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tion et sous la monarchie de Juillet, il était l'expression la plus élevée de l'administration. Il était tout à la fois la tradition intelligente, la pratique éclairée et la théorie prévoyante qui se tenait toujours au niveau de la science, quelquefois même la devançait. Voilà ce que, par une habile combinaison du service extraordinaire (composé des chefs de l'administration active) et du service ordinaire (où se trouvaient nécessairement d'anciens administrateurs, des jurisconsultes consommés), voilà ce que la loi de 1845, en sanctionnant uniquement les dispositions les plus sages des décrets, des ordonnances rendus depuis cinquante ans, avait fait du conseil d'État.

Pour appeler cette institution à rendre de plus importants services, il suffisait peut-être de quelques règlements, de quelques lois qui imposassent aux ministres (car toujours les bureaux ont été hostiles à ce contrôle) l'obligation de soumettre certaines affaires, aux délibérations des comités; enfin, il fallait lui faire une part plus grande dans l'administration proprement dite. Peutêtre, après la révolution qui faisait de la France une république, et qui doit fatalement avoir pour conséquence de relâcher le lien de la centralisation administrative, de grandir les institutions départementales, dans un moment où il serait si nécessaire de poser et de maintenir d'une main habile et ferme la limite entre l'autorité centrale et l'autorité locale, de faire à chacune sa grande et légitime part, c'était plus que jamais le cas de conserver dans son organisation, et comme auxiliaire du Gouvernement, un corps assez haut placé pour embrasser et mesurer les intérêts nouveaux de la société qu'on voulait fonder, assez instruit pour y apporter l'expérience qui seule prévient de dangereuses innovations, enfin, assez permanent pour y conserver la tradition sans laquelle il ne peut y avoir de fixité. La Constitution en avait décidé autrement; et elle avait peut-être, sans le vouloir, dépouillé cette grande institution de ses attributions les plus importantes. Corps indépendant, par son origine, du Pouvoir exécutif, ce Pouvoir serait obligé de le consulter pour ses actes les plus graves. Produit électoral pour moitié d'une Assemblée qui bientôt aurait disparu, il conserverait peut-être en face d'une Assemblée nouvelle et du Gouvernement lui-même les vues hostiles d'un par

lement remplacé. Cet antagonisme était non-seulement possible, mais probable, puisqu'il est dans le jeu ordinaire de nos institutions que les renouvellements des Assemblées produisent des majorités nouvelles. Quelle serait donc la position des ministres veuant discuter leurs projets de loi devant un conseil d'État ainsi organisé? Ces projets, devraient-ils les porter à l'Assemblée tels qu'ils seraient sortis du conseil, ou bien pourraient-ils les modifier? La loi se taisait à ce sujet. Mais n'était-il pas évident que le conseil d'État ne serait que consulté ? Les ministres seraient done toujours maîtres d'adopter ou de repousser l'avis qui leur serait donné; autrement, ils ne pourraient être responsables.

La loi organique pouvait, peut-être, tout en respectant le principe posé par la Constitution, en amoindrir les dangers. C'est ce que n'avait pas fait le travail de la commission, qui n'avait pas paru apercevoir les inconvénients de l'organisation nouvelle, qui les avait peut-être même aggravés. Ainsi, pour la nomination des conseillers d'État, l'art. 72 de la Constitution se bornait à dire que les membres du conseil seraient nommés par l'Assemblée; évidemment la loi organique pouvait, par un mode de présentation, donner au Pouvoir exécutif une part légitime dans les choix des hommes qui doivent, en définitive, composer son conseil; loin de là, le projet voulait que ce fût une commission de trente membres, choisis par les bureaux de l'Assemblée, qui fit une liste de présentation, liste en dehors de laquelle, il est vrai, l'Assemblée pourrait choisir, mais que cette commission aurait bien quelque peine à former d'une manière convenable en présence des ambitions et des combinaisons de partis de toutes sortes. Ainsi, pour les présidents de sections, dont les choix sont si importants, la Constitution avait gardé le silence; le projet voulait qu'ils fussent élus par chaque section. N'était-ce pas enlever encore au Pouvoir exécutif une part légitime d'influence dans la direction des travaux du conseil d'État?

Autre exemple. L'article 75 de la Constitution avait dit : « Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouvernement, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen. »> Il appartenait donc à la loi organique de déterminer la nature

des lois sur lesquelles le conseil d'État devait être consulté. Or l'article 1er du projet était aussi général que possible; il portait :

« Le conseil d'État est consulté sur tous les projets de loi du Gouverne

ment.

» Néanmoins, le Gouvernement pourra se dispenser de consulter le conseil d'État sur les projets de loi suivants:

» 10 Budget des recettes et dépenses;

» 20 Crédits supplémentaires et extraordinaires;

» 30 Règlement définitif du budget;

» 40 Fixation du contingent de l'armée;

» 50 Ratification des traités et conventions diplomatiques;

6° Les projets de loi d'urgence. >>

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Et l'article ajoutait : « L'Assemblée nationale renverra à l'examen du conseil d'État les projets qui ne rentreraient pas dans les catégories précédentes, et dont elle aurait été saisie par le Gouvernement, sans que le conseil d'État eût été consulté. De telle sorte que, excepté quelques lois, le conseil d'État devrait être consulté sur tous les projets du Gouvernement, et les procèsverbaux transmis à l'Assemblée nationale. (Art. 60.) Évidemment c'était là une extension considérable donnée au principe de l'article 75 de la Constitution. Mais ce n'était pas tout. La section de législation que le projet de loi organisait, et dont le président serait le président réel et sérieux du conseil d'État, absorbait singulièrement cette attribution quasi législative dévolue au conseil d'État. Aux termes de l'article 50, en effet, le conseil d'État ne délibère nécessairement en assemblée générale que sur tous les projets de lois organiques de la Constitution et sur les projets de règlement d'administration publique pour lesquels il a reçu la délégation spéciale de l'Assemblée nationale. C'est donc dans la section de législation, dans laquelle précisément on déclarait vouloir faire entrer spécialement les hommes politiques, et où pourraient, dès lors, se rencontrer les pensées qui lui seraient le moins favorables, que le Pouvoir exécutif devrait porter toutes ses lois. Mieux vaudrait pour lui, peut-être, avoir à discuter devant toutes les sections réunies. Là, du moins, il retrouverait les magistrats du contentieux, les administrateurs de la section ad

ministrative, et il ne serait pas exposé à voir ses projets incessamment modifiés dans un esprit systématique, qui aurait pu prévaloir dans la section de législation. Au contraire, dans cette section, au président de laquelle on réservait des pouvoirs étendus, dans cette section, la situation d'un ministre, obligé de discuter ses lois, pouvait devenir des plus fausses, des moins dignes, placé qu'il serait devant un président élu par la section, maître de la direction des travaux, et devant une majorité qui pourrait être complétement hostile à la politique ministérielle. Si l'on voulait absolument que toutes les lois fussent discutées dans le conseil, que ne déclarait-on que ce serait devant tout le conseil d'État, sections réunies. Ainsi, du moins, le Pouvoir eût échappé à ces combinaisons de coterie, à ces influences personnelles qui pourraient lui être si funestes.

Au point de vue du personnel, le projet renfermait une importante innovation. De très-larges attributions y étaient accordées à un nouveau fonctionnaire, le commissaire général près le conseil d'État. « Le commissaire général, disait le rapport, est nommé par le président de la République; il peut faire partie de l'Assemblée. » (Art. 16.) Peut-être eût-il été naturel que les conseillers d'État qui auraient pris part à la discussion d'un projet de loi pussent être choisis par le Pouvoir exécutif, par le conseil d'État lui-même, pour défendre les projets dans la commission de l'Assemblée, sinon dans l'Assemblée elle-même. Or, ce rôle, le projet de loi semblait le réserver uniquement au commissaire général. Voici seulement ce que contenait l'article 36:

« Sur la demande des commissions des comités de l'Assemblée nationale, la section de législation désigne des conseillers d'État ou des maîtres des requêtes pour exposer l'avis du conseil d'État dans les comités ou commissions de l'Assemblée. »

Ces dernières expressions étaient singulièrement restrictives, surtout en présence de ce passage qui décélait la pensée du rapport (pag. 19 et 20):

<< Au commissaire général de la République est accordée une prérogative spéciale. Il peut faire partie de l'Assemblée nationale. Quand il réunira ce double

caractère, il sera au besoin, dans le sein de l'Assemblée, l'organe du conseil d'État, et, dans le sein du conseil d'État, l'organe de l'Assemblée. Tenant au Pouvoir exécutif par son origine, au Pouvoir législatif par son titre parlementaire, au conseil d'État par ses fonctions, il sera comme l'anneau destiné à les rapprocher, à les unir. »

Non, le commissaire général ne serait pas, dans le sein du conseil d'État, l'organe de l'Assemblée, qui ne l'aurait pas élu. Il ne serait pas davantage, dans l'Assemblée, l'organe du conseil d'État, dont il ne partagerait peut-être pas l'opinion, et qui ne l'aurait pas choisi pour son interprète.

Sur le personnel encore, le projet contenait une disposition contraire aux véritables principes constitutionnels, celle qui réservait pour les auditeurs un quart des places de sous-préfets qui viendraient à vaquer. Le choix de ces fonctionnaires serait donc imposé par les présidents de section aux ministres, seuls pourtant responsables. Toute la partie du projet qui se rapportait au contentieux désorganisait un admirable service. Ce qu'il y avait d'excellent dans le mode de procéder du conseil d'État, en matière contentieuse, c'est que le comité du contentieux, faisant J'instruction, offrait aux parties, comme au conseil lui-même, toutes les garanties d'un examen préalable approfondi; c'était une sorte de rapporteur collectif qui donnait à l'instruction des affaires un soin justement apprécié. Tout cela disparaissait dans le projet. Avec l'organisation nouvelle, il faudrait des plaidoieries presque pour chaque acte de procédure; les procès deviendraient plus longs, plus dispendieux. Enfin, la section du contentieux serait, pour certaines causes, dans la situation difficile des tribunaux ordinaires, qui souvent sont obligés de renvoyer devant arbitres, précisément parce que l'examen préalable n'est pas et ne peut pas être, à raison de l'organisation même de ces tribunaux, confié à un comité instructeur.

En résumé, la loi et le rapport aggravaient encore les conséquences d'un mauvais principe.

La discussion générale, ouverte avec la seconde délibération, ne présenta qu'un médiocre intérêt. MM. Sainte-Beuve et Béchard firent une critique approfondie du projet de la commission. Les deux orateurs prouvèrent surabondamment qu'il était difficile de

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