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assez de politesse pour ne pas me le témoigner en termes exprès.

Cet évènement m'a fait faire plusieurs réflexions sérieuses et que je crois importantes. J'ai considéré que sans l'accident qui m'a éveillé ce jour-là si matin, j'aurais dormi environ six heures de plus, pendant lesquelles le soleil donnait sa lumière; et par conséquent j'aurais vécu six heures de plus à la lueur des bougies. Cette dernière manière de s'éclairer étant beaucoup plus coûteuse que la première, mon goût pour l'économie m'a conduit à me servir du peu d'arithmétique que je sais, pour quelques calculs sur cette matière, et je vous les envoie, Messieurs, en vous faisant observer que le grand mérite d'une invention est son utilité, et qu'une découverte dont on ne peut faire aucun usage n'est bonne à rien.

Je prends pour base de mon calcul la supposition qu'il y a cent mille familles à

Paris qui consomment chacune, pendant la durée de la nuit, et les unes dans les autrcs, une demi-livre de bougie ou de chandelle par heure. Je crois cette estimation modérée, car quoique quelques-unes consomment moins, il y en a un grand nombre qui consomment beaucoup davantage. Maintenant je compte environ sept heures par jour pendant lesquelles nous sommes encore couchés, le soleil étant sur l'horizon; car il se lève pendant six mois entre six et huit heures avant midi, et nous nous éclairons environ sept heures dans les vingtquatre avec des bougies et des chandelles. Ces deux faits me fournissent les calculs suivans:

Les six mois du 20 mars au 20 septembre me donnent cent quatre-vingt-trois nuits. Je multiplie ce nombre par sept pour avoir le nombre des heures pendant lesquelles nous brûlons de la bougie ou de la chandelle, et j'ai douze cent quatre-vingt

un. Ce nombre, multiplié par cent mille, qui est celui des familles, donne cent vingthuit millions, cent mille heures de consommation. A supposer, comme je l'ai dit, une demi-livre de bougie ou de chandelle consommée par chaque heure dans chaque famille, on aura soixante-quatre millions, cinquante mille livres pesant de cire ou de suif consommés à Paris; et si l'on estime la cire et le suif l'un dans l'autre au prix moyen de 30 sous la livre, on aura une dépense annuelle de 96,075,000 livres tournois en cire et en suif: somme énorme! que la seule ville de Paris épargnerait en se servant, pendant les six mois d'été seulement, de la lumière du soleil, au lieu de celle des chandelles et des bougies; et voilà, Messieurs, la découverte que j'annonce et la réforme que je propose.

Je sais qu'on me dira que l'attachement aux anciennes habitudes est un obstacle invincible à ce qu'on adopte mon plan ;

qu'il sera plus que difficile de déterminer beaucoup de gens à se lever avant onze heures ou midi, et que, par conséquent, ma découverte restera parfaitement inu-tile; mais je répondrai qu'il ne faut désespérer de rien. Je crois que toutes les personnes raisonnables qui auront lu cette lettre, et qui, par ce moyen, auront appris qu'il fait jour aussitôt que le soleil se lève, se détermineront à se lever avec lui; et quant aux autres, pour les faire entrer dans la même route, je propose au gouvernement de faire les réglemens suivans: 1o Mettre une taxe d'un louis sur cha

que

fenêtre qui aura des volets empêchant la lumière d'entrer dans les appartemens aussitôt que le soleil est sur l'horizon.

2o Établir, pour la consommation de la cire et de la chandelle dans Paris, la même loi salutaire de police qu'on a faite pour diminuer la consommation du bois pendant l'hiver qui vient de finir; placer

des gardes à toutes les boutiques de ciriers et de chandelliers, et ne pas permettre à chaque famille d'user plus d'une livre de chandelles par semaine.

3o Faire sonner toutes les cloches des églises au lever du soleil; et si cela n'est pas suffisant, faire tirer un coup de canon dans chaque rue, pour ouvrir les yeux des paresseux sur leur véritable intérêt.

Toute la difficulté sera dans les deux ou trois premiers jours, après lesquels ce nouveau genre de vie sera tout aussi naturel et tout aussi conmode que l'irrégularité dans laquelle nous vivons; car il n'y a que le premier pas qui coûte. Forcez un homme de se lever à quatre heures du matin, il est plus que probable qu'il se couchera très volontiers à huit heures du soir, et qu'après avoir dormi huit heures, il se lèvera sans peine à quatre heures le lendemain matin.

L'épargne de cette somme de 96,075,000l.

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