mutuelles; la Révolution démocratique et sociale ou les utopistes sans atopie. Anniversaire du 24 février, service funèbre, manifestation contremandée; banquets, fusion du socialisme et de la Montagne historique, conversion subite de M. Ledru-Rollin; désordres dans les départements, troubles à Clamecy, à Toulouse, à Auch, à Dijon, à la Guillotière, à Carcassonne, à Narbonne, complicité des autorités.

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Au milieu de ces agitations parlementaires et de ces menées anarchiques le mouvement de reprise, qui s'était manifesté dans les affaires industrielles et commerciales à la suite de la nomination du président de la République, s'était presque complétement arrêté; la confiance, qui commençait à reparaître, s'était retirée de nouveau; les fonds publics avaient perdu une partie

du terrain qu'ils avaient regagné; la décroissance du portefeuille de le Banque montrait que le crédit privé n'était pas dans une situation meilleure que le crédit public; les boutiques se fermaient; le nombre des faillites augmentait; enfin, dans les . grands centres manufacturiers, on ne recevait plus de commandes, on ne voyait plus d'acheteurs. C'étaient là les suites naturelles du conflit élevé entre les deux pouvoirs. A tort ou à raison, on croyait voir l'Assemblée se livrant tous les jours davantage à un parti qu'elle avait su jusque-là contenir. Dans les commissions, dans les bureaux, dans les votes de la Chambre, il semblait que la majorité fût déplacée..

Il fallait ajouter à ces causes d'anxiété l'audace croissante qu'on remarquait dans le langage des journaux révolutionnaires et des réunions démagogiques, des appels aux plus détestables passions, des apologies de la guerre civile, des justifications de l'assassinat. Si, en présence de pareils excès, on plaçait le vote par lequel l'Assemblée venait de repousser l'urgence de la loi contre les clubs, on ne pouvait s'étonner que la confiance et le travail fussent, une fois encore, paralysés.

A ces motifs d'inquiétude s'ajoutait encore le bon accueil fait par la Constituante à des projets qui devaient apporter une perturbation nouvelle dans les finances. On avait réduit l'impôt du sel des deux tiers; l'impôt des boissons était menacé à son tour, et la commission, appelée à prononcer sur son sort, nommait pour président celui-là même qui proposait de l'abolir.

Il faut pourtant se hâter de le dire, les menaces renouvelées contre la société à la faveur des discussions entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif semblaient enfin avoir éclairé la Chambre. Le 14 février, malgré les efforts de M. Émile Péan, malgré deux amendements contradictoires de M. Senard, l'Assemblée persista dans une sage résolution, en adoptant définitiFement la proposition de M. Lanjuinais à la majorité de 37 voix (424 contre 387). Les votes antérieurs faisaient prévoir ce résultat: on n'en devait pas moins savoir gré à l'Assemblée d'une persistance qui l'honorait et qui ramènerait le calme dans le pays.

La haute prudence qui caractérisait cette détermination ne

pouvait toutefois faire oublier les encouragements que l'esprit d'anarchie avait reçus de la Chambre elle-même. Ainsi, la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les clubs l'avait, à la majorité de 9 voix contre 6, déclaré inconstitutionnel. Néanmoins, deux membres de la majorité, MM. Crémieux et Senard, s'étaient réunis à la minorité pour présenter un autre projet ayant pour but principal de modifier le décret primitif rendu dans le mois de juillet 1848. En vain, le 5 février, pour justifier la loi sur les clubs et la demande d'urgence, M. Léon Faucher avait-il apporté à la tribune un extrait des procès-verbaux où étaient recueillis par les commissaires les discours tenus dans ces foyers d'anarchie. Il avait exposé dens leur nudité les abominables principes prêchés journellement dans ces antres de désordre. Ici, un orateur évoquait ce paradoxe déjà vieilli : La propriété est un vol; là, un énergumène en appelait au droit du plus fort, à la raison dernière du fusil; un autre voulait passer le niveau sur les têtes des riches; celui-ci décernait un brevet d'héroïsme aux insurgés de juin, et disait : « Le peuple a été battu, mais non vaincu ; » celui-là justifiait le meurtre de M. Rossi, et applaudissait aux vertus de son lâche assassin.

Tout cela n'empêcha pas le rapporteur de la commission, M. Crémieux, de considérer les clubs comme des réunions pacifiques et nullement dangereuses. Il en donnait cette raison étrange que leur nombre augmente dans les temps de troubles et d'anarchie. A cet argument si logique venait s'en ajouter un autre aussi sérieux. Le rapporteur énumérait les condamnations infligées depuis le mois d'avril aux clubistes et aux clubs: devant les tribunaux de police correctionnelle, 34 contraventions imputées à 42 individus, amenant 30 condamnations; sans compter le châtiment d'un outrage public envers un commissaire de police, et la fermeture de deux clubs pour avoir restreint la publicité et avoir admis des mineurs et des femmes. En cour d'assises: 14 affaires provoquées par 11 clubs, 8 clubs condamnés dans la personne de 21 accusés, dont 8 avaient attaqué la propriété, 6 outragé la morale publique, 2 provoqué à la guerre civile, 3 attaqué l'autorité de l'Assemblée, 1 attaqué la Constitution. Le rapporteur, ne pouvant tirer de ces nombreuses condamnations la preuve de l'inno

cence des clubs, voulait du moins établir l'efficacité de la répression. Mais qui ne savait que, par l'impuissance même de la loi, les clubs avaient joui en fait d'une véritable impunité? Cela était si vrai, que M. Crémieux lui-même était chargé par la commission de proposer de nouvelles mesures répressives. L'énumération des condamnations infligées sous l'empire d'une loi inefficace suffisait pour démontrer que l'état permanent des clubs est la provocation au désordre et la violation de toutes les lois.

Suivait, dans le rapport, la glorification des clubs de la première révolution, et en particulier, du club des Jacobins, l'identification peu flatteuse de leur cause à celle de la République elle-même, et la personnification du peuple dans ces assemblées violentes qui se substituaient à lui, et réalisaient le plus sanglant des despotismes.

Et cependant, les prisons étaient encore pleines de malheureux poussés à la plus sauvage des guerres civiles par les excitations des clubs. Malgré les propositions nombreuses de M. Lagrange, soutenues par des formes étranges de langage, l'Assemblée se refusait à justifier par une amnistie, qu'on semblait plutôt exiger qu'implorer, les ennemis de la société. Quelques jours auparavant (8 février) le conseil de guerre prononçait son jugement dans le procès relatif au meurtre odieux du général de Bréa. C'était encore là un des fruits de l'excitation politique appliquée à des instruments grossiers et farouches. On se rappelle ce général qui, sous l'égide du parlementaire, caractère respecté même parmi des sauvages, avait, comme l'archevêque de Paris, trouvé la mort parmi ceux auxquels il apportait des paroles de concorde et de paix. Après un supplice de six heures, lui et son aide-de-camp avaient été, non-seulement égorgés, mais mutilés, comme par des cannibales. C'est au nom des doctrines qui prétendent régénérer l'ordre social, c'est au cri de Vive la République démocratique et sociale! que cet attentat inouï avait été consommé. La plupart de ces individus fréquentaient assiduement les clubs. Parmi eux, deux enfants, l'un de dix-neuf ans, l'autre de dix-huit, avaient agi, cela ressortait de tous leurs antécédents, sous l'inspiration des doctrines socialistes. Cinq d'entre eux, Daix, Lahr, Nourry, Vappreaux jeune et Choppart furent

condamnés à la peine capitale; cinq autres furent condamnés aux travaux forcés ou à la détention plus ou moins prolongée. Quelques-uns persistèrent, en entendant leur arrêt, à confondre leur lâche assassinat avec la cause de la République sociale. Le moment n'était pas loin où les chefs de la démagogie accepteraient comme leurs ces honteux séides et les travestiraient en martyrs.

En attendant des occasions plus sérieuses, l'anarchie ne désarmait pas. De jour à autre, quelques désordres isolés entretenaient l'inquiétude publique. A Cette, le 7 février, une foule ameutée pénétrait violemment dans la salle des délibérations du conseil municipal; elle saccageait plusieurs maisons dont le mobilier était livré aux flammes. Cette scène de dévastation et de violence se prolongeait pendant quatre heures, au milieu d'une ville possédant une garnison, une garde nationale, des autorités municipales, et cela sans qu'aucun effort fût fait pour mettre un terme à ces excès. La garde nationale restait indifférente ou pactisait avec l'émeute. Le maire oubliait ses devoirs et ne réclamait pas l'appui de la force publique. Il avait, il est vrai, provoqué luimême ce regrettable mouvement en se refusant à exécuter les ordres du préfet pour l'enlèvement d'un arbre de liberté surmonté d'un bonnet rouge.

A Niort, le 18 février, une bande de perturbateurs chercha à s'opposer, par la violence, au départ d'un escadron du 2e chasseurs. Ici, encore, l'autorité fut complice du désordre. Un commissaire de police tentait d'arrêter, au nom du peuple, le colonel de l'escadron, insulté à la tête de ses hommes, parce qu'il avait cru devoir repousser la violence par la violence. Un représentant du peuple, M. Maichain, se faisait remarquer au milieu des groupes criant: «Vive la République démocratique et sociale! » Le préfet des Deux-Sèvres lui-même, M. Degouve-Denuncques, chercha à persuader au colonel qu'il devait se rendre prisonnier, parce que tel était le bon plaisir du peuple. Le colonel et le régiment tout entier surent, mieux que les représentants du Gouvernement central, garder l'attitude nécessaire devant l'émeute.

A Niort, le colonel de Cotte avait châtié d'un coup de plat de sabre le démagogue qui le menaçait grossièrement, et l'esprit de

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