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Une disposition spéciale, portant que des commissions seraient immédiatement nommées pour préparer ces lois, avait été aussi adoptée, et l'ensemble du décret avait réuni, le 11 décembre, une majorité de 403 voix contre 178.

La discussion des lois organiques s'ouvrit, le 15 janvier, par la loi du conseil d'État. Cette loi était-elle la plus urgente, celle dont l'ajournement eût été le plus regrettable? Non, sans doute; mais le rapport de M. Vivien s'était trouvé prêt le premier.

Les questions soulevées par le projet étaient de deux sortes, celles qui avaient rapport à l'organisation même du conseil d'État et celles qui concernaient ses attributions. Les questions fondamentales de ces deux catégories avaient été presque toutes résolues par la Constitution.

La première de ces questions organiques était celle qui concernait le mode de nomination des membres du conseil d'État. L'article 72 de la Constitution portait qu'ils seraient nommés pour six ans par l'Assemblée nationale. L'art. 78 ajoutait que ceux des membres du conseil d'État qui auraient été pris dans le sein de l'Assemblée nationale seraient immédiatement remplacés comme représentants du peuple. En d'autres termes, les fonctions de conseiller d'État étaient déclarées incompatibles avec le mandat de représentant du peuple. Cette disposition souleva les objections les plus graves et les mieux fondées. Il était évident qu'avec un pareil système, le recrutement du conseil d'État se ferait dans les conditions les plus désavantageuses. On ne pouvait espérer que ces fonctions importantes seraient recherchées par les hommes qui en seraient les plus dignes quand on commençait par fermer devant eux la carrière législative. Les hommes de mérite et de talent ne sacrifieraient pas volontiers les chances de succès et d'élévation que leur offrait la tribune parlementaire à l'honneur obscur et subalterne du conseil d'État. Pour tous ceux qui pourraient opter, l'option ne serait jamais douteuse. La pépinière du conseil d'État serait donc forcément restreinte aux vaincus des colléges électoraux.

Par une contradiction assez choquante, on confiait au Pouvoir législatif le soin de nommer les membres d'un corps qui, même dans son organisation nouvelle, demeurait à certains égards l'a

gent et l'auxiliaire du Pouvoir exécutif, ce qui renversait et confondait tous les principes admis en matière de responsabilité ministérielle (1).

La question relative à la composition du conseil d'Etat, c'està-dire au nombre et à la classification de ses membres, n'avait pas été tranchée par la Constitution. Elle était une des plus importantes qui fussent à décider par la loi organique. La solution proposée dans le projet de loi ne paraissait pas à l'abri de la critique. L'ancien conseil d'État se composait, sous le dernier régime, de cinquante conseillers d'État, dont trente en service ordinaire, et vingt en service extraordinaire. Après la Révolution de Février, le service ordinaire avait été réduit à vingt-quatre conseillers d'État, et le service extraordinaire avait été supprimé. La commission qui avait préparé le projet de loi organique avait considéré ce nombre de vingt-quatre conseillers d'État comme rigoureusement indispensable, eu égard aux seules attributions dont le conseil d'État était actuellement investi. Puis elle avait cru nécessaire de doubler ce nombre, pour le mettre en rapport avec les attributions nouvelles que le conseil d'État avait reçues de la Constitution. Il faut donc voir en quoi consistaient ces attributions nouvelles, en apprécier le caractère et l'importance, pour décider si l'augmentation proposée dans le personnel était justifiée.

(1) Un important témoignage sur cette matière est celui de M. Dupin aîné, l'un des membres de la commission de Constitution, qui, dans une remarquable étude sur la Constitution de la République française, juge ainsi le conseil d'Etat :

« Quant au conseil d'État, j'attendrai qu'il soit définitivement organisé pour comprendre la pensée de ceux qui ont cru voir là le germe d'une seconde Chambre, d'un sénat, l'espérance d'un contre-poids efficace.

» Je conçois le conseil d'État tel qu'il était précédemment organisé, avec ses attributions administratives et le travail hiérarchique de ses conseillers, de ses maitres des requêtes et de ses auditeurs. Comme tel, c'est un instrument excelleat.

>>> Je ne vois pas au juste ce qu'il sera avec les trente membres que l'Assemblée lui a donnés au scrutin de liste, et les attributions purement facultativos et assez insignifiantes qui leur sont départies quant à présent.

» C'est certainement un des points sur lesquels devra porter la future révision de la Constitution, »

Le conseil d'État, tel qu'il existait encore, réunissait des attributions très-complexes. Cependant on pouvait le considérer comme un corps essentiellement administratif. La Constitution avait voulu changer ce caractère, en donnant au conseil d'État une part essentielle dans le pouvoir législatif, en l'érigeant, autant qu'il avait dépendu d'elle, au rang de seconde Chambre législative. A ce titre, le conseil d'État serait nécessairement consulté sur les projets de loi du Gouvernement et sur les projets d'initiative parlementaire qui lui seraient renvoyés par l'Assemblée. De plus, il était chargé de préparer les règlements d'administration publique, espèce de lois secondaires, disait le rapport, qui ont pour but d'assurer l'exécution des lois générales. Il n'y avait là rien de nouveau; sous la monarchie, le conseil d'État jouissait déjà de ces attributions. Peut-être n'étaient-elles qu'une sinécure. Mais en serait-il autrement sous la République? Pensait-on que le conseil d'État interviendrait plus sérieusement et plus activement dans l'étude et la préparation des lois? On pouvait craindre, au contraire, que le caractère législatif du conseil d'Etat fût moins sérieux et moins respecté sous le Gouvernement républicain que sous le Gouvernement monarchique. Sans doute il pourrait arriver jusqu'à lui quelques rares projets de loi adressés par le Pouvoir exécutif; mais espérait-on que l'Assemblée nationale serait souvent disposée à lui renvoyer les projets émanés de l'initiative parlementaire? L'Assemblée n'avait-elle donc pas ses bureanx, ses comités, ses commissions? C'est là que seraient naturellement préparés, élaborés tous les projets de loi. L'accroissement d'attributions sur lequel on se fondait pour augmenter le personnel da conseil d'État n'était donc pas sérieux, et l'augmentation du personnel n'était pas justifiée.

La plus importante de toutes les questions que la Constitution avait laissées indécises était celle qui concernait la juridiction administrative du conseil d'État, le jugement des affaires et des contestations connues sous le nom de contentieux administratif. Aujourd'hui c'était le conseil d'Etat qui connaissait de ces sortes d'affaires, après toutefois que ses décisions avaient été préparées par un comité constitué dans son sein, sous le nom de comité du contentieux. Mais le conseil d'Etat n'ayant pas de juridiction

propre, indépendante, et ne donnant que des avis, il y avait longtemps que ce régime était critiqué comme ne donnant pas aux justiciables toutes les garanties d'un véritable tribunal et d'une justice régulière. C'est pour cela que le projet de Constitution avait enlevé la juridiction du contentieux au conseil d'État ⚫t proposé d'établir un tribunal administratif supérieur entièrement distinct et indépendant du conseil d'État. Ce projet avait l'inconvénient de dépouiller le conseil d'État de l'une de ses attributions essentielles, et il n'avait pu soutenir l'épreuve de la discussion. Cette grave question avait donc été renvoyée à la décision de la loi organique. La commission chargée de préparer le projet de loi l'avait résolue d'une manière satisfaisante. Elle attribuait le jugement du contentieux administratif à une juridiction spéciale qui serait créée au sein du conseil d'État. En même temps elle proposait deux innovations importantes au régime actuel. D'abord, elle donnait au conseil d'État une juridiction propre, indépendante, c'est-à-dire le caractère d'un véritable tribunal; ensuite elle confiait à une section distincte, et non à l'assemblée générale du conseil d'État, la décision des affaires.

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Les autres dispositions du projet de loi n'avaient guère qu'un intérêt réglementaire.

Ce projet vint à l'ordre du jour du 15 janvier. C'était la première fois que la Chambre appliquait la disposition du règlement concernant les projets de loi et les propositions. Ancun orateur ne demanda la parole. M. Crémieux et M. Vivien, rapporteur, firent observer que l'Assemblée, en nommant une commission pour préparer un projet de loi sur cette matière, avait implicitement décidé la question de principe, la seule qui dût être l'objet de la première délibération prescrite par le règlement. Une seconde délibération fut donc purement et simplement indiquée et la discussion renvoyée à cinq jours, selon les termes du règle

ment.

La commission de Constitution, on se le rappelle, s'était fortement prononcée en faveur d'une Assemblée unique puis, effrayée elle-même des inconvénients d'une trop grande précipitation dans les décisions, elle avait présenté le conseil d'État

comme devant être le rouage modérateur de la machine législative et gouvernementale.

A côté de l'Assemblée unique (disait le rapporteur de la Constitution) la Constitution place un conseil d'État choisi par elle, émanation de sa volonté, délibérant à part, en dehors des mouvements qui peuvent agiter les grandes réunions. C'est là que la loi se prépare, c'est là qu'on renvoie pour la mûrir toute proposition d'initiative parlementaire qui paraît trop hâtive au Pouvoir législatif. Ce corps, composé d'hommes éminents, et placé entre l'Assemblée qui fait la loi et le Pouvoir qui l'exécute, tenant au premier par sa racine, au second par son contrôle sur l'administration, aura naturellement une autorité qui tempérera ce que l'Assemblée unique pourrait avoir de trop hardi, ce que le Gouvernement pourrait avoir d'arbitraire.

. L'Assemblée, on le sait, au moment de la crise ministérielle qui amena M. Dufaure au pouvoir, avait voté, malgré de sages observations présentées par quelques membres, les articles 71 et suivants de la Constitution qui consacraient le projet de la commission (1).

Aux termes de ces articles, les membres du conseil d'État sont nommés pour six ans par l'Assemblée nationale. Ils sont renouvelés par moitié dans les deux premiers mois de chaque législature, au scrutin secret et à la majorité absolue; ils sont indéfiniment rééligibles. Les membres du conseil d'État ne peuvent être révoqués que par l'Assemblée et sur la proposition du président de la République;

Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouvernement, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée lui aura renvoyés.

Telles sont les dispositions généralès de la Constitution, dont la loi sur l'organisation du conseil d'État avait à faire l'application.

Sans comparer la situation nouvelle faite au conseil d'État avec ces temps glorieux où il résumait réellement tous les pouvoirs, au moins fallait-il reconnaître que, depuis l'établissement même du régime constitutionnel en France, il avait eu encore un grand rôle dans les affaires administratives du pays. Sous la Restaura

(1) Voyez l'Annuaire précédent, p. 322.

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