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consommée. Une députation des femmes est admise à la barre de l'Assemblée; une autre est conduite devant le roi. C'est leur commandant Maillard qui harangue en leur nom les députés de la nation. Une jolie bouquetière de dix-sept ans a l'honneur de porter la parole au monarque, et ne peut supporter un rôle si nouveau pour elle; Louison Chabry s'évanouit après avoir dit du pain! Ayant repris ses sens, elle se jette aux genoux du roi, qui la relève et l'embrasse. Partout ces femmes demandaient du pain on leur en promet. Elles dénonçaient les aristocrates, sollicitaient le renvoi du régiment de Flandre, voulaient obtenir vengeance des outrages prodigués aux couleurs et aux institutions de la liberté on leur fait espérer la punition des coupables; on les invite à la conciliation, et, pour premier gage de réciprocité, les gardes-du-corps leur font offrir une cocarde nationale.

Il y avait beaucoup de tumulte et de bruit, mais point encore d'hostilités. Un turbulent prétend forcer une consigne: repoussé par des gardes-du-corps, il crie qu'on l'assassine, et des gardes nationaux arrivent à son secours. Un coup de fusil part. La plupart des relations nomment celui qui l'a tiré ; c'est qu'elles se répètent : des témoins plus dignes de foi attestent l'impossibilité d'avoir reconnu dans le trouble la main qui l'avait porté. Le fait est qu'il est parti du côté des insurgés un des gardes-du-corps, nommé de Savonnières, en a eu le bras cassé. Cependant le peuple accuse les troupes du roi : elles sont assaillies à coups de piques', de bâtons et de pierres; la milice bourgeoise de Versailles leur fait essuyer une décharge de mousqueterie. Les gardes. du-corps avaient reçu, de la part du roi, l'ordre de ne pas tirer sur le peuple; tous n'y ont point obéi. Un ordre exprès les fait enfin rentrer dans leur hôtel.

Il n'y avait plus d'aliment aux hostilités; mais croit-on que de part et d'autre l'irritation fût calmée ? Cependant la nuit s'écoulait. L'Assemblée délibérait encore, en présence de la multitude et confondue avec elle : des dé

crets sur les subsistances avaient été rendus ; le roi venait d'envoyer une adhésion tardive à la Déclaration des Droits, ainsi qu'à plusieurs autres articles constitutionnels : le peuple en parut reconnaissant, quoiqu'il sût bien l'apprécier. L'armée parisienne était arrivée, et Lafayette avait porté au monarque les réclamations et les vœux des citoyens, le priant surtout de venir habiter la capitale de son royaume. Une pluie continue, la fatigue, la faim, le sommeil, firent disperser la foule dans les cabarets, dans les églises, dans le local de l'Assemblée, et donnèrent, au milieu de quelques orgies, une apparence de calme. La cour, les députés, les chefs de la force publique cédèrent avec confiance au besoin du, repos. Mais l'agitation renaît avec le jour; la multitude se remontre irritée et défiante; elle prétend à l'exécution des promesses de la veille. Une femme aperçoit un garde-du-corps aux fenêtres du château; elle lui adresse des injures ; il a l'extrême faiblesse de répondre par un coup de fusil, qui atteint un soldat parisien, et le tue. A ce déplorable signal le château est envahi : l'espoir du pillage excitait cette minorité cupide que l'on trouve parmi tous les peuples ; le reste était entraîné par la vengeance. La demeure royale est violée; on commet des crimes; quelques têtes de gardes-du-corps sont portées au bout des piques. Il est aisé de se faire une idée de tels désordres.

A la nouvelle de cette sanglante invasion, le général Lafayette fait prendre les armes à ses troupes, et la tranquillité se rétablit en peu d'instans; il n'y eut point de rébellion contre la force publique. L'attitude calme et courageuse de la garde nationale a depuis cette époque renouvelé souvent le même prodige. Des scènes affectueuses succèdent aux inimitiés : les gardes du corps demandent la paix en criant: Vive la nation! Les citoyens répondent par Vive le roi! vivent les gardes-du-corps! De part et d'autre les rangs se mêlent, se confondent en signe d'union; on s'embrasse, on échange des armes, des chapeaux, et les couleurs de la liberté deviennent l'objet d'un culte général, mais plus

ou moins sincère. Enfin la famille royale se montre plusieurs fois à son balcon, et toujours elle y est accueillie par des acclamations d'amour et de dévouement. Alors un des vœux qui avaient déterminé l'insurrection fut réitéré avec une persistance unanime : le roi à Paris! s'écria-t-on. Louis XVI y adhéra. Le cortége nombreux qui se mit aussitôt en route pour cette capitale aurait eu tout l'éclat d'une fête nationale, si quelques dépouilles des vaincus n'avaient encore attesté de douloureux exploits. La résidence du monarque et de l'Assemblée fut désormais fixée à Paris. Ainsi cette phrase, que l'illustre Bailly avait prononcée à une autre époque, recevait ici une plus juste application : « Henri IV avait conquis son peuple ; aujourd'hui c'est le peuple qui a reconquis son roi.»

Les causes et l'exposé de cet événement ont démontré qu'il n'était que le résultat, naturellement combiné, des faiblesses et des incertitudes de la cour, des efforts hostiles de l'aristocratie, et de l'inévitable exaspération du peuple. Il n'y eut point de conspiration.

Mais les privilégiés venaient seulement d'essuyer une défaite; ils n'étaient point vaincus, et tandis que le peuple oubliait et pardonnait, ils conservaient leurs projets et leurs ressentimens. L'aristocratie devait ainsi ramener de nouvelles luttes, et provoquer enfin une catastrophe terrible. D'après le récit des événemens subséquens, qu'on s'est attaché à suivre dans les autres volumes, on verra que les journées du mois d'octobre sont un des premiers anneaux de la chaîne historique qui embrasse la révolution.

Et d'abord cette aristocratie voulut trouver des coupables où il n'y avait eu que des accusateurs, d'abord violens, puis généreux. Confiante dans des juges trop dociles, elle fit instruire, ou plutôt créer, une volumineuse procédure qui s'éleva encore contre elle-même. Une année entière fut consacrée à cet enfantement laborieux. L'organe de la justice, admis enfin à la barre de

l'Assemblée nationale, crut s'emparer de la conviction générale en parant son exorde de ce trait poétique :

Le voilà donc connu ce secret plein d'horreur!

Le rapport de Chabroud sur cette procédure révélera le secret plus réel de la cour du Châtelet.

RAPPORT de la procédure du Châtelet sur l'affaire des CINQ et SIX OCTOBRE 1789, fait à l'Assemblée nationale (constituante) par Charles CHABROUD, membre du comité des rapports. -Séances des 30 septembre et 1" octobre 1790.

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Messieurs, un attentat horrible a été commis le 6 octobre; les ministres de la loi ont recherché les coupables, et, venus dans cette enceinte, ils vous ont dit: le secret est découvert, et les coupables sont assis entre vous.*

» Vous avez ordonné, dans votre affliction profonde, à votre comité d'éclairer ce cruel mystère ; et je vous apporte le fruit

de ses soins.

>> Quelque calme avait succédé aux agitations qu'éclairèrent les jours à jamais célèbres de la révolution, ce calme couvait la tempête.

>> Des inquiétudes saisirent les esprits, soit que de chimériques appréhensions en fussent le principe, soit que divers incidens qui venaient de se succéder eussent dénoncé des dangers réels, soit que les chimères et la réalité eussent été combinées et mises à profit par quelque faction méditant des complots.

>> 'Une résolution soudaine est prise et exécutée; la capitale laisse échapper un peuple immense, impatient de sa situation, qui va remplir Versailles, et demander son salut à l'Assemblée nationale et au roi.

» Peut-être des scélérats sont répandus dans cette multitude; ils la gouvernent à leur grẻ: elle est un instrument mobile, dont ils abusent dans leurs desseins.

» L'asile du monarque est environné; sa garde est menacée; le sang coule; mais quelque agression, quelque imprudente bravade n'a-t-elle pas provoqué ce malheur?

» L'armée parisienne accourt : des citoyens qui ont conquis la liberté répriment la licence; l'ordre renaît, la nuit s'achève dans le silence..., dans un silence perfide.

» Le jour paraît pour donner le signal des forfaits. Les barrières sont forcées, les gardes du roi sont massacrés aux portes de son palais; une bande homicide s'avance. Dans sa fureur elle vomit des imprécations, dans ses blasphêmes elle ne respecte rien, dans son ivresse elle est capable de tous les XXI-Add. 1.

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