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CHAPITRE XIII.

AGITATION ÉLECTORALE, DÉSORDRES, UTOPIES.

Agitation sourde, cris séditieux, banquets.

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M. Ledru-Rollin, flatteries à l'armée. Énergie de l'autorité, commissaires de police dans les banquets, barrière du Maine. Interpellations, encore le droit de réunion, ordre du jour.Violences des clubistes, scènes de désordre. Approche des élections, union électorale, comité de la rue de Poitiers, fusion des opinions modérées, propagande de l'anarchie, propagande de l'ordre; programmes électoraux; la rue de Poitiers, le Palais national, les amis de la Constitution, la Montagne, comités bonapartistes. Les clubs déguisés en réunions électorales, doctrines sauvages, les clubistes à la 6 chambre, escroqueries, délations. Interpellations nouvelles sur le droit de réunion, M. Félix Pyat, M. Pierre Leroux et son miroir, calomnies, M. Léon Faucher et la Montagne, ordre du jour. Suspension des réunions électorales socialistes de par le comité démocratique-socialiste, protestation, excitations et prudence. — Agitation dans la rue, rassemblements, arrestation de trois représentants, interpellations à ce sujet. Arrestations nombreuses, saisie de pièces, vehme démocratique, solidarité de la presse socialiste. - Réaction légitime, banquet de Moulius, M. Ledru-Rollin chassé, le désordre appelle le désordre, interpellations, refus d'une enquête parlementaire. — Émeute armée à Dijon, dissolution de la garde nationale. — Anniversaire de la proclamation de la République, question de l'amnistie, glorification des transportés, apothéose des assassins du général de Bréa; l'échafaud politique. · Procès du 15 mai, haute cour de justice de Bourges, verdict, révélations étranges, complicité dans le Gouvernement; accusations mutuelles de délation, Huber, Barbès et Blanqui; théories révolutionnaires, souveraineté du but, comment on fait une révolution. Le socialisme et la pratique, liquidation de la Banque du Peuple, M. Considérant et le phalaustère; rêveurs et factieux.

En janvier, le parti socialiste, affaibli par une première défaite, la lutte sociale de 1848, avait eu recours à l'arme des mi

norités factieuses en se réfugiant dans les complots. Désormais, il en était réduit à un système d'agitation, d'inquiétude. Il travaillait à troubler par des démonstrations extérieures le pays qu'il n'espérait plus gouverner, ni même surprendre. Au commencément du mois de mars, à Clermont-Ferrand, à Villefranche (Aveyron), à Saint-Céré (Lot) et dans vingt autres endroits, des cris séditieux étaient poussés, des banquets s'organisaient dans lesquels on buvait : « Aux victimes de juin! Aux frères assassinés! » A Langeac (Haute-Loire), les adeptes de la démocratie sociale se livraient, vêtus de rouge, à une hideuse orgie à la suite de laquelle ils brûlaient les blancs, ou les guillotinaient en effigie. A Toulouse, on insultait les lieux saints. A Paris, dans un banquet de la salle Martel, M. Ledru-Rollin dévoilait ainsi les espérances nouvelles du socialisme auquel il venait de se rallier si fraîchement : « Leur armée, disait l'ancien membre du Gouvernement provisoire, leur armée! Mais n'est-elle pas composée de vos frères? Qu'ils la laissent passer un mois seulement à Paris, et elle sera socialiste. » C'est qu'en effet, le socialisme adoptait un plan nouveau, la désorganisation de la seule grande force qui eût survécu intacte à la révolution de Février, de l'armée qui l'avait vaincu. Des bancs les plus élevés de l'Assemblée nationale, comme des bas-fonds des clubs sortaient des flatteries empressées pour ces soldats auxquels le socialisme prodiguait, la veille, tant d'insultes. Ici, on réclamait le vote pour les armées méme en campagne; là, on imaginait un prétendu banquet de sous-officiers socialistes contre l'existence duquel protestaient les sous-officiers du régiment désigné. Il est vrai qu'en même temps, à Narbonne et à Carpentras, les émeutiers insultaient et frappaient la troupe de ligne toujours modérée dans la répression, mais incorruptible. A Nevers, deux coups de feu accueillaient une patrouille. A Vouziers, un ancien militaire était lâchement assassiné sur la grande route, parce qu'on le savait attaché aux souvenirs impériaux.

En présence de ces actes insurrectionnels, l'énergie ne faisait pas défaut à l'autorité. Armée de la loi de 1790, elle envoyait des commissaires de police dans les salles de banquets et de clubs pour y exercer leur surveillance. A Paris, dans un banquet de la barrière du Maine, le droit de l'agent public ayant été méconnu,

il fit expulser les spectateurs. Ce fut, pour MM. Martin-Bernard, Pierre Leroux et Ledru-Rollin, l'occasion de s'élever à l'Assemblée nationale contre un acte dans lequel ils voyaient un attentat au droit de réunion (3 mars). Ce ne furent plus, cette fois, MM. Guizot et Duchâtel qui eurent à défendre les droits du pouvoir la loi de 1790 fut invoquée par M. Odilon-Barrot. C'était la séance du 22 février 1848. Mais les rôles étaient changés. C'était aujourd'hui M. Odilon Barrot qui réclamait les garanties essentielles de l'ordre et de la paix publique, au milieu des mêmes. clameurs que soulevait, un an auparavant, la parole de M. Hébert. L'ordre du jour pur et simple fit justice des interpellations.

L'exaltation des clubistes, les agitations qui suivaient tous leurs pas ne justifiaient que trop la vigilance du Gouvernement. A Lodèvé, les membres d'un club fermé par décision du tribunal employaient la violence contre les agents de l'autorité il fallait l'intervention de la force armée pour les mettre en fuite. A SaintClar (Gers), un club se formait sans remplir les formalités légales, et il en sortait, chaque soir, des bandes qui faisaient retentir les rues de clameurs anarchiques. A Prades, un rassemblement de même espèce accablait d'une grêle de pierres le sous-préfet qui s'opposait courageusement à l'inauguration du bonnet rouge. A Carpentras, l'émeute socialiste envahissait un cercle d'amis de l'ordre, montrant ainsi comment elle entendait la liberté de réunion.

De son côté, le ministère faisait preuve d'impartialité en interdisant une société formée dans plusieurs départements sous le nom d'Association fraternelle des amis de l'ordre. C'est qu'en effet, la société menacée ne s'abandonnait pas elle-même. Le sentiment conservateur était désormais passé du Gouvernement dans la société tout entière. Habituée, jusqu'alors, à être guidée et soutenue, elle avait été un moment privée de toute protection extérieure. Elle avait dû, par là, reconquérir son initiative, et cet affranchissement acheté si cher pouvait faire espérer la résistance dans le présent et la sécurité dans l'avenir.

Les élections approchaient cette initiative devenait doublement nécessaire. L'union de la France dans l'élection du 10 décembre, était une leçon. Cette union toute spontanée s'était

manifestée déjà dans les élections précédentes, dans l'empressement des gardes nationales à courir à la défense de l'ordre public. Un grand nombre de citoyens éclairés formèrent une réunion, dite de la rue de Poitiers, dans laquelle ils cherchèrent à reproduire ce rapprochement de tous les anciens partis pour la protection de l'ordre social. Un comité central fut formé des réprésentants les plus distingués de toutes les nuances de l'opinion modérée (1). Pouvait-on s'étonner de rencontrer dans cette brillante association des éléments jusqu'alors hétérogènes? M. Thiers y figurait à côté de M. Berryer, M. de Montalembert à côté de M. Cousin, M. de Noailles près de M. de Persigny. C'est que des raisons, supérieures aux passions, avaient effacé les rivalités anciennes et fait taire toutes les considérations de parti. Toutes ces personnalités contraires se rencontraient sur un terrain neutre, comme toutes les opinions dissidentes s'étaient coudoyées, s'étaient confondues au jour du combat suprême de la société pour sa propre existence. La situation n'avait pas changé. La fusion de la rue se retrouvait dans le scrutin. C'est que le pays était toujours menacé, sinon par une franche et brutale agression, au moins par les sourds efforts du socialisme. Le parti démagogique avait bien su abdiquer ses rivalités personnelles pour se rallier sous un drapeau unique le parti de l'ordre et de la liberté se ralliait, lui, sous le drapeau de la société qu'il avait à défendre.

La fusion une fois opérée, le comité de la rue de Poitiers ne

(1) Voici les noms des membres qui signèrent la première déclaration : MM. Aylies, Baraguay-d'Hilliers, Ferdinand Barrot, Bauchart, Baze, Beaumont (de la Somme), Béchard, de Belleyme, Bérard, Berryer, Bineau, Blin de Bourdon, Bonjean, de Broglie, maréchal Bugeaud, de Cambacérès, de ChalaisPérigord, Chambolle, Clary, Conti, Cousin, Dahirel, Dariste, Daru, Benjamin Delessert, Denjoy, de Sèze, Durand (de Romorantin), Duvergier de Hauranne, Achille Fould, Garnon, Grangier de la Marinière, d'Haussonville, d'Heeckeren, Victor Hugo, de Kerdrel, Lacaze, de Laferronnays, de Laferté-Meun, de Larcy, Jules de Lasteyrie, de Laussat, de l'Épinay, Levavasseur, Léon de Maleville, Molé, de Montalembert, de Mornay, Lucien Murat, de Noailles, général d'Ornano, de Padoue, Casimir Périer, de Persigny, général Pyat, Piscatory, Porion, de La Redorte, Régnauld de Saint-Jean-d'Angely, de Rémusat, de Renneville, de Riancey, de La Rochette, Roger (du Nord), Rouher, SauvaireBarthélemy, Struch, Taschereau, Amédée Thayer, Thiers, Vieillard, de Vogué, de Wagram.

dut pas borner ses efforts aux élections prochaines. Les doctrines les plus perverses étaient propagées, sous toutes les formes, au sein des populations laborieuses. Des associations fortement organisées cherchaient à s'étendre sur la France entière, et travaillaient activement à soulever contre l'ordre social toutes les passions et toutes les souffrances. La Propagande démocratique et sociale venait en aide à ces associations, en jetant non-seulement dans les ateliers des villes, mais au milieu des campagnes, une masse d'écrits les plus propres à enflammer, à égarer les esprits. Pour atteindre ce but, tous les moyens paraissaient bons, et récemment un comité avait été jusqu'à s'adresser directement aux instituteurs primaires, en sollicitant leur concours; enfin, à Paris et dans les départements, des souscriptions étaient ouvertes pour distribuer gratuitement ou à très-bas prix des journaux et des brochures incendiaires dont on inondait même les casernes. En présence de cette activité destructive, le comité de la rue de Poitiers s'était demandé s'il était permis aux hounêtes gens, aux bons citoyens de rester inactifs, ou si ce n'était pas pour eux, à la veille surtout des élections, un devoir d'accepter la lutte et d'opposer à la propagande de l'anarchie la propagande de l'ordre.

Cet appel fut entendu ouverte le 28 mars, la souscription du comité recueillit 50,000 fr. en quelques heures. Un mois après, le comité avait fait paraître 577,000 exemplaires de divers écrits anti-socialistes et patronné quelques journaux hebdomadaires. Efforts louables sans doute; mais la défense égalait-elle l'énergie de l'attaque?

Une autre association fut fondée parallèlement et se recruta d'éléments semblables. L'Union électorale, formée de comités de section, de comités d'arrondissement et d'un comité central sur la base des circonscriptions de la garde nationale, se donna pour but la désignation des candidats futurs au moyen d'élections préparatoires. La liste des candidatures définitives qui devait sortir de ces épreuves préliminaires résumerait l'expression vraie de la majorité des amis de l'ordre. Enfin, la presse modérée ellemême organisait un comité central pour l'affermissement des principes sociaux.

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