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que les bénéfices seraient établis, déduction faite de toutes les charges, y compris la patente; mais n'y avait-il pas quelque dérision à dire que le bénéfice de l'industrie serait établi après déduction de la patente, quand la somme de la patente ne peut être un bénéfice que pour l'État? Ne serait-il pas plus logique de décider que l'impôt de la patente viendrait en défalcation de l'impôt sur les bénéfices du commerce et de l'industrie, ou se confondrait avec lui?

Et puis, que fallait-il entendre par le bénéfice du commerce et de l'industrie? Il n'est pas un établissement qui, avant sa liquidation, puisse fixer l'importance de ses bénéfices : les bénéfices, en effet, dépendent toujours de la rentrée des créances ou de la réalisation des marchandises, et, s'ils ne peuvent être déterminés par le commerçant lui-même, ils pourraient l'être encore bien moins par une commission administrative étrangère aux affaires commerciales. On citait, comme preuve de la difficulté d'appréciations semblables, l'estimation même donnée par le ministre des Finances, qui évaluait la production manufacturière à 3 milliards, tandis que M. Cunin-Gridaine ne l'avait évaluée qu'à 2 milliards, et qui portait ses bénéfices à 1 milliard 100,000 fr., c'est-à-dire un peu plus haut que les bénéfices de la production agricole, qui cependant est généralement évaluée à 7 milliards.

Appellerait-on le commerçant ou le manufacturier à déclarer le chiffre de son bénéfice? Mais comment contrôler ses déclarations? N'était-il pas à craindre qu'elles n'occasionnassent un renversement total des situations vraies; que les maisons prospères, par exemple, ne dissimulassent l'importance de leurs bénéfices, tandis que les négociants gênés seraient conduits à accuser des bénéfices fictifs pour ne pas dévoiler leur position et compromettre leur crédit.

Et puis, que de difficultés dans l'application! Quoi! chacun serait obligé d'exposer au percepteur l'état de ses affaires? Le fisc aurait le droit d'entrer ainsi de gré ou de force dans les secrets de chacun, de fouiller dans les livres du négociant, de supputer les bénéfices, de calculer les profits du médecin, les honoraires de l'avocat ou du notaire? Mais, disait-on, cela se passe en Angleterre, et l'impôt sur le revenu s'y perçoit régulièrement. Qui pouvait affirmer qu'il en serait de même en France

M. Passy se refusa à assumer la responsabilité du projet, et il le retira dans la séance du 16 janvier. M. Goudchaux déclara qu'il le reprenait en vertu de son initiative parlementaire.

La première loi de finances soumise ensuite aux délibérations de l'Assemblée fut un projet d'impôt sur les successions et sur les donations. Ce projet, présenté six mois auparavant par M. Goudchaux, avait pour but d'appliquer le principe progressif à l'impôt sur les successions et sur les donations, et d'introduire en outre, dans l'assiette de cet impôt, différentes innovations, la plupart inspirées par les doctrines plus ou moins socialistes avec lesquelles on croyait alors devoir pactiser. Le projet de M. Goudchaux avait une telle portée économique et sociale, que l'Assemblée, malgré toute sa confiance dans le comité spécialement chargé des questions financières, crut devoir en renvoyer l'examen à ses bureaux, afin qu'il fût étudié par une commission qui résumât en quelque sorte les principes de l'Assemblée tout entière; la commission remplit sa mission avec zèle; son rapport, rédigé par M. de Parieu, fut déposé dès le 1er septembre, et il était permis de croire que, si la discussion n'en était pas venue plus tôt malgré la situation de nos finances, c'est que le gouvernement de cette époque ne se souciait pas de soulever les questions d'impôts nouveaux avant la grande élection du 10 décembre.

Est-il besoin de dire que le projet de M. Goudchaux avait été modifié radicalement et de fond en comble par la commission à laquelle il avait été renvoyé? La commission avait fait justice de ce principe progressif qu'on proposait d'introduire dans l'impôt des successions, pour en faire ensuite la base de tout notre système d'impôts. La théorie de la progression n'avait pu résister à l'examen. La minorité de la commission avait essayé de la défendre, sous prétexte que certains impôts pesaient, toute proportion gardée, d'une manière plus lourde sur le pauvre que sur le riche, de telle sorte que, suivant elle, l'impôt progressif devait compenser ces injustices et rétablir la proportionnalité. Or, n'était-ce pas, suivant la remarque de M. de Parieu, condamner l'impôt progressif en principe, que de l'admettre seulement comme un moyen de ramener à la loi de proportionnalité notre système actuel de contributions? Ajoutons que, si l'impôt proportionnel peut entraîner des charges et des privations inégalement senties,

cela tient à l'inégalité des fortunes mêmes. D'où il suit que, si l'on voulait amener l'impôt à se faire également sentir partout, il faudrait faire disparaître l'inégalité des richesses et passer sur le pays le niveau du communisme.

Le nivellement des fortunes, tel est en effet le terme naturel, la conséquence logique de l'impôt progressif. On frappe d'une sorte de pénalité l'accumulation du capital. On attaque la propriété dans sa formation et dans son développement. On entre dans une voie arbitraire et l'on détruit toute espèce de garantie; si l'on arrête la progression, on n'atteint pas les fortunes les plus élevées, et l'on manque au principe, précisément lorsqu'en vertu de la théorie l'application en semblerait le plus jaste; si on n'arrête pas la progression, on arrive alors plus ou moins promptement à l'absorption du capital imposable, c'est-à-dire à la spoliation. Ce n'est pas par de semblables moyens qu'on opérera un morcellement fécond dans les fortunes, c'est par l'action naturelle des lois civiles sur les successions et par le mouvement du travail.

La commission avait donc rejeté, à une majorité considérable, le principe de l'impôt progressif, comme étant contraire à la justice, dangereux pour la société, nuisible à l'activité humaine, dont il tend à paralyser les développements.

Est-il vrai, comme le prétendait M. Goudchaux dans son exposé des motifs, que l'impôt progressif, fût-il vicieux dans son application à la propriété personnelle, s'adapterait particulièrement à la matière des successions? Distinguer entre la propriété personnelle et la propriété acquise par l'hérédité, présenter cette dernière comme due seulement au hasard de la naissance ou au caprice des affections privées, n'était-ce point donner gain de cause. à ces sophistes qui prêchaient l'abolition de l'hérédité, et, par là, la destruction de la famille?

D'ailleurs, loin que l'impôt sur les successions se prête à une application exceptionnelle du principe progressif, il s'y refuse au contraire plus que toute autre nature d'impôt. D'une part, l'impôt sur les successions est calculé, non pas sur le chiffre de la fortune totale de celui qui hérite, chiffre qui, étant la seule mesure de l'aisance, pourrait seul former la base de la progression, mais sur le chiffre de la succession même qui peut échoir à un homme

plus ou moins pauvre, plus ou moins riche. D'autre part, il est perçu, par suite des nécessités fiscales et pour éviter les fraudes, non pas sur l'actif net, mais sur l'actif brut, sans déduction des dettes et des charges, de telle sorte que la surtaxe progressive aurait souvent pour base une non-valeur. Aussi la minorité même de la commission, qui s'était attachée à défendre le principe abstrait de la progression, avait-elle reconnu presque tout entière que ce principe était complétement inapplicable à l'impôt sur les successions et donations.

Restaient les autres innovations que le projet apportait dans l'assiette de l'impôt; la première était relative à l'élévation générale des droits; la commission n'avait pas admis pour bases de ses tarifs des chiffres qui s'approchassent des maximum de progression posés dans le projet ; mais elle avait consenti cependant des augmentations notables et qui modifiaient sur presque tous les points l'échelle des droits actuels; elle avait pris, pour maximum des droits, le chiffre de 12 p. 010, qui, ainsi que le faisait remarquer le rapporteur, entamait déjà profondément le capital immobilier, objet de la mutation; ce maximum, dans le projet, s'élevait jusqu'à 20 010.

Le projet accordait une immunité complète pour toutes les successions d'une valeur moindre de 500 fr.; la commission objectait fort sensément que cette disposition n'avait qu'une apparence démocratique, car un legs, une quote-part héréditaire de 500 fr. de valeur peut échoir à des citoyens déjà fort riches; où donc se trouveraient, en pareil cas, la moralité et la justice de l'indemnité? Si l'on considérait, en outre, que l'administration est dans l'usage d'accorder des dispenses aux indigents, on reconnaîtrait que l'adoption de cette mesure causerait une perte réelle au Trésor, sans compensation pour la population pauvre, et l'on comprendrait que la commission en proposât le rejet.

La commission avait également repoussé l'assimilation absolue que le projet établissait, sous le rapport des droits, entre les meubles et les immeubles; les valeurs mobilières, généralement périssables et quelquefois non productives, lui avaient semblé, par cela même, devoir être taxées moins fortement; d'ailleurs, comme elles sont plus faciles à dissimuler, des droits élevés ne feraient

qu'encourager la fraude; toutefois, comme la différence dans les tarifs actuels sur les meubles et sur les immeubles est très-considérable, la commission avait cru devoir les rapprocher sur plusieurs points.

Une autre disposition du projet qui était encore repoussée par la commission, était celle qui réunissait dans la même catégorie le parent au quatrième degré, le parent au delà du quatrième degré et l'étranger à la famille; on serait, disait le rapporteur, tenté de voir dans cette disposition le corollaire fiscal de ces doctrines, qui, ôtant plus à la famille qu'elles ne donnent à la fraternité civique, réclament, au profit de l'État, une modification profonde de la loi sur les héritages: l'assimilation de parents à divers degrés avec les étrangers dépourvus de toute vocation héréditaire, semblerait en effet une mise en question des droits légaux des premiers; la commission proposait donc le maintien de la classification du tarif actuel, déjà ancienne dans nos habitudes, et qui est d'accord avec les lois ordinaires de l'affection naturelle aussi bien qu'avec le droit civil.

Enfin, la commission rejetait aussi la proposition de soumettre aux droits de mutation par décès les rentes sur l'État et les valeurs mobilières situées à l'étranger. Le droit dont on frapperait les rentes retomberait sur le crédit de l'État, qu'il importait, aujourd'hui surtout, de soutenir avec tant de sollicitude; un seul pas dans cette voie occasionnerait une alarme dont le cours des fonds publics ne tarderait pas à se ressentir; l'impôt serait d'ailleurs fraudé facilement et produirait peu. Quant aux valeurs mobilières situées en pays étranger, il ne serait pas juste de les frapper d'un impôt au profit de l'Etat qui n'en protége qu'imparfaitement l'acquisition et la jouissance.

On le voit, la commission avait apporté au projet des modifications fondamentales. Le principe de la progression, ainsi que toutes les dispositions inspirées par un socialisme plus ou moins avoué, avaient complétement disparu. La commission estimait que le rehaussement des droits proposés par elle produirait une plus-value d'environ 19 millions; mais il paraissait difficile que, cette année, il pût en sortir plus de 9 ou 10.

La discussion fut ouverte le 15 janvier. Bien que le projet

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