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la loi morale. Qu'il nous suffise ici de poser quelques définitions et quelques principes qui se déduisent très-simplement de ceux qui ont été déjà développés.

On appelle sanction d'une loi, l'ensemble des peines et des récompenses qui en garantissent l'exécution. Le droit de pénalité qu'exerce la société à l'égard des infracteurs des lois, droit sans lequel la société serait impossible, a sa base dans l'idée rationnelle du mérite et du démérite. On a essayé de fonder le droit de pénalité sur l'intérêt de la société ; mais cette explication périt avec la morale de l'intérêt tout entière; et il est certain que si on ôte à la peine sa base réelle, savoir l'idée immuable de l'ordre, d'où résultent et la justice et la nécessité morale d'un châtiment, il devient absolument impossible d'en établir, non-seulement la légitimité, mais l'utilité elle-même. Etablir en effet le droit de pénalité sur l'intérêt de la société, c'est ne pas voir que la peine cesse d'être utile quand elle cesse d'être juste. On reconnaît à la peine deux sortes d'utilité : l'amélioration morale du coupable et l'exemple. Or, quant à l'amélioration morale du coupable, la crainte de la peine ne suffit pas pour la produire, et même cette crainte manquerait son effet, parce qu'elle serait mêlée de sentiments de haine et de vengeance qui agiraient en sens contraire. Et quant à l'utilité de l'exemple pour la société, elle serait également vaine, si la peine n'était pas reconnue comme juste et comme méritée; car alors, plus la peine serait terrible, plus celui qui la subirait exciterait de sympathie. Il faut donc conclure que sans les notions universelles et nécessaires de mérite et de démérite, la pénalité sociale serait à la fois arbitraire et inutile.

La pénalité sociale, replacée sur sa véritable base, est la sanction légitime des lois. Mais au-dessus des lois écrites, nous savons qu'il y a une autre loi; et cette loi, tout autrement vaste et tout autrement infaillible, demande une sanction plus sûre et plus complète. Il sera démontré ailleurs que cette sanction ne peut se réaliser sur la terre. Elle ne peut pas y être parfaitement proportionnée, parfaitement suffisante, parfaitement universelle, parfaitement efficace. La morale ici fait pressentir la théodicée; elle demande, et déjà elle démontre l'existence d'un législateur suprême qui, dans une autre vie, rendra à chacun selon ses œuvres.

VI

DEVOIRS DE L'HOMME ENVERS SOI-MÊME.

On divise ordinairement les devoirs de cette classe en deux séries devoirs de l'homme envers son corps, devoirs de l'homme envers son âme. Il faut bien entendre le sens de cette distinction. Comme Kant l'a fait remarquer (1), c'est toujours à l'être moral, dans l'homme, que se rapportent les devoirs. L'homme peut se considérer tour à tour comme être purement spirituel ou comme animal, mais le sujet commun à tous les devoirs qu'il s'impose à ce double titre, c'est la personne, l'être raisonnable et libre, qui seul est capable d'obligation.

§ 1. Devoirs de l'homme envers son corps.

Tous les devoirs de l'homme envers son corps sont compris dans ces deux maximes:

Préserve ton corps de toute atteinte à sa conservation et à son développement normal.

Fais usage de tous les moyens propres à fortifier et à perfectionner ton corps (2).

On remarquera que la première de ces deux formules est négative, et, par suite, d'une précision parfaite, tandis que la seconde

(1) Kant, Principes métaphysiques de la morale, trad. de M. Tissot, pag. 74. (2) Il n'est pas inutile d'avertir ici que les devoirs envers le corps, si respectables qu'ils puissent être, ne doivent pas être mis sur la même ligne que les devoirs envers l'âme. Tout devoir implique obligation; mais il y a entre nos devoirs des degrés d'importance fondés sur la nature et la dignité de leurs objets. On a justement blâme et raillé Volney d'avoir, dans la Loi naturelle, placé la propreté à côté des plus hautes vertus.

est positive, et par suite dépourvue d'une circonscription bien déterminée. C'est là une loi générale de toutes nos espèces de devoirs, et il est important de s'en rendre compte.

:

Tout devoir est double, pour ainsi dire il défend le mal, il prescrit le bien. Il y a donc nécessairement deux séries de prescriptions morales qui correspondent à chaque devoir, les unes prohibitives et négatives, les autres affirmatives et positives. Or, il est essentiel de remarquer que ces prescriptions, bien qu'elles soient toutes obligatoires, ne le sont pas de la même manière. Les devoirs négatifs imposent une obligation stricte, les devoirs positifs n'imposent qu'une obligation large; ce sont les expressions usitées parmi les moralistes, qui ont encore appelé parfaits les devoirs négatifs, et imparfaits les devoirs positifs. On doit remarquer encore qu'en thèse générale, les devoirs positifs ou imparfaits sont subordonnés aux devoirs parfaits et positifs. Tout cela deviendra sensible par des exemples. Il est clair que je suis strictement obligé à ne pas abuser du boire et du manger; cette obligation n'est pas seulement universelle et absolue, elle est stricte, c'est-à-dire qu'elle n'admet aucun degré, aucune distinction de plus et de moins. Suis-je obligé de la même manière à cultiver tel ou tel exercice qui est de nature à fortifier ma santé, à développer, à assouplir les organes de mon corps? Evidemment non. Il est incontestable cependant, que la santé est un bien, que divers moyens sont de nature à la fortifier, qu'il est conforme à l'ordre de donner à son corps toute la puissance, toute l'activité dont il est capable; par conséquent, que le soin du corps, rapporté à l'objet général de la destinée terrestre de l'homme, est pour lui un devoir; un devoir, dis je, universel et absolu, car il n'est aucun devoir qui ne porte ces caractères; mais l'obligation qu'impose ce devoir, n'est pas pour cela de même nature que l'obligation où je suis de ne pas mutiler mon corps; celle-ci est stricte, l'autre ne l'est pas.

Voilà le sens de cette distinction des devoirs parfaits et des devoirs imparfaits que nous retrouverons dans toute la morale. Kant, après l'avoir reconnue, comme nous venons de le faire, a essayé de l'expliquer. On connaît sa belle règle: Agis d'après des maximes

telles que toi-même, si tu étais législateur universel, tu pusses les ériger en lois pour des êtres raisonnables (1).

D'après cette règle, le vrai moyen de s'assurer de la valeur morale d'une action, c'est de la transporter par la pensée dans un monde idéal où tous les êtres sont supposés agir d'une manière raisonnable, et d'examiner si cette action devrait en être exclue ou pourrait y trouver sa place. Ainsi, il est clair que la sobriété, la continence, et pour anticiper sur d'autres devoirs, la justice, la bonne foi, sont nécessairement comprises dans l'idée de ce monde raisonnable et moral par excellence. Otez, affaiblissez l'une de ces vertus, les conditions d'existence de ce monde sont détruites. Au contraire, on peut supposer un monde d'êtres moraux agissant toujours d'une manière raisonnable, où certaines vertus ne seraient pratiquées qu'à un faible degré, ou même manqueraient absolument; où , par exemple, il y aurait peu ou point de charité, peu ou point de cette haute culture intellectuelle qui n'a d'autre objet que de porter les sciences à leur perfection. Voilà ce qui fait que ces vertus, et toutes les prescriptions morales qui s'y rattachent, n'imposent qu'une obligation large, qui ne cesse pas pour cela d'être effective et universelle.

Cette explication sur la distinction des devoirs parfaits et des devoirs imparfaits était ici absolument nécessaire. Il nous reste maintenant à développer les deux maximes générales où se résument tous les devoirs de l'homme envers son corps.

Le corps humain a deux grandes fonctions les fonctions de nutrition et les fonctions de reproduction. Il y a bien encore les fonctions dites de relation; mais elles ne demandent aucune prescription morale particulière; il suffit de ces indications sommaires qui regardent le bon état général des organes. Les fonctions de nutrition et de reproduction demandent au contraire une intervention active de l'être moral. Les prescriptions qui s'y rapportent doivent être comptées parmi les plus essentielles; nous les résumerons en deux mots : continence, sobriété.

(1) Voyez Kant, Principes métaphysiques de la morale, trad. de M. Tissot, p. 364; et la Critique de la raison pure pratique, liv. I, ch. 1.

La gymnastique, dans l'antiquité, embrassait, avec ces deux vertus, tout ce qui peut contribuer à la force, à la souplesse, à la beauté du corps; la musique, prise dans un sens général et élevé, complétait l'éducation en cultivant et perfectionnant l'âme, comme la gymnastique développait et fortifiait le corps (1).

Au-dessus de tous les devoirs de l'homme à l'égard de son corps, il faut en placer un qui les domine et les embrasse tous, celui de ne pas attenter à sa vie. Si on dégage la question du suicide de tous les sophismes dont elle a été entourée, elle se réduit à des termes très-simples. Le suicide peut être défini : l'acte d'un homme désespéré ou dégoûté de la vie, qui se tue pour n'en plus supporter les charges et les ennuis. Ce point de fait bien établi, toutes les morts volontaires qui ont une autre fin que celle qui vient d'être indiquée, se trouvent écartées de la question, et il ne s'agit plus que de savoir si un homme se trouve jamais dans une situation telle qu'il soit soustrait à toute obligation morale. Or, une telle situation étant chimérique, il s'ensuit que le suicide consiste, au fond, à sacrifier le devoir à une autre fin, ce qui est le renversement même de toute morale.

C'est un point que Kant a supérieurement établi: «< Que l'homme puisse se léser lui-même, dit le moraliste allemand, c'est ce qui semble absurde (volenti non fit injuria). C'est pourquoi le stoïcien considérait comme une prérogative de sa personnalité (du sage) de sortir tranquillement de la vie, quand il le voudrait, comme on sort d'une chambre pleine de fumée, sans y être forcé du reste par aucun mal présent ou futur, mais par la raison seulement qu'il ne pouvait plus être utile à rien en ce monde. Mais ce courage, cette force d'âme qui fait braver la mort, qui élève à quelque chose que l'homme peut estimer plus que la vie, aurait dû être pour lui un argument beaucoup plus fort pour ne point se détruire, lui qui se disait animé d'une force supérieure à tous les mobiles sensibles les plus puissants.

<«L'homme, tant qu'il s'agit du devoir, par conséquent tant qu'il vit, ne peut se défaire de la personnalité; et il y a contradiction à

(1) Platon, République, liv. VI et VII; Lois, liv. III et IV.

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