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vivre longtemps avec elle, et pour elle-même, de prolonger sa durée au delà d'un terme assez rapproché.

Les clameurs, les interpellations grossières, les apostrophes passionnées qui interrompirent chacune des phrases de l'orateur, n'étaient qu'une preuve de plus de cette situation impossible. Il serait difficile de qualifier les transports aveugles de la gauche pendant cette discussion. Heureusement la majorité de l'Assemblée se montra plus sage que la fraction qui se condamnait ainsi ellemême devant le pays. La prise en considération fut votée. Sur 796 votants, majorité absolue 399, 400 voix rejetèrent et 396 adoptèrent les conclusions du rapport (12 janvier). Sans doute, la majorité était faible; mais un certain nombre de représentants avaient repoussé la proposition de M. Rateau, parce qu'ils se réservaient d'appuyer celles où d'autres dates étaient indiquées pour la séparation de l'Assemblée. Ainsi, MM. Pagnerre et Barthélemy Saint-Hilaire, proposèrent de fixer les élections au 15 avril, et de réunir la nouvelle Assemblée, le 4 mai.

Mais enfin, le principe de la dissolution dans un court délai semblait avoir décidément triomphé. Peut-être même, les violences extrêmes d'une partie de l'Assemblée, avaient-elles réagi d'une manière heureuse sur les esprits calmes: peut-être avaientelles utilement indiqué quels étaient surtout les antagonistes de la proposition. La discussion avait eu d'ailleurs un résultat presque aussi important que le vote; c'étaient les aveux des orateurs qui avaient combattu la proposition.

M. Billault n'avait fait, par exemple, aucune difficulté de reconnaître que l'Assemblée n'avait plus évidemment que deux ou trois mois à vivre. M. Pierre Bonaparte, de son côté, avait déclaré que l'Assemblée, qui avait décidé qu'elle ferait des lois organiques, pouvait seule revenir sur sa décision. C'était au fond tout ce que disait l'opinion modérée. Il y avait loin de là à la doctrine extraordinaire établie dans le rapport de la commission. Il y était dit, que l'Assemblée ne pourrait revenir sur le décret sans violer la Constitution.

Le 15 janvier, l'Assemblée, réunie dans ses bureaux, procéda à la nomination d'une Commission chargée d'examiner la propo

sition prise en considération, ainsi que quatre autres propositions relatives, soit à la convocation de l'Assemblée législative, soit à la modification du décret du 15 décembre concernant les lois organiques. Sur quinze commissaires nommés, quatorze s'étaient prononcés d'une manière formelle contre toute fixation de date pour la dissolution de l'Assemblée. Un seul, M. Combarel de Leyval, voulait que l'Assemblée s'occupât uniquement de trois des lois organiques, celle sur l'organisation du conseil d'Etat, celle relative à la responsabilité du Président de la République et la loi électorale. Après la rédaction de la première de ces lois, l'Assemblée fixerait le jour de sa dissolution.

Ce résultat une fois connu, quelques membres firent signer à leurs collègues une demande pour obtenir un vote public par division sur le rapport de cette commission, afin d'empêcher le vote au scrutin secret.

La commission chargée de faire un rapport sur la proposition de M. Rateau termina son travail le 19 janvier. La sous-commission avait déjà rendu compte des pétitions qui comprenaient en tout à ce moment 18,000 signatures.

Trois opinions s'étaient manifestées : la première, consistant à passer à l'ordre du jour sur toutes les propositions ayant pour effet de restreindre la durée de l'Assemblée. MM. Grévy, Sarrans, Jules Favre et Saint-Gaudens l'avaient soutenue. Ils l'avaient appuyée sur cette considération principale que c'étaient les ennemis de la République qui se soulevaient pour imposer à l'Assemblée sa propre dissolution, et que leur céder serait vouloir la perte du gouvernement républicain.

La seconde opinion, exposée par M. Marie, avait pour objet la révision de l'énumération des lois organiques, et le retranchement de celles de ces lois qui, comme la loi sur l'enseignement, pouvaient n'être pas considérées comme réellement organiques de la Constitution. Il serait avantageux d'y substituer, dit l'orateur, la discussion du budget, qui permettrait à l'Assemblée de réaliser les améliorations matérielles que la révolution a promises aux populations, et que l'Assemblée doit avoir à cœur de leur donner. Ceux qui croient qu'il importe au salut de la République

que l'Assemblée poursuive ses travaux obéiraient aux conseils d'une saine politique en entrant dans cette voie au lieu de s'attacher à des principes vrais mais absolus.

La troisième opinion fut présentée par M. Combarel de Leyval. L'honorable représentant ne croyait pas aux coalitions qui préoccupaient les partisans du rejet absolu de toutes les propositions. Il ne niait pas le travail de décomposition et de recomposition qui s'opérait dans les anciens partis; il croyait l'infériorité de l'Assemblée vis-à-vis du pouvoir exécutif fatale pour le gouvernement représentatif. «L'Assemblée est faible, dit-il, et la prolongation de sa durée ne serait que le progrès dans la faiblesse. La nation a fait l'élection du pouvoir exécutif dans le but principal de mettre un terme aux souffrances matérielles. Plutôt que de croire qu'elle s'est trompée, elle rend l'Assemblée responsable du bien qui ne se fait pas, des vœux inaccomplis qu'elle a formés sans trop les définir. >>

M. Combarel de Leyval repoussa, comme sans application à l'époque actuelle, les analogies tirées des réclamations auxquelles avaient été en butte la Constituante et la Convention.

- « Aujourd'hui, ajouta-t-il, tout est soumis à l'empire de l'opinion; le grand intérêt public, c'est la pratique régulière de la Constitution, c'est de donner au pays l'aspect d'une société tranquille. Il faut donc marquer avec dignité et sans faiblesse le terme des travaux de l'Assemblée. Leur limite naturelle est le vote des lois sur le conseil d'Etat, sur la responsabilité du président et de ses ministres, et sur les élections. La Constitution, munie de ce complément indispensable, devra être mise en pleine vigueur, et l'Assemblée législative devra être convoquée par un décret rendu après la confection de la première loi, celle sur le conseil d'État. »

M. Roux-Lavergne, qui se rapprochait le plus de l'opinion de M. Combarel de Leyval, pensait que l'établissement républicain ne peut être fondé solidement que sur le sentiment général d'ordre, de paix et de conservation qu'exploitaient aujourd'hui ses ennemis.

Par ce motif, il voulait que l'Assemblée reconnût sincèrement les convenances de la situation et y fit droit. « Au nombre et en

tête de ces convenances, je place, dit M. Roux-Lavergne, l'autorité et la dignité de l'Assemblée nationale. Je crois qu'on y satisfera dans une juste mesure en rejetant les propositions qui veulent en principe la fixation d'un délai plus ou moins prochain, et en adoptant celle qui demande la révision du décret du 15 décembre. J'ai voté toutes les lois organiques, j'ai pensé que nous avions le droit de les faire toutes; je n'ai pas changé d'avis. Mais ici la question de droit doit fléchir sous la question politique. Aussi je conclus pour que les lois organiques soient réduites au petit nombre de celles qui seront indispensables pour le fonctionnement et le maintien de la Constitution. Un délai serait fixé lorsqu'on serait assez avancé dans la rédaction de ces lois pour prévoir raisonnablement le terme de nos travaux. Je repousse donc les conclusions de M. Grévy. »

La proposition la plus absolue présentée par M. Grévy, et demandant l'ordre du jour sur toutes les propositions, sauf à indiquer dans le rapport que si les circonstances le permettaient, l'Assemblée pourrait se retirer en mai ou en juin, fut adoptée par huit voix contre quatre; un membre s'étant abstenu, M. Grévy fut nommé rapporteur.

Lorsque la proposition de M. Rateau était venue soulever, pour la première fois, au sein de l'Assemblée constituante, la question de la dissolution, les partisans du mandat indéfini s'étaient fait un argument du petit nombre de pétitions déjà déposées. Le nombre des signatures n'atteignait pas huit mille; mais, à mesure que la proposition faisait son chemin dans les comités et dans les rapports de commission, le sentiment public se manifestait d'une manière plus énergique. Huit jours suffirent pour que les pétitions se comptassent par centaines et les signatures par milliers. Le 24 janvier, le maréchal Bugeaud, M. Victor Grandin et quelques autres membres se succédèrent à la tribune pour déposer des pétitions réunissant ensemble plus de cinquante mille signatures. Alors, dans le parti de la prolongation, la raillerie fit place à la colère. On voulut couvrir la voix des représentants porteurs des pétitions; on voulut les contraindre à déposer ces pièces sans en indiquer l'objet. On put être surpris de voir le président de l'Assemblée s'associer à cette prétention. M. de

Mornay protesta chaleureusement contre cette interprétation du règlement contraire à la pratique de l'Assemblée actuelle et celle de toutes les Assemblées antérieures. Le règlement interdit, en en effet, de développer et d'appuyer les pétitions quand on les dépose et avant qu'elles aient subi l'examen d'une commission spéciale, mais il n'interdit pas d'en faire connaître l'objet. M. Clément Thomas se jeta malheureusement à la traverse de ce débat pour demander qu'on ne continuât pas cette guerre de pétitions, et pour annoncer que son parti était prêt à faire, lui aussi, le dénombrement de son armée. M. Bérard rappela à l'imprudent défenseur d'un parti qu'on ne saurait ainsi contester un droit aux citoyens parce qu'ils en font un usage plus ou moins désagréable à une fraction du pays. Quant au dénombrement annoncé, l'épreuve du 10 décembre et le nombre déjà formidable des signatures recueillies par le parti de la prorogation en faisaient une menace peu sérieuse.

Le 25 janvier, l'Assemblée entendit le rapport de M. Grévy. L'absolutisme des conclusions était relevé encore par le ton tranchant de ce document. Le rapport rejetait non-seulement la proposition de M. Rateau, mais encore toutes les propositions du même genre. La commission se refusait également soit à fixer un terme quelconque, prochain ou éloigné, à l'existence de la Chambre actuelle, soit même à apporter la moindre modification an décret qui avait déterminé le nombre des lois organiques. M. Grévy s'élevait surtout contre la violence morale que l'on prétendait faire à la Chambre à l'aide de ces pétitions, qui ne portaient encore que 173,000 signatures. On oubliait que l'agitation, bien autrement restreinte des pétitions et des banquets, avait renversé une monarchie, et on s'indignait aujourd'hui d'une manifestation à coup sûr plus imposante de l'opinion publique.

Quelles considérations avaient pu déterminer la commission à conseiller la fabrication de toutes les lois organiques mentionnées dans le décret, quand on avait reconnu, et cela dans presque toutes les parties de la chambre, qu'il était convenable de réduire le nombre de ces lois, et quand on avait démontré l'impossibilité de les faire toutes, à moins que la Chambre n'en voulût compromettre la rédaction par une hâte

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