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La lutte continua le 22 janvier. Elle fut plus vive que fertile en arguments nouveaux. MM. Dupont (de Bussac), Crémieux et Jules Favre soutinrent de nouveau que le projet violait le principe qui veut que les lois n'aient pas d'effet rétroactif. Il suffit à M. Rouher de reprendre et de résumer avec lucidité l'argumentation de M. Dupin aîné. Aux raisons de droit, M. Odilon Barrot ajouta des considérations politiques de la dernière évidence. N'était-il pas étrange, en effet, que les orateurs qui faisaient tant d'efforts pour paralyser, dès son début, la haute cour nationale, pour jeter de l'odieux sur cette juridiction nouvelle, eussent gardé le silence quand on discutait le chapitre de la Constitution qui l'établissait? Si la haute cour n'offrait pas aux accusés toutes les garanties désirables, si c'était un tribunal exceptionnel, une juridiction arbitraire, pourquoi ne l'avait-on pas démontré alors? On demandait encore quelles règles de procédure suivrait la haute cour. M. Barrot répondit: la procédure du Code d'instruction criminelle. La haute cour nationale n'était autre chose, en effet, qu'une cour d'assises suprême. En fait de procédure, elle n'aurait pas d'autre droit à suivre que le droit commun. M. Barrot n'établit pas avec moins de force que la haute cour, étant un grand jury national, ne pouvait pas être chargée soit de l'instruction, soit de l'accusation; que l'intérêt des accusés eux-mêmes demandait que l'instruction fût faite par les voies ordinaires et conformément au droit commun; et que l'intervention du pouvoir législatif, qui seul pouvait saisir la haute cour, ne devenait légale et possible qu'après la clôture de l'instruction, parce qu'alors seulement le pouvoir législatif pouvait porter un décret en connaissance de cause. S'armer, comme on avait essayé de le faire, de ce que l'instruction avait été faite suivant le droit commun, et non pas par la haute cour de justice, pour contester la compétence de celle-ci, n'était-ce pas, en réalité, prétendre que le pouvoir législatif devait forcément saisir la cour nationale avant toute instruction? c'était lui contester le droit de faire usage de son pouvoir souverain.

Ces raisons déterminèrent la conviction de l'Assemblée, qui adopta, à la majorité de 466 voix contre 288, l'article premier du projet. L'adoption de cet article emportait l'adoption de la loi elle-même (22 janvier).

La haute cour de justice était ainsi définitivement constituée. Rappelons, en quelques mots, les éléments qui devaient la composer, d'après la Constitution.

La haute cour de justice est composée de cinq juges et de trente-six jurés. Les juges sont des membres de la cour de cassation, que cette dernière désigne chaque année dans les quinze premiers jours du mois de novembre, au scrutin secret et à la majorité absolue. Ces cinq juges font choix de leur président. Les magistrats remplissant les fonctions du ministère public sont désignés par le président de la République, lorsqu'il ne s'agit pas d'accusation portée contre lui ou contre ses ministres; enfin les jurés, au nombre de trente-six et quatre jurés suppléants, sont pris parmi les membres des conseils généraux des départements, au moyen d'un tirage au sort fait pour chaque département, en audience publique, par le président de la cour d'appel, et, à défaut de la cour d'appel, par le président du tribunal de première instance.

CHAPITRE VI.

PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES.

Agitation dans Paris, lutte entre l'Assemblée et le cabinet dans la Chambre, lutte entre la démagogie et le président dans les journaux et dans les clubs. -M. Proudhon et le journal Le Peuple. · Insultes adressées au président.

La Solidarité républicaine. - Protestation contre l'arrêt de renvoi des accusés du 15 mai. Réorganisation des sociétés secrètes, comités électoraux. - Fermeture de quelques clubs, mesures de prudence. L'armée et les gardiens de Paris. Projet interdisant les clubs, commission hostile au projet, rapport de M. Senard, rejet du projet, mise en accusation du ministère, M. Ledru-Rollin, protestation des journaux démagogiques. Agitation dans la rue. - Recherche d'un prétexte à la sédition. — Décret sur la Garde mobile, tentative d'émeute au cours de M. Lerminier, M. Changarnier et la Garde mobile, défense de Paris, imminence d'un conflit.

Si, à l'intérieur de l'Assemblée, par un reste de respect pour les convenances parlementaires, la lutte semblait être entre le parti révolutionnaire et le Cabinet, au dehors, dans les journaux, dans les clubs, c'était surtout contre le président qu'on dirigeait les attaques. Un journal, rédigé par un de ces écrivains qu'on pourrait croire décidés à engager leur propre parti jusqu'à l'amener habilement à sa perte, le Peuple proclamait les intentions secrètes de l'extrême gauche. La majorité, disait-il, pouvait, en un tour de scrutin, faire de l'élu de 5 millions et demi de suffrages le bras et l'organe obéissant de l'Assemblée. Alors le président n'aurait plus qu'à résigner ses pouvoirs à la grande joie de la démocratie militante pour laquelle le président c'était la corruption, la monarchie. C'était ainsi que ce parti, qui en appelait sans cesse à la Constitution, respectait lui-même son œuvre. On lisait dans ce pamphlet quotidien ces phrases violentes:

<< Incapacité de naissance, ambition de bas étage, personnification de toutes les idées réactionnaires... L. Bonaparte, élu sans titres à la présidence de la

République, conspire avec toutes les coteries monarchiques... Traître revêtu de la plus haute fonction de l'Etat... Il organise la banqueroute sociale et la misère du peuple par l'obstination calculée de son Gouvernement à résister à toute réforme financière et économique... Il a osé défier l'Assemblée, en signifiant aux représentants l'ordre de se dissoudre. Eh bien! la Révolution a relevé le gant. Le cartel est accepté : à lundi le combat. Que l'Assemblée ose compter sur ellemême; qu'elle compte sur le peuple de Paris, et la victoire ne sera pas un instant douteuse. Louis Bonaparte a posé la question de la dissolution de l'Assemblée. A la bonne heure! lundi prochain l'Assemblée posera à son tour la question de la démission du président. »

Le Peuple, 26 janvier.

Trahison adroite ou imprudence grossière, on dévoilait ainsi la conspiration qui s'ourdissait secrètement contre la société.

Tandis que le rapport de M. Grévy proclamait l'Assemblée actuelle seule capable de veiller sur la République, les démagogues se donnaient à eux-mêmes la mission de veiller sur l'Assemblée. Une société secrète s'organisait sous le nom de Solidarité républicaine. Elle avait d'abord étendu ses rameaux dans la capitale, et de là elle se propageait dans les départements. On essayait de fonder un État dans l'État.

Ce n'était pas tout. D'autres démagogues protestaient contre un vote de l'Assemblée, et élevaient la prétention de déférer par voie d'appel la loi votée par la Chambre sur les accusés du 15 mai, à cette tourbe révolutionnaire décorée du nom de peuple de Paris. Ils signaient une protestation factieuse dont voici le texte :

PROTESTATION DU PEUPLE DE PARIS.

Attendu que le décret voté par l'Assemblée le 22 janvier, sur la proposition du président et du ministère, enlève les accusés de mai à leurs juges naturels ; >> Que la haute cour est un tribunal politique et exceptionnel, institué d'ailleurs six mois après les faits du 15 mai;

>> Attendu que ce décret porte atteinte « aux droits antérieurs et supérieurs à la loi positive,» reconnus dans la Constitution elle-même (art. 3 du préambule),

» LE PEUPLE de Paris

>> Proteste contre le renvoi des accusés de mai devant le tribunal exceptionnel de Bourges.

» Il engage les détenus de Vincennes à récuser cette juridiction politique et rétroactive et à s'abstenir de toute défense collective ou individuelle.

>> Il engage les accusés contumaces à ne point se livrer au jugement des ennemis de la République. »

Le parti vaincu dans le scrutin du 10 décembre ne laissait passer aucune occasion de faire sentir sa supériorité de nombre dans l'Assemblée. S'agissait-il de nommer les présidents et les secrétaires de bureau, les choix étaient pris exclusivement dans l'opinion ennemie. Il en était de même pour les commissions. On eréait, par cette conduite, des embarras continuels au Pouvoir; on l'accablait sous des interpellations dont le but évident était d'arrêter la marche des affaires publiques. Puis, empruntant les traditions d'un autre régime, on cherchait à faire revivre des règles applicables à une situation différente, en faisant entendre. au Cabinet qu'il ne se trouvait pas dans une situation parlementaire.

Cependant l'imminence d'un conflit redoublait l'agitation dans les bas-fonds de la démagogie. Les sociétés secrètes qui avaient survécu à la Révolution de Février s'étaient, depuis le décret du 28 juillet sur les clubs et les associations, recrutées et organisées tant à Paris que dans les départements, sous forme de comités électoraux. De graves conflits avaient éclaté entre quelques-unes de ces associations à l'occasion de l'élection du président; mais, vers la fin de l'année 1848, un rapprochement s'était opéré, et des associations d'abord hostiles, s'étaient réunies pour réchauffer, à l'aide de publications, de discours, d'adresses, de banquets, l'ardeur révolutionnaire. La fermeture récente de quelques clubs avait violemment surexcité l'impatience de quelques chefs, et leur intention était de profiter des conflits qui pourraient s'élever à l'occasion de l'ouverture, depuis quelque temps annoncée, d'un nouveau club, pour faire descendre dans la rue les corporations affiliées et un certain nombre d'anciens embrigadés des ateliers nationaux. Sans doute, le Gouvernement veillait. Les troupes, sous les ordres du général Changarnier, étaient animées du meilleur esprit, et prêtes à se porter sur tous les points au premier signal. L'autorité s'occupait de la réorganisation des gardiens de Paris. Un nouveau corps de police, recruté parmi ceux des anciens soldats ayant les meilleurs états de service, allait être prochainement constitué. Mais l'opinion publique n'en était pas moins vivement inquiétée le crédit en était affecté, et c'était là déjà une victoire pour la démagogie.

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