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Rollin. M. de Lamartine n'était pas en cause : mais l'honorable représentant voulut saisir cette occasion de désavouer de nouveau toute participation dans les fameuses expéditions de Savoie et de Risquons-Tout. M. de Lamartine rappela en vain son célèbre manifeste. A qui pensait-il faire croire que ce manifeste fût toute la politique du Gouvernement provisoire? En vain protesta-t-il de ses bonnes intentions personnelles dont personne n'avait paru douter il ne pouvait faire oublier une action directement opposée à la sienne. On put même s'étonner de voir l'illustre orateur accepter une seconde fois la solidarité d'une politique désormais jugée, et chercher à couvrir M. Ledru-Rollin comme d'un bouclier. Quant à celui-ci, il trouva bon de s'abriter derrière le manifeste de M. de Lamartine, et de désavouer certains actes politiques de son administration, laissant ainsi sans réponse le retentissement du procès d'Anvers, les accusations catégoriques du procureur-général belge, M. de Bavay, les déclarations des avocats des accusés d'Anvers, la conscience même de la France.

:

Quant à la situation générale de la politique européenne, M. Ledru-Rollin ne la jugeait pas d'une façon moins singulière. Tout lui paraissait rendre la guerre inévitable à l'entendre, elle était presque commencée, et la France était cernée de toutes parts. En supposant vraie cette position de la France, était-ce au Cabinet actuel qu'il fallait demander compte des difficultés? « A qui la faute? » s'écria M. de Larochejaquelein.

Sur les autres questions, M. Ledru-Rollin ne fut pas plus heureux, et l'Assemblée put entendre avec satisfaction les répliques énergiques et concises de M. le ministre des Affaires étrangères.

M. Ledru-Rollin avait dit que la Prusse, profitant de l'aveuglement du ministère, concentrait sur notre frontière du Rhin des forces chaque jour croissantes. Il n'en était rien : le Gouvernement avait demandé des explications à la Prusse, et il avait acquis la preuve que les forces prussiennes, loin d'avoir été accrues, depuis le mois d'avril, avaient été diminuées.

M. Ledru-Rollin savait qu'une intervention armée en faveur du pape avait été proposée, que la France, Naples et l'Autriche de

vaient l'accomplir à frais communs; il savait même le conseil de Cabinet où cette question avait été débattue. Il n'en était rien : aucune proposition de cette nature n'avait été faite à la France, aucun conseil de Cabinet n'avait été tenu à ce sujet.

M. Ledru-Rollin avait dit que les négociations entamées à Naples au sujet de la Sicile, avaient été rompues. Il n'en était rien: les négociations se poursuivaient.

M. Ledru-Rollin signalait l'existence d'une flotte russe dans l'Adriatique, et informait le Gouvernement qu'une seconde flotte, non moins formidable que la première, venait de la Baltique, et menaçait la liberté dans l'Europe méridionale. Il n'en était rien, et ici l'erreur devenait plaisante. Il n'y avait, dans l'Adriatique, qu'une escadre française aucun navire de guerre russe n'avait franchi les Dardanelles; quant à la seconde flotte, M. LedruRollin oubliait que la Baltique est fermée par les glaces pendant cinq mois de l'année, et qu'aucune flotte russe ne peut sortir de Cronstadt avant le mois de mars. M. de Tracy, ministre de la Marine, rassura l'orateur sur ce point.

M. Ledru-Rollin expliquait la supériorité de ces étranges informations par ce fait que le Gouvernement avait annulé toutes les nominations du Gouvernement provisoire, et ne devait plus avoir en Italie que des diplomates incapables. Mais il se trouvait que rien n'avait été changé en Italie, en ce qui concernait le personnel diplomatique, depuis que M. Ledru-Rollin avait quitté le pouvoir.

Ces discussions oiseuses, cette absence regrettable d'informations sérieuses, ces erreurs grossières en histoire, en géographie, en diplomatie, c'était un chef de parti, un homme éminent, placé un moment à la tête de la France, qui en donnait le triste spectacle. Les mœurs parlementaires de la Grande-Bretagne ou de l'Amérique du Nord ne présentent pas, même chez les orateurs de second ordre, un seul exemple de légèretés semblables (8 janvier).

En résumé, les interpellateurs reprochaient au Gouvernement de n'avoir pas prêté main-forte à l'utopie de l'unité italienne.

Cependant, au-dessus de ces discussions parlementaires planait une difficulté sérieuse. L'Italie renfermait assez de causes de dés

ordre pour troubler la paix de l'Europe. On pouvait craindre que l'enivrement du succès ne poussât les Autrichiens contre le Piémont. D'un autre côté, une nouvelle ardeur guerrière s'était emparée du Piémont. Un ministère passionné avait succédé, depuis un mois, à un ministère plus modéré. Toutefois, rien n'autorisait à penser que l'œuvre de la médiation fût abandonnée.

Quant à Rome, un sentiment d'indignation avait parcouru la France et l'Europe entière, à la nouvelle des excès dont cette ville avait été le théâtre. L'aveuglement des théories démocratiques pouvait seul fermer les yeux sur les destinées d'une république violemment née d'un acte d'ingratitude et d'un lâche assassinat. Le promoteur de la liberté italienne, contraint de fuir devant un drapeau ensanglanté par des sicaires, c'était là un événement qui réclamait l'active sollicitude de l'Europe catholique. La France, par ses sympathies et ses intérêts, était, plus que tout autre pays, intéressée dans la question. Déjà les démarches officielles du général Cavaignac avaient indiqué les tendances naturelles du pays. Il n'avait pas suffi au général de se préparer à agir en cas de besoin: il avait proclamé son intention d'agir (1).

Là en étaient les difficultés du Pouvoir lorsqu'une question plus grave vint envenimer la lutte entre le Gouvernement et l'Assemblée.

Un mouvement prononcé se faisait sentir dans les départements en faveur d'une prompte séparation de l'Assemblée constituante. Un certain nombre de conseils généraux avaient émis des vœux de même nature, et des pétitions en ce sens se signaient par toute la France. L'instinct du pays l'avertissait des difficultés qui naissent invinciblement de deux prérogatives rivales, et l'opinion populaire se prêtait difficilement à cette sorte de fiction légale par laquelle l'Assemblée demi-constituante, demi-législative, abdiquait en partie la plénitude de ses pouvoirs, sans cesser d'être elle-même.

Une question de convenance s'ajoutait à la question de légalité. Sans doute, on pouvait improuver les formes sous lesquelles on engageait généralement l'Assemblée à mettre elle-même un terme

(1) Voyez, plus loin, Italie.

à son existence; sans doute on pouvait ne pas s'associer aux sommations peu respectueuses qui lui étaient adressées de presque tous les points du territoire. Sans doute, enfin, il fallait reconnaître que l'Assemblée était dépositaire légitime du principe de souveraineté, et qu'il n'appartenait qu'à elle seule de décider du moment où elle croirait avoir achevé son œuvre.

Les conseils généraux s'associaient à ce mouvement de l'opinion publique. Malgré la loi qui leur prescrit de se renfermer dans. le cercle des affaires départementales, ils s'établissaient, par la nécessité des circonstances, sur le terrain de la politique. Le sentiment national, plus fortement excité dans les provinces que dans la capitale elle-même, ne pouvait manquer de se faire jour dans les conseils généraux. Le même élan avec lequel on avait vu les gardes nationales de la France tout entière accourir au secours de Paris, s'y manifestait pour faire face à l'anarchie, si jamais elle devait relever la tête. Ne fallait-il pas, en effet, prévoir le cas où les factions vaincues en juin renouvelleraient leurs audacieux attentats contre la société? Le cas, encore plus grave, où l'insurrection triompherait à Paris ne devait-il pas attirer l'attention du pays? Cette question, les conseils mirent un empressement patriotique à la soulever, et ils la résolurent d'une manière uniforme. Les uns ne reculèrent pas devant une résolution définitive, et ils déclarèrent que, le cas échéant d'un renversement des pouvoirs constitutionnels, le conseil général se réunirait immédiatement sans attendre la convocation officielle, pour offrir son concours à l'autorité locale, pour la suppléer au besoin et pour aviser à toutes les mesures de salut public. Les autres, plus scrupuleux observateurs de la légalité, se bornèrent à l'expression d'un vœu tendant à provoquer une disposition législative qui autoriserait, dans de pareilles circonstances, la réunion des conseils généraux sans convocation officielle.

Quelques-uns même, et en assez grand nombre, allèrent plus loin. Ils se saisirent de cette question: si l'Assemblée nationale, après avoir voté la Constitution, devrait prolonger ses pouvoirs, et ils provoquèrent formellement la dissolution de la Constituante. C'était là une première et sérieuse atteinte à l'esprit de centralisation qui paraissait être, sous la monarchie, l'âme même de la

France. L'influence de l'opinion parisienne, la domination de cette capitale qui avait laissé renverser un gouvernement sans le vouloir semblait devenue un joug insupportable. A Rennes, à Lille, des orateurs s'écriaient dans le sein des assemblées départementales :

« Il ne faut plus que de Paris on nous expédie des révolutions par la malleposte; car maintenant ce ne serait plus une révolution politique qui nous arriverait, mais une révolution sociale..... Les départements, en Juin, ont bien montré qu'ils n'entendaient pas qu'il en fût ainsi... Est-il vrai que nous ayons passé des jours qui s'appellent le 24 février, le 15 mai, le 23 juin? Est-il vrai que nous nous couchons chaque soir en nous demandant ce que nous serons le lendemain?»

Et un autre :

« Il est inouï dans l'histoire, disait-il, que quelques milliers d'hommes turbulents, aventuriers politiques prêts à tous les coups de main, aient pu, à diverses reprises, mettre en péril les destinées d'un peuple comme celui de France. Nous offrons à l'Europe l'étrange spectacle d'une nation de 35 millions d'hommes exposés à recevoir la loi de 20 à 30,000 faiseurs de révolutions, qui descendent sur la place publique, au cri de quelques ambitieux turbulents, et qui traitent la France en pays conquis. Il y a quelques mois à peine, n'avonsnous pas vu une poignée d'hommes égarés, profitant de l'inertie des uns, de la terreur des autres, de la connivence de beaucoup, et surtout de l'impéritie du Gouvernement, s'emparer du sanctuaire de la représentation nationale et chasser devant elle les élus da pays? Une résistance unanime se déclare contre la tyrannie parisienne; un violent désir de se soustraire à son joug éclate aux yeux mêmes du Gouvernement central. Ce n'est pas une conspiration, encore moins une pensée de fédéralisme; c'est un dessein ouvert et réfléchi : les provinces de France, comme les anciennes provinces des Gaules, ne veulent plus que leurs intérêts aillent s'engloutir dans Rome. »

Un conseil général, celui de la Gironde, rédigeait un programme complet de décentralisation administrative. La pensée fondamentale de ce programme était résumée dans les deux points suivants : « 1o rechercher quelles sont, parmi les affaires locales, celles qui peuvent être soustraites sans danger à tout contrôle administratif, et les en affranchir; 2o décider que tous les actes qui resteront soumis à des formalités en trouveront la solution et le terme au siége de l'autorité départementale. »

Ainsi, le contrôle de l'autorité supérieure serait remplacé, dans tous les cas où cela serait reconnu nécessaire, par celui de

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