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crimes. Elle est aux portes de la reine... D'intrépides guerriers combattent, mais ils succombent; il n'y a plus de résistance; il n'y a presque plus d'espace entre ces tigres et l'épouse de Louis XVI.

>> Rassurez-vous; un respect involontaire va retenir leurs pas ; la majesté du lieu est le rempart qu'ils n'oseront franchir, et le crime n'ira pas jusqu'à son dernier excès.

» Voilà une esquisse, et vous demandez un tableau; vous désirez que l'on vous montre les causes qui amenèrent cette subite convulsion; que l'on remonte, s'il est possible, jusqu'à la première étincelle qui commença cet incendie affreux; que l'on développe devant vous les détails d'une abomination qui semble se multiplier par toutes ses circonstances.

» C'est un labyrinthe à parcourir, et l'on a peine à saisir le fil qui doit guider dans ses détours.

» En ce temps critique d'une révolution qui met tout en mouvement, au milieu de l'action et de la réaction rapides des intérêts qui se croisent, l'esprit de parti répand son influence, et s'empare même du passé.

» Vous avez été presque les témoins d'un événement qu'à peine vous reconnaissez dans ses versions nombreuses.

» Peut-être un grand ascendant a tenté de diriger le jugement du peuple; peut-être des desseins secrets ont été associés aux récits de la renommée; peut-être aussi le patriotisme abusé s'est abandonné à la prévention, et a repoussé sans les apprécier des témoignages proférés par des bouches qui lui étaient suspectes.

» On a crié à la coupable insouciance lorsque les comités des recherches et les tribunaux se taisaient; on a crié à la partialité lorsqu'une procédure solennelle a été entreprise et poursuivie.

>> Des libelles ont dit que le crime triomphait sur les ruines des lois; des libelles ont dit qu'on méditait le renversement des nouvelles lois chères à la nation.

» C'est au milieu de ces préjugés disparates que le comité des recherches de la ville de Paris a dénoncé les crimes du 6 octobre, et que les juges du Châtelet ont accompli une volumineuse information.

» Des décrets en ont été la suite. La conscience des juges, leur a désigné deux membres de l'Assemblée nationale, et voici ce qu'ils ont ordonné à leur égard :

«Attendu que MM. Louis-Philippe-Joseph d'Orléans et » Mirabeau l'aîné, députés à l'Assemblée nationale, parais» sent être dans le cas d'être décrétés, disons que des » expéditions de la présente information seront portées à

» l'Assemblée nationale, conformément au décret du 26 juin » dernier, sanctionné par le roi. »

» L'Assemblée nationale va donc décider s'il y aura accusation contre M. Mirabeau et M. d'Orléans.

» Lorsque les juges du Châtelet vinrent déposer dans votre sein cette opinion, que vous allez discuter, un discours véhément sembla se mettre en opposition avec le doute sur lequel on vous consultait; l'assurance des accusateurs parut mise à la place de la sage hésitation des juges; on eût dit qu'il n'était pas permis de balancer, et que votre délibération ne devait intervenir que comme une vaine formalité.

» C'est à vous, messieurs, de désigner des accusés, s'il faut les trouver dans votre sein; mais on ne dut pas se flatter d'enchaîner votre discussion, et le secret n'est pas découvert encore, puisqué vous n'avez pas prononcé.

» Il a dû toutefois s'armer de quelque courage celui qui est appelé à déchirer devant vous le voile qui couvre la vérité: il va marcher entre des écueils; autour de lui murmurent des passions opposées, qui l'attendent au retour de la carrière qu'il va fournir, et tout ce qui a droit de faire impression sur les cœurs humains se réunit pour l'étonner dans la

carrière.

» Hé bien, ses regards seront attachés vers le but, et il ne les détournera point; il traversera les murmures sans les entendre, et il arrivera inflexible comme la vérité qu'il vous doit.

» Lors même que les juges du Châtelet ont érigé en certitude ce qui ne fut qu'un soupçon peut être téméraire, il est permis de demander encore si les horreurs du 6 octobre ne furent pas l'un de ces jeux cruels où le sort se plaît quelquefois à confondre la prévoyance humaine.

» Cette idée n'est peut-être qu'une illusion, mais elle est précieuse; elle conserve au milieu d'un souvenir déchirant les forces nécessaires à une recherche pénible : si elle vient à se dissiper, elle n'en laissera que pour crier vengeance.

-

» Plan de votre comité. 1o. Examiner les causes éloignées ou prochaines de l'insurrection du peuple, et des excès qui en furent la suite; 2o rechercher si M. Mirabeau et M. d'Orléans ont eu part aux causes et aux effets; 3° résumer les preuves, poser des principes, et enfin conclure.

PARTIE PREMIÈRE.

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Causes de l'insurrection et des excès commis.

Quand même la recherche des causes dont je vais vous

occuper d'abord ne serait pas liée à la décision que les juges et le public attendent de vous, elle ne serait pas d'une indifférente curiosité; il est nécessaire de donner enfin des notions justes d'un événement qui dans ses nuages laisse aux intentions perverses trop de détours à parcourir, et sur lequel il n'existe encore pour la bonne foi que de l'incertitude.

» L'affaire du 6 octobre, étrangère en soi à la révolution, s'y trouve comme identifiée par les rapports qu'ont fait circuler les ennemis de la révolution. Il faut que le peuple soit instruit; il faut, s'il est des coupables, séparer leur cause de la cause générale, et imposer silence à une dangereuse calomnie.

» Une grande insurrection peut avoir été méditée, mais elle peut tenir à des causes naturelles. On a dit que le peuple fut conduit par les agens d'une intrigue profonde; on a dit que le peuple fut soulevé par ses besoins et par l'intérêt de ses droits, menacés d'une offense nouvelle.

» Des scènes sanglantes ont été regardées tour à tour comme l'effet d'un hasard aveugle dans des circonstances inopinées, et comme l'accomplissement imparfait d'un complot heureusement déconcerté.

» Pour fixer tant d'irrésolutions, j'examine d'abord si un complot est prouvé avoir suscité et l'insurrection et les horreurs qui la suivirent. J'apprécie en second lieu les causes apparentes et naturelles des mouvemens auxquels le peuple s'est livré. Enfin je tâche de découvrir comment il fut poussé jusqu'à des forfaits.

» S Ier. J'ouvre l'information, et le premier témoin, le sieur Peltier, me dit avoir su par des bruits publics que M. d'Orléans avait un parti formé pour s'emparer de l'administration du royaume.

» Des bruits de société ont appris au sieur Lafisse que plusieurs membres de l'Assemblée nationale étaient liés à ce parti.

La déposition de M. Malouet énonce de noirs pressentimens qu'il avait d'une conjuration contre le roi et contre les membres de l'Assemblée nationale attachés aux principes constitutifs de la monarchie.

» Des bruits publics, des bruits de société, des pressentimens! presque toujours ils sont trompeurs; quelquefois ils ont été des précurseurs funestes et trop véridiques.

» Toutefois le fait du complot n'a pas été déterminé ; nul témoin n'a montré la chaîne d'une intrigue concertée. Il faut, pour dévoiler le mystère qui se dérobe, amasser des

traits épars vous attendez un tableau; je vous en apporte cent. Vous verrez si enfin vous pourrez les lier, et composer un ensemble.

» J'aurai besoin de votre attention, j'aurai besoin de votre indulgence: dans cette longue suite de témoignages détachés que j'ai à mettre sous vos yeux, il n'est pas aisé d'être concis et d'être clair.

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Quand il s'agit d'aller à la découverte d'un fait déterminé, on combine les preuves, on le compose de ses circonstances, et l'on arrive à former un tout par une succession de détails où l'intérêt est soutenu, et si alors le rapporteur ne doit pas l'attention à lui-même, la chose l'obtient, discours marche avec rapidité.

>>

Ici je suis forcé de dépecer pour ainsi dire mon ouvrage : chaque article fait comme un corps détaché, dont la liaison avec le tout est éloignée, équivoque, souvent nulle; chaque article demande sa discussion particulière; et dans leur longue et fastidieuse série l'intérêt s'éteint, et il est à craindre qu'on ne soit également découragé et de dire et d'entendre.

» Je ne vous dirai pas les motifs, que j'ignore, pour lesquels on a recueilli dans l'information du Châtelet des faits et des propos que leurs dates lient aux grands événemens du mois de juillet.

» Deux témoins rappellent des piques fabriquées le 14 juil let par un ouvrier de M. d'Orléans.

» M. de Tonnerre indique des renseignemens à prendre sur des alarmes données alors à Cherbourg; à Cherbourg, où il a grande attention d'exprimer que commande un ancien officier de l'un des régimens de M. d'Orléans.

» Le sieur de Villelongue déclare qu'alors aussi des domestiques de M. d'Orléans avaient des liaisons dans le faubourg Saint-Antoine, et avec un inspecteur de police.

» Il révèle un envoi de poignards fait de Marseille à

Paris.

» On apprend ensuite de l'ouvrier même que les piques avaient été commandées par les citoyens du district des FillesSaint-Thomas.

» Les éclaircissemens indiqués sur les alarmes de Cherbourg n'ont pas été recherchés, parce qu'on a vu probablement qu'ils n'éclairciraient rien.

» Les habitudes des domestiques de M. d'Orléans sont de ces faits qui ont toutes les faces auxquelles on fait signifier tout ce qu'on veut, et qui par cela même ne signifient rien.

» Quant aux poignards venant de Nice, ils avaient été

saisis au débarquement longtemps auparavant, et les préposés de la Ferme générale les faisaient passer à Paris avec de la gaze produit d'une autre saisie.

On déjeunait chez M. Malouet le 17 juillet. M. Malouet déplorait les excès qui avaient déshonoré la révolution; M. Coroller, l'un des convives, se jouait dans la liberté de la conversation, et, supposant que le nouvel ordre des choses était peu agréable aux autres convives, il abusait de son triomphe il disait qu'une révolution ne pouvait arriver sans commotion, et que la commotion avait été suscitée; qu'on avait provoqué les insultes faites à M. l'archevêque de Paris, contraire alors à la réunion des ci-devant trois ordres; qu'on avait préparé la défection des gardes françaises; que le renvoi de M. Necker avait hâté des mouvemens dont on aurait plus tard déterminé l'éclat en mettant le feu au palais Bourbon. Il prouvait ainsi que la révolution avait dû nécessairement arriver, et se faisait un malin plaisir d'annuler toutes les objections.

»Trois convives, MM. Dufraisse, Taillardat et Guilhermy, tenaient registre de cette conversation, et comme devant le salut de l'Etat les devoirs de l'hospitalité ne sont rien, ils ont déposé, et ils ont tout dit.

» Outre que de là aux scènes du mois d'octobre il y a peu de rapport, j'aurais imputé à une ironie légère les propos de M. Coroller; et, eussé-je osé franchir la discrétion que commande l'intimité d'un déjeuner, j'aurais cru ne devoir alonger une information du récit d'un vain persiflage.

pas

» M. Perrin, avocat, entendit une harangue au PalaisRoyal, où l'orateur proposait de déférer à M. d'Orléans la lieutenance générale du royaume.

» M. de Mirabeau avait parlé à M. de Virieu d'une tentative faite pour porter M. d'Orléans à cette place : il aurait dû l'obtenir du roi pour le prix de sa médiation entre le roi et le peuple; et alors où était, je vous prie, le motif de blâmer? Antérieurement M. de Mirabeau avait dit à M. Bergasse avoir sondé là-dessus M. d'Orléans, qui lui avait répondu des choses très aimables.

» M. de Virieu conversa le 17 juillet avec un officier de la garde nationale, et celui-ci lui dit que, s'il eût été attenté à la sûreté de l'Assemblée nationale ou de quelqu'un de ses membres, on avait résolu à Paris de nommer M. d'Orléans protecteur ou lieutenant-général du royaume.

C'était, si je puis dire ainsi, une prévoyance plutôt qu'un projet, et ce n'est ici ni le temps ni le lieu d'examiner quelles mesures pouvaient être alors légitimes.

« PrethodnaNastavi »