monstration de cette vérité: que, de tou tes les qualités qui peuvent conduire un homme pauvre à la fortune, celles qui ont les meilleures chances de succès sont la probité et l'intégrité. Ma liste de vertus n'en contenait d'abord que douze; mais un quaker de mes amis ayant eu l'obligeance de m'avertir qu'on me regardait généralement comme fier, que l'orgueil se montrait fréquemment dans ma conversation, que je ne me con'tentais pas d'avoir raison dans une discussion, mais que je devenais arrogant et même insolent, ce dont il me convainquit en m'en citant plusieurs exemples, je résolus de chercher à me guérir de ce vice ou de cette folie, comme du reste, et j'ajoutai l'humilité à ma liste, donnant à ce mot un sens étendu. Je ne puis me vanter d'avoir réussi à acquérir réellement cette vertu; mais j'ai, du moins, beaucoup gagné, quant a son apparence. Je me suis fait une loi de m'interdire toute contradiction directe des opinions d'autrui, ou toute assertion positive en faveur des miennes. Je me suis même prescrit, conformément aux anciens réglemens de notre Junte*, de m'abstenir de toute expression dénotant une façon de penser fixe et arrêtée, comme certainement, sans aucun doute, etc., et j'ai adopté à la place, je présume, j'imagine, il me semble que telle chose est ainsi, ou bien, cela me paraît ainsi quant à présent. Quand un autre avançait une proposition qui me semblait une erreur, je me refusais le plaisir de le contredire brusquement, et de démontrer sur-le-champ l'absurdité de ses paroles, et, dans ma réponse, je commençais par observer qu'en certains cas, en certaines circonstances, son opinion pourrait être juste, mais que, dans l'occasion présente, il me paraissait, me semblait la chose était différenque te, etc. Je reconnus bientôt l'avantage de ce changement dans mes manières : les conversations dans lesquelles je m'engageai en devinrent plus agréables. Le ton modeste avec lequel je proposais mes opinions leur procurait un plus prompt accueil et moins de contradictions. J'éprouvais moins de mortification, lorsque je me trouvais dans mon tort, et j'amenais plus facilement les autres à abandonner leurs erreurs et à se joindre à moi, lorsqu'il m'arrivait d'avoir raison. Cette méthode, à laquelle je ne m'assujétis d'abord qu'en faisant quelque violence à mon penchant naturel, finit par me devenir si facile, si habituelle, que personne, peut-être, depuis cinquante ans, n'a entendu s'échapper de ma bouche une parole dogmatique. C'est à cette habitude, après mon caractère d'intégrité, que je me crois principalement redevable du crédit que j'ai obtenu auprès de mes concitoyens, lorsque j'ai proposé de nouvelles institutions ou des modifications aux anciennes, ainsi que de ma grande influence dans les assemblées publiques, lorsque j'en suis devenu membre; car je n'étais qu'un mauvais orateur, jamais éloquent, sujet à beaucoup d'hésitation dans le choix des mots, à peine correct, et cependant j'ai, en général, fait prévaloir mes avis. Au fait, de toutes nos passions naturelles, il n'en est peut-être pas d'aussi difficile à dompter que l'orgueil. Qu'on le déguise, qu'on lui fasse la guerre, qu'on l'étouffe, qu'on le mortifie autant qu'on voudra, il reste toujours vivant, et, de temps en temps, perce et se montre; peutêtre le reconnaîtrez- vous fréquemment dans mes Mémoires; car, même quand je penserais l'avoir complètement subjugué, je serais probablement orgueilleux de mon humilité. SUITE. Puisque j'ai parlé d'un grand et vaste projet que j'avais conçu, il me paraît convenable d'en donner une idée et d'en exposer l'objet. Il se présenta pour la première fois à mon esprit, lorsque je mis les idées suivantes sur un papier que le hasard a conservé. Observations faites, en lisant l'Histoire, dans la Bibliothèque*, le 9 mai 1731. « Les grandes affaires du monde, les guerres, les révolutions, etc., sont conduites et exécutées par des partis. « Le but de ces partis est leur intérêt général dans le moment présent, ou ce qu'ils prennent pour tel. Voy. la notice, page 18. |