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rité facile aux dépens du Gouvernement, aux dépens des intérêts véritables de la France. Quoi qu'il en soit, ce vote imprudent n'était-il pas une preuve nouvelle des dangers d'une Chambre unique et des erreurs difficilement réparables d'un pouvoir législatif sans contrepoids? (28 décembre.) Dans l'état actuel des choses, l'Assemblée se trouvait engagée par un premier vote et ne pouvait rien changer à ses propres décisions. Le droit de veto du Président n'était pas applicable à l'Assemblée constituante. Il y avait là un péril trop grand pour que l'Assemblée ne cherchât pas, bien qu'un peu tard, à prendre des précautions contre ellemême. Le lendemain de ce vote regrettable, qui enlevait 46 millions au Trésor obéré, un rapport fut fait sur un projet qui devait combler la lacune et mettre en garde l'Assemblée contre la passion et la précipitation des votes. L'art. 41 de la Constitution, relatif au mode de délibération des Assemblées législatives futures, soumettait chaque décision de ces Assemblées, qui ne serait pas prise d'urgence, à l'épreuve de trois lectures successives. La Commission du règlement proposa, le 2 janvier, que l'Assemblée actuelle, qui n'avait plus de Constitution à faire, mais seulement des lois, s'appliquât à elle-même les règles qu'elle avait tracées aux Assemblées à venir, et n'adoptât désormais aucun projet de loi, sauf les cas d'urgence, qu'après trois délibérations, séparées par des intervalles d'au moins cinq jours. La discussion de cette proposition fut tumultueuse, empreinte de passion. Plusieurs membres défendirent la réduction de l'impôt du sel avec aigreur. Toutefois, la proposition fut adoptée.

Le vote sur l'impôt du sel fut considéré par toute la France comme une atteinte portée au crédit, comme une menace d'aggravation pour les autres impôts. La Chambre avait du même coup enlevé au pays 50 millions et la confiance; elle avait frappé les finances publiques par la diminution des ressources et par l'affaiblissement du crédit; elle avait porté un grave préjudice à l'industrie, en faisant renaître le doute et l'inquiétude dans les esprits, au moment où ils s'ouvraient à l'espérance. L'Assemblée, qui comptait sur cette mesure pour rétablir sa popularité ébranlée, s'était, au contraire, aliéné les populations par ce faux calcul. On vit dans ce vote, non-seulement une recherche trop

ardente de popularité aux dépens du budget, mais encore une sorte de disposition à la lutte contre le nouveau Pouvoir.

L'Assemblée eut à revenir, dans les premiers jours de janvier, sur la loi malencontreuse votée le 28 décembre. Ce n'était plus de l'impôt du sel qu'il s'agissait cette fois; la proposition nouvelle avait pour but de relever le tarif adopté à l'importation des sels étrangers dans les ports de l'Océan et de la Manche. Dans la précipitation apportée au vote de la loi sur le sel, une erreur grave avait été commise. On avait méconnu les dispositions qui devaient garantir la production indigène contre la production étrangère; jusqu'ici les sels étrangers avaient été frappés de prohibition. La commission avait proposé de remplacer cette mesure par des droits qui variaient suivant les zones d'importation; ainsi elle avait présenté un tarif de 2 fr. 50 sous pavillon français et de 3 fr, sous pavillon étranger par le littoral de la Manche et de l'Océan; mais l'Assemblée, qui avait adopté le droit de 2 fr. à l'entrée par terre et par les frontières de Belgique, réduisit le droit sur la Méditerranée et l'Océan à 50 centimes et 1 fr. suivant le pavillon.

Or, ce sont les sels anglais qui doivent également venir faire concurrence aux sels indigènes, soit par la frontière de la Belgique, soit par le littoral de la Manche et de l'Océan. Mais, d'après le système de tarifs adopté par l'Assemblée, ils ne pouvaient entrer qu'au droit de 2 fr. par la frontière de Belgique, tandis qu'ils pouvaient être importés au droit de 50 c. par le littoral; quelle cause assigner à l'excessive inégalité de ces droits sur les mêmes. produits ayant la même origine? Il n'y en avait qu'une, la confusion qui avait présidé à la discussion et aux votes.

Aussi, à peine la loi était-elle votée que cinq représentants déposèrent une proposition pour rehausser les droits à l'importation par nos frontières de la Manche et de l'Océan; le comité de l'agriculture, auquel elle fut renvoyée, reconnut qu'en effet le droit de 50 centimes livrerait notre marché intérieur aux sels étrangers et porterait un coup funeste à la production sur nos côtes de l'Ouest; il résulta des recherches, auxquelles il se livra, que le prix du quintal de sel de l'Ouest, rendu à Rouen, pouvait être en moyenne de 5 fr. 58 c., tandis que le prix du sel portugais,

rendu à la même destination, serait de 3 fr. 50, et celui du sel anglais de 3 fr. 63; de telle sorte qu'il y avait une différence de 2 fr. 08 c. au profit du sel portugais, et de 1 fr. 95 c. au profit du sel anglais; la commission fut ainsi conduite à proposer un droit de 2 fr. et de 2 fr. 50, suivant le pavillon; ce droit de 2 fr., s'élevant à 2 fr. 20 avec le décime, laissait à nos produits un avantage de 25 c. sur le sel anglais et de 12 c. sur le sel de Portugal.

Le tarif de la commission fut vivement attaqué et, malgré l'appui que lui donna M. le ministre des Finances, le chiffre proposé fut rejeté au scrutin de division par 385 votans contre 344. C'est qu'il était difficile, en effet, de s'expliquer le décret proposé, si l'on se rappelait que le principal argument des partisans de la réduction du sel avait été celui-ci : La réforme ne coûtera rien au trésor; l'augmentation de la consommation sera considérable, et le fisc retrouvera sur la quantité ce qu'il perdra sur la quotité de perceptions. Mais si la consommation devait augmenter, il fallait aussi dès lors permettre l'entrée des marchés français aux sels étrangers. Sans cela, il était évident que les producteurs français élèveraient leur prix de vente, et que le consommateur ne profiterait pas de la réduction dont le Trésor public paierait tous les frais. Tels furent les arguments de MM. Dezeimeris et Frédéric Bastiat. Ce que l'on proposait aujourd'hui, selon eux, c'était, au lieu de la prohibition, un droit prohibitif. D'où il suivait qu'en votant la réduction des deux tiers sur l'impôt du sel, l'Assemblée avait travaillé bien moins dans l'intérêt des consommateurs que dans celui des propriétaires de marais salants.

On avait, il est vrai, l'air de croire que le droit de 2 fr., proposé par le décret, permettrait l'entrée des sels étrangers et concilierait tous les droits engagés dans le débat. Mais sur quoi se fondait cette opinion? Il résultait, au contraire, des documents et des chiffres que le rapport avait réunis à l'appui de cette thèse, que ce n'était pas à 2 fr., mais à 4 fr. ou à 5 fr. qu'il faudrait fixer le droit pour établir une transaction équitable entre les sels français de l'Ouest et ceux de Liverpool ou du Portugal.

Le droit de 2 fr. une fois repoussé par la Chambre, M. Passy insista pour qu'on ne compromît pas, faute d'une protection suf

fisante, l'existence d'une industrie qui, selon M. le ministre, occupait plus de 100,000 ouvriers, et qui procurait un transport de plus de 100,000 tonneaux à notre marine côtière. Le ministre n'établit par aucuns documents officiels la vérité de ces chiffres évidemment exagérés.

Après lui, M. Dufaure s'attacha à montrer les conséquences funestes qui résulteraient de l'abandon des marais salants, dont les exhalaisons pestilentielles porteraient la mort dans le voisinage et décimeraient toute la population du littoral de l'Ouest.

Ces arguments, plus spécieux que solides, parurent l'emporter sur la majorité qui, faute d'études suffisantes sur la question, semblait surtout préoccupée de la crainte de se déjuger. L'Assemblée adopta un amendement de M. Sautayra, qui fixait le droit d'importation dans les ports de la Manche et de l'Océan à 1 fr. 75 sous pavillon français, et 2 fr. 25 sous pavillon étranger. C'était une diminution de 25 centimes sur le droit proposé par la commission (11 janvier).

Sur la proposition de M. Fould, appuyée par M. Demesmay, l'Assemblée, reconnaissant implicitement son ignorance de la question, décida qu'il serait fait, en 1849, une enquête parlementaire sur la production et le commerce du sel en France. Ce serait peut-être un correctif du vote imprudent qui avait prononcé la réduction; cette résolution signifiait que la question restait encore à l'étude, et que si la réduction ne tenait pas ce qu'elle avait promis, l'Assemblée prochaine pourrait corriger l'erreur de sa devancière (13 janvier).

La réduction des deux tiers de l'impôt sur le sel avait naturellement ramené l'attention vers les projets d'impôts nouveaux soumis à l'Assemblée nationale; malheureusement ces nouveaux impôts seraient loin de pouvoir combler le déficit considérable de l'année qui commençait; ils soulevaient d'ailleurs, soit en principe, soit relativement à l'application, des difficultés non encore résolues.

Parmi ces impôts nouveaux, celui dont on espérait tirer le produit le plus élevé devait atteindre le revenu mobilier; l'ancien ministre des finances, estimant l'ensemble des revenus mobiliers de la France à 3 milliards, avait proposé de fixer l'impôt

à 2 010, ce qui eût donné 60 millions, et d'en faire un impôt de répartition en prenant pour base l'impôt personnel et mobilier et celui des portes et fenêtres. La commission de l'Assemblée nationale adopta la pensée première de l'impôt; mais elle proposa d'en faire un impôt de quotité et non un impôt de répartition; en outre, elle fut d'avis d'exempter les bénéfices réalisés par les fermiers, en faisant valoir que l'impôt sur le revenu ne pouvait s'ajouter à la charge, déjà si lourde, de la contribution foncière, et que l'exception, admise pour la rente du sol, devait s'étendre au résultat général de l'exploitation agricole. Enfin, comme les bénéfices provenant de l'agriculture avaient été évalués à près du tiers des revenus qu'on voulait atteindre, pour ne pas diminuer le produit de l'impôt, elle proposait de porter la taxe de 2 à 3 010.

L'industrie et le commerce sur lesquels on cherchait à retrouver la diminution de produit occasionnée par l'exemption de l'agriculture, firent entendre, à leur tour, leurs réclamations.

La chambre de commerce de Lille, entre autres, après avoir insisté sur ce qu'il y aurait de danger à frapper le commerce et l'industrie, au sortir d'une épreuve aussi douloureuse que celle qu'ils avaient subie depuis quelques mois, s'attacha à démontrer que la création de l'impôt proposé, même dans les temps calmes, serait impolitique, parce qu'il atteint l'activité humaine dans ses efforts pour augmenter le capital social, et qu'il entrave l'esprit de spéculation sans lequel il ne peut y avoir de travail. On comprend l'impôt s'appliquant à des capitaux réalisés, à une terre, à une maison; mais comment l'asseoir par avance sur des bénéfices d'une réalisation aussi problématique que ceux du commerce et de l'industrie? N'avait-on pas fait, d'ailleurs, tout ce qu'on pouvait faire, en les frappant du droit de patente qui pèse sur l'habitation du commerçant et de l'industriel? On disait que l'impôt sur les bénéfices de l'agriculture ferait double emploi avec l'impôt foncier mais ne pouvait-on objecter également qu'il y aurait double emploi à soumettre à un impôt nouveau les bénéfices du commerce et de l'industrie, qui, outre la contribution foncière et celle des portes et fenêtres, supportaient déjà tout le poids de la patente, dont l'agriculteur est exempt. On disait, il est vrai,

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