Slike stranica
PDF
ePub

» M. de Mirabeau dit le 4 octobre, à l'hôtel de la Reine, en la présence du sieurGirin de la Motte, que sous peu d'heures on verrait bien des choses.

1

>> Ce dernier trait n'est pas plus extraordinaire que celui qui précède. Je vois l'effet d'une appréhension universelle, que l'état des choses allait justifiant de plus en plus.

Un particulier, regardant des livres chez Blaizot, disait : J'ai une lettre qui m'est venue d'un tel, dans laquelle il me marque qu'il a peur pour moi; qu'il se répand qu'il doit arriver à Versailles des événemens sinistres, et il me prie de lui donner de mes nouvelles.

[ocr errors]

Blaizot, qui entendait ce propos, croit que la lettre venait de Toulouse.

»Or le sieur Labouche, citoyen de Versailles, était à Toulouse le 29 septembre. Il se proposait d'aller à Bordeaux, et comme il faisait connaître ce dessein, quelqu'un lui dit : Si Vous êtes de Versailles, et que quelque chose vous y attache, vous ferez bien d'y retourner, car si vous allez à Bordeaux, et que vous y restiez quelques jours, vous ne retrouverez plus le roi à Versailles.

» Je saisis ces dernières expressions; elles expliquent tout; car alors on craignait en effet que le roi ne fût enlevé, et conduit à Metz par une faction, et peut-être vous ferai-je voir bientôt que ce n'était pas un simple bruit populaire.

» Voici un témoignage qui, dans le genre merveilleux, surpasse de loin des prédictions.

[ocr errors]
[ocr errors]

par

» Le 28 septembre, une femme (Marguerite Andel, veuve Ravet) est abordée entre Auteuil et Passy par un inconnu ; » elle lui confie des chagrins. Il lui conseille d'avoir recours >> aux bontés de M. d'Orléans, et lui offre une lettre de recom» mandation; elle va avec lui à Versailles... Il la conduit une rue qui est presque vis-à-vis la maison de M. d'Orléans ; après un certain trajet de chemin, près d'une église, il la » laisse là, lui disant de l'attendre. Un quart d'heure et demi après, il lui apporte une lettre à l'adresse de M. d'Orléans ; il lui dit que le prince reconnaîtra le cachet, en lui recom» mandant de ne la remettre qu'au prince, ou à M. de la » Touche, ou à Marcel, son valet de chambre ; que si elle ne trouvait ni les uns ni les autres, elle le rejoindrait à la grille de Montreuil... Le suisse la reçoit fort mal; elle va à une autre porte; elle trouve un postillon, qui lui dit que monseigneur est très généreux; que la veille une femme lui a présenté une lettre, et qu'à la vue du cachet il lui a remis dix louis. Le postillon lui indique un passage. Elle demande à un des gens de monseigneur; il lui dit qu'elle ne

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

D

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

peut lui parler, lui demande de quelle part elle vient, et, ne pouvant le dire, elle est renvoyée. Elle va chez M. de la Tou» che; lui ni son valet n'y sont. Elle va au parc... Elle rompt le >> cachet; elle trouve un grand papier épais, au haut duquel » est une espèce de timbre en ovale, partagé par deux petites >> barres, entre lesquelles est écrit le mot Concordia; au » dessus des deux barres est un demi-soleil, de la bouche duquel sortent deux lances qui traversent les deux barres, et » passent aussi sur deux mains unies, symbole de la bonne foi, » qui sont au dessous des deux barres. Au haut de l'ovale, en dehors, est une couronne ornée de trois fleurs-de-lis, dont >> celle du milieu est renversée. D'un côté de l'ovale est un » double aigle, et de l'autre une femme tenant une ancre d'espérance; le tout imprimé. Le reste et moitié du verso du premier feuillet de cette feuille de papier sont remplis » de chiffres, mêlés de caractères, qu'elle croit grecs, avec >> des signatures et des paraphes. Elle met ce papier dans » sa poche. Sur la route de Marly, elle voit deux cava>>liers ayant l'air de chercher quelqu'un, courant à bride » abattue... Ils demandent si l'on n'a pas vu une femme. Ils >> ralentissent leur course, et vont de côté et d'autre. Ils de>> mandent de nouveau si l'on n'a pas vu une femme. Jugeant » alors que ce peut être elle que les cavaliers cherchent, elle » s'enfonce dans les charmilles, et coupe avec ses ciseaux en petits morceaux le papier qu'elle a trouvé dans l'enveloppe, » et l'éparpille dans les charmilles. Plus loin les cavaliers » accourent, la saisissent, la fouillent dans ses poches, et jusque dans son estomac. »>

[ocr errors]
[ocr errors]

» Je n'ai rien ajouté : cette aventure est assurément étonnante; on se demande si l'on a bien entendu. Ce n'est rien: ily a dans la déposition de Marguerite Andel une autre aventure non moins touchante, et non moins singulière.

» Cette femme est elle-même un prodige; quelle mémoire! quelle justesse dans cette description du papier mystérieux! et c'est sur l'examen de quelques minutes, et après huit mois, qu'une ouvrière en linge vous rend tout cela, comme à l'académie de dessin!

» Je ne commenterai pas ce véridique récit; mais je remarquerai deux faits: 1° Marguerite Andel, appelée au comité des recherches, y fit sa déclaration le 4 janvier, et je n'y ai pas trouvé un mot de l'histoire du 28 septembre; 2° cette femme se présenta chez M. de Tonnerre dans le mois d'avril, et lui parla des événemens du 6 octobre, et même de cette autre aventure dont je vous ai dit que le détail est dans sa déposition, et elle ne lui parla point de celle-ci.

» Ces considérations ne laissent pas d'ajouter quelque chose à la vraisemblance du témoignage de Marguerite Andel.

Je poursuis mon énumération.

» Vous n'avez pas oublié, messieurs, que la loi de la succession au trône fut un instant l'objet de votre attention.

» Je n'ai pas cru devoir vous rendre compte des dépositions que les juges du Châtelet ont reçues sur les discours proférés alors par les membres de l'Assemblée, soit dans son sein, soit dans leurs conférences particulières.

» Vous jouissez, vous devez jouir dans vos discours, comme dans vos opinions et dans vos travaux, de la plus entière liberté; rappeler ici ces discours, même pour les justifier, ce serait, en supposant que les juges ont pu en informer blesser votre droit ; et lorsque les tribunaux seront autorisés à aller jusque là, aussitôt il n'y aura plus d'Assemblée natio

nale.

[ocr errors]

» M. de Virieu et M. Henri de Longuève remarquent que, dans les délibérations de la première séance du 5 octobre, ils furent frappés de la roideur d'opinions qui se manifestait dans une partie de l'Assemblée nationale.

Je relève ce témoignage particulier, parce qu'il est grave dans ce qu'il dit, et plus encore dans ce qu'il ne dit pas.

[ocr errors]

Quel rapport veut-on établir entre la disposition des esprits dans l'Assemblée nationale, et une insurrection ignorée encore par ceux qui n'auraient pas été instruits du mystère qui la préparait?

Je >> ne sais que vous dire; une définition me semble périlleuse il y a de l'indiscrétion peut-être dans ces dépositions si elles sont insignifiantes; si la réticence intervient, je n'osela qualifier.... Je m'arrête; ma mission n'est pas de justifier l'Assemblée nationale, qui n'en a pas besoin.

>> Vous allez entendre des révélations qui partent de votre comité des recherches.

» On a vu des plaques de métal aux armes d'Orléans; trois honorables membres de l'Assemblée, MM. Taillardat, Henri et Turpin, ont consigné cette découverte dans l'information. Je me suis d'abord figuré des marques d'une chevalerie nouvelle, quelque signe de ralliement entre des conjurés : j'ai vu de lourdes masses.

>> On est allé à la source et l'on a su qu'elles avaient été ordonnées en 1788, et destinées à marquer des limites, attachées à cet effet à des poteaux ; on a su que le sieur Simon, graveur, en fit le modèle, et qu'elles furent exécutées dans l'hiver suivant en plomb par le sieur Rousseau, et en fonte par le sieur Gibiard.

» Voici le pendant des plaques.

>> Plusieurs caisses sont arrêtées, dit-on, à la suite de l'un des régimens de M. d'Orléans; elles contenaient des fragmens de bois taillés de manière à s'entrelier sous diverses formes, de la hauteur d'un pouce, de l'épaisseur d'une ligne, et ne présentant désassemblées que de petites pièces endentées avec symétrie.

» J'ai vu une croix à piedestal formée de ces pièces réunies; bagatelle préparée par la patience des solitaires, badinage à poser sur une corniche de cheminée, chef-d'œuvre de légèreté qui ne recèle assurément rien de suspect.

» M. Taillardat a déclaré cette prise. Un autre témoin, le sieur de Rosnel, a rapporté une conversation dans laquelle on lui avait dit que de telles pièces de bois étaient employées par les anciens à construire des ponts pour passer les rivières. Il semble apparemment au sieur de Rosnel qu'il voit déjà des régimens de ligueurs portant leurs ponts comme leurs fusils, et les fleuves n'être plus un obstacle.

» Les mêmes témoins dénoncent des lettres cachetées venues d'Angleterre, arrêtées à la poste, adressées soit à des personnes de la maison de M. d'Orléans, soit à d'autres personnes, et où l'on croit avoir reconnu le sceau ou l'écriture de M. d'Orléans.

[ocr errors]

Quand ces lettres furent arrêtées, je ne sais comment, on recourut au roi. Il fut répondu qu'on ne pouvait aútoriser la violation du secret des lettres, mais que les tribunaux pouvaient en ordonner l'ouverture lorsqu'elles appartenaient à des personnes prévenues.

» Les ministres décidaient ainsi assez légèrement, sous le nom du roi, une grande et délicate question; mais, nul tribunal n'ayant ensuite ordonné l'ouverture des lettres dont je parle, le sceau a été respecté.

» Je ne sais ce que l'Assemblée en pensera. Les prévenus peut-être jouissent encore de tous les droits des citoyens, et je dis que le secret des lettres est l'un de nos droits les plus

sacrés.

» Ces lettres ne seraient-elles pas les pièces de conviction dont les juges du Châtelet vous ont dit que le comité de la commune leur refusait la connaissance? Alors on pourrait regarder comme naturel que ce comité n'ait pas vu des moyens de conviction dans des secrets qu'il n'a pu ni dû pénétrer.

»Je ne dirai pas maintenant que tous les témoignages que je viens de vous exposer sont ou en eux-mêmes insignifians, ou démentis presque aussitôt par leur propre vertu ou par d'au

tres témoignages, ou enfin étrangers à l'affaire du 6 octobre et au complot que nous recherchons.

[ocr errors]

Si je n'avais à aller plus loin, je le dirais peut-être hardiment; mais j'aborde les traits plus marqués qui doivent entrer dans mon tableau. L'horizon se rembrunit, et les faits isolés dont je vous ai entretenus peuvent prendre un autre caractère si nous devons rencontrer les preuves qui nous manquent jusqu'à ce moment.

[ocr errors]

Le sort de la reine de France est trop étroitement lié à celui de l'Etat pour que le complot qui l'aurait menacée soit regardé comme étranger à la chose publique.

Le sieur de la Tontinière et le sieur Laimant ont déposé que dès les premiers jours de septembre un assassinat menaça les jours de la reine.

» Le nommé Blangez, domestique du sieur Laimant, s'enivre à Versailles le 12 ou le 13. Il se retire. Un homme se trouve sur ses pas, l'interroge, et lui fait concevoir le dessein d'un parricide.

» Les détails de ce fait sont dans les deux dépositions; elles répètent le récit fait par Blangez lui-même, et je ne ferai presque que transcrire.

[ocr errors]

Blangez goûte avec deux de ses amis dans un cabaret de la rue des Récollets; il les quitte à sept heures ; il passe chantant dans la rue du Vieux-Versailles, et de là, comme il tourne dans celle de la Surintendance, un jeune homme, sortant de l'auberge du Juste, le félicite sur sa gaieté.

» Il répond qu'il chante, mais qu'il n'est pas plus gai pour cela; qu'il est aussi affecté que tout le monde des malheurs publics; qu'il a entendu dire que la reine en est la cause; qu'il s'estimerait heureux s'il pouvait en délivrer la France.

>> L'inconnu le loue de ses sentimens patriotiques, l'emmène à l'écart près de la boutique d'un cordonnier, et lui offre une fort grosse bourse pleine d'or et d'argent; il lui promet bien davantage s'il exécute sa résolution. Il ajoute que c'est un complot formé, auquel ont part plus de soixante autres personnes. Il lui propose de se rendre le même jour à Paris, à la place Louis XV, pour y souper avec ses complices. Blangez répond qu'il n'a pas besoin d'argent, qu'il aura le courage d'agir sans intérêt; il refuse d'aller à Paris. On promet qu'on lui fera parvenir des nouvelles.

» Il part plein de cette conversation; sa tête s'échauffe dans cette pensée. Sur la route il court sus à un homme, le poursuit à coups de bâton, l'atteint, le saisit; on l'arrache de ses mains. Dès lors il ne sait plus ce qu'on a fait de lui; il a repris ses

« PrethodnaNastavi »