Slike stranica
PDF
ePub

esprits le lendemain, et s'est trouvé couché dans l'écurie du sieur de la Toutinière.

» Il semble d'abord que ces deux témoignages se réduisent à un ouï-dire, car les témoins n'ont rien vu et ils déposent ce que leur a dit Blangez.

[ocr errors]

» Je n'ai pas cru cependant devoir les ranger dans la classe des simples ouï-dire.

» La scène de la rue du Vieux-Versailles se prolonge pour ainsi dire jusqu'à la Ménagerie, où habite le sieur Laimant et jusqu'au domicile du sieur de la Tontinière, qui en est voisin, et dans l'écurie duquel Blangez passa la nuit.

» Il me semble que, saisissant Blangez presque dans les derniers instans de cet événement, lorsqu'il était encore dans l'émotion qui en était la suite, ils ont comme vu l'événement dans son entier; ils n'y ont pas apporté cette curiosité vaine qui entend un récit après un intervalle; ils ont presque reçu l'impression des témoins oculaires.

» Et pourtant, après avoir été frappé d'un sentiment qui maîtrisait presque ma croyance, quand je relis, mon esprit aperçoit des raisons de douter.

» Le sieur de la Tontinière et le sieur de Laimant donnèrentavis aux ministres de ce qu'ils avaient appris de Blangez. Comment n'a-t-on pas pris à l'auberge du Juste des renseignemens sur le jeune homme qui en était sorti?

[ocr errors]

Blangez est saisi par ceux qui accourent au secours de l'homme qu'il poursuivait et qu'il maltraitait; il passe la nait dans l'écurie du sieur de la Tontinière. Comment ne rencontre-t-on dans l'information ni l'homme maltraité, ni ceux qui le secoururent, ni les gens de la maison du sieur de la Tontinière qui lui donnèrent un asile?

» En se rappelant le fait on trouve étrange que le secret d'une conjuration soit confié à un homme ivre, à la première vue, et qu'on lui offre sans le connaître une fort grosse bourse; qu'il reconnaisse, tout en refusant cette bourse, et dans l'obscurité, qu'elle est pleine d'or et d'argent; que, pour lui parler à l'écart, on l'emmène près de la boutique d'un cordonnier, d'où à sept heures du soir il est fort à craindre qu'on ne soit entendu; qu'on lui indique imprudemment, et sans l'avoir éprouvé, des complices et un rendez-vous avec eux.

[ocr errors]

Blangez pouvait être ivre, bavard, et pourtant honnête : où était la caution qu'il ne crierait pas à l'assassin? et quel gage avait-on de la discrétion de cet homme rencontré par hasard?

» Ivre à l'excès, comment conserve-t-il la mémoire de XXI.- Add. 1.

tout ce qui s'est passé dans cette rencontre, et la perd-il bientôt de ce qui suit?

" Il ne sait pas dire comment il a eu une retraite pendant la nuit, et il conte une conversation avec une présence d'esprit admirable.

» On a vu souvent l'ivresse se dissiper dans un violent exercice; il aurait augmenté celle de Blangez.

>> La déposition du sieur de la Tontinière, que ces réflexions engagent à revoir de près, semble accoler des circonstances inconciliables. Il alla chez le sieur Laimant pour s'informer des propos que l'on imputait à Blangez ; on cherchait ce domestique depuis le matin; il le trouva enfin au bout des cours dans un poulailler, monté sur un perchoir, presque nu, les yeux étincelans, avec les symptômes de la fureur. Il l'interrogea; cet homme répondit, avec l'expression la plus véhémente, « qu'il sentait bien qu'il était un homme perdu, mais » qu'il s'en f......; qu'il se ressouvenait bien d'avoir dit la veille qu'il lui avait été offert de l'argent pour assassiner la reine. >> Comment accorder le souvenir qu'a Blangez de ce qu'il avait dit la veille avec l'entier oubli de ce qu'il devint? A qui donc avait-il fait cette confidence dangereuse? Dans la route il trouve un seul homme, et il le veut assommer; il arrive, et il ne voit, ne dit, n'entend plus rien ; il ne reprend ses esprits que le lendemain : il semble que son secret est entier.

>>

» Le sieur de la Tontinière et le sieur Laimant different dans quelques points; et, pour augmenter l'embarras, un troisième témoin, produit pour les confirmer, les contrarie encore; c'est Pierre Boucher, engraisseur de volailles à la Ménagerie.

» Selon le sieur de la Tontinière, on cherchait Blangez depuis le matin; pourtant Boucher, qui est de la maison, conversait tranquillement avec lui, et pouvait l'avertir.

» Le sieur de la Tontinière voit Blangez sur un perchoir, dans un poulailler, presque nu; cette manière de se blottir est assez extraordinaire et pourtant elle échappe à Boucher.

[ocr errors]

» Voici une diversité remarquable.

» Ecoutez le sieur Laimant ; je transcris ses paroles:

» Ledit Blangez est revenu le soir à la Ménagerie sur les » huit à neuf heures; il dit à lui déposant, etc. » Rien n'est plus positif, plus affirmatif; l'heure même est exprimée; comment est-il donc vrai qu'il fut porté dans l'écurie du sieur de la Tontinière?

» Il faut convenir que le sieur Laimant rajuste sa déposition comme il allait achever de contredire le sieur de la

Tontinière, qui avait déposé trois jours plutôt. Je n'ose conjecturer comment il revient sur ses pas; mais on croirait que le sieur de la Tontinière est derrière, qui lui dit : j'ai conté cela autrement, ou que quelque autre le dit à la place du sieur de la Tontinière.

» Restent dans la déposition ces paroles: « Ledit Blangez » est revenu le soir à la Ménagerie sur les huit à neuf heures; » il a dit, etc. » Et puis on y trouve ces autres paroles : « Ob» serve, le déposant, qu'il n'a point vu son domestique dans l'après-midi, mais seulement le lendemain à dix heures...» Or j'aimerais autant que le sieur Laimant me dît : « J'ai vu Blangez le soir à huit à neuf heures, c'est-à-dire, le matin » à dîx heures.»

[ocr errors]

D

un

» Ce n'est pas tout. Selon le sieur de la Tontinière, seul homme avait abordé Blangez à Versailles ; vous en trouvez deux dans le récit du sieur Laimant.

» Le premier le fait partir du cabaret où il a goûté, rue des Récollets; le second le fait aller au café, et boire des liqueurs.

» Enfin, pour compléter la bigarrure, Boucher convient que Blangez, conversant avec lui lorsque le sieur de la Tontinière parut, tenait des propos repréhensibles, et qu'il l'en réprimandait; mais il a oublié l'espèce de ces propos, ce qui est, comme on voit, fort naturel, s'agissant seulement de la reine de France et d'un assassinat.

» Voilà un fait en même temps bien grave et bien estropié que je livre à vos réflexions.

» La déposition du sieur de Miomandre-Châteauneuf va vous présenter un autre fait qui mérite votre attention.

» Il avait assisté le premier octobre au repas donné par les gardes-du-roi; il suivit une troupe ivre et joyeuse sur la terrasse; il en sortit par le passage qui conduit au grand escalier.

[ocr errors]
[ocr errors]

« Je fus arrêté, dit-il (dans ce passage), par un chasseur des Trois-Evêchés, qui était le front appuyé sur le plombeau de son sabre, hors du fourreau; cet homme me » saisit par le poignet gauche, et me dit qu'il était bien » malheureux. La douleur la plus profonde était peinte sur » sa figure; il dit qu'il n'avait besoin que de la mort; ses >> larmes l'empêchaient de s'expliquer; puis, se voyant seul » avec moi, il prononça ces mots sans aucune liaison: notre » bon roi... cette brave maison du roi.... Je suis un grand gueux! Les monstres... qu'exigent-ils de moi! Qui, lui demandai-je? Ces j... f..... de commandant et d'Orléans...-Beaucoup de monde survint; il devint furieux ; il

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

»se mit la pointe du sabre sur l'estomac. Je m'écriai: à moi, » du Verger! Il vint, et désarma le chasseur. Nous ne pûmes » empêcher qu'il ne se blessât; le sang vint; l'homme de» vint plus furieux; plusieurs personnes à moi inconnues lui » donnerent du secours... Je dirigeais ma marche pour dé>> poser cet homme au corps-de-garde ; j'aperçus M. le » comte de Saint-Marceau; je le priai d'être témoin des » aveux que nous espérions avoir de cet homme. Je fis » étendre une botte de paille; j'y fis placer cet homme : il » était dans un abattement total. Plusieurs de ses cama»rades survinrent, qui s'avancèrent, et l'un d'entr'eux lui » détacha deux coups de pied dans l'estomac, en disant » que c'était un mauvais sujet dont ils voulaient se dé>> faire. >>

[ocr errors]

Apparemment l'homme mourut; le témoin n'en dit pas davantage (1).

» Le sieur de Rebourceaux confirme en partie, et en partie dément ce récit. « On dansait, dit-il, sous le balcon du roi ; » un dragon se livra au désespoir, en disant qu'il était >> un malheureux d'avoir reçu de l'argent pour trahir son maî

>> tre; il voulait se tuer; on lui enleva sou sabre.»>

» Ce n'est plus dans le passage, c'est sous le balcon du roi; la scène n'est point ensanglantée, et il y a peu de discours. Ces contradictions légères ne doivent pas étonner: l'un des témoins était auprès du chasseur; il le suivit; l'autre ne se trouva pas à portée d'être instruit aussi précisément. On peut les regarder comme conformes sur la séduction qui paraissait avoir enveloppé cet homme, et c'est ici le fait essentiel.

» D'ailleurs vous entendrez dans la suite un grand nombre de témoins dénoncer des distributions d'argent faites aux soldats, et vous concevez ce qu'ajouterait d'importance à ces deux témoignages la certitude des distributions.

» Toutefois je vous propose quelques questions qui se présentent à mon esprit.

» Le chasseur était ivre; n'y a-t-il pas une sorte de vanterie à laquelle son propos pourrait appartenir?

[ocr errors]

» M. d'Orléans qu'il nomme, est-il allé jusqu'à lui? lui a-t-il parlé ? lui a-t-il communiqué d'horribles desseins? comment enfin cet homme a-t-il le droit de nommer M. d'Orléans?

(1) « On a crié dans l'Assemblée que l'homme n'était pas mort; en ce cas je demande pourquoi je ne trouve pas son témoignage dans l'information? >>

>> Comment deux témoins peuvent-ils être divers sur le fait simple en soi de l'homme se blessant, ou retenu et désarmé sans blessures?

» Comment un événement si singulier et si intéressant est-il, au milieu d'une grande foule, le secret de deux personnes ?

» Comment ne trouve-t-on pas parmi les témoins de l'information le sieur du Verger, qui est supposé avoir désarmé l'homme?

[ocr errors]

» Comment accorder la bassesse de l'homme qui se vend avec l'héroïsme de l'homme qui se tue pour s'être vendu? Quelle idée se faire du soldat ivre qui choisit et attend quelqu'un pour lui faire sa confidence avant de mourir et qui la lui fait à demi; qui joue les grands mouvemens, qui s'exprime avec des réticences que l'on dirait étudiées qui coupe son discours par des trois points comme un poëte tragique?

» Le soldat s'arrêtant dans un passage étroit, le sabre nu posté de manière à en faire usage lorsque l'instant sera venu, commandant à sa fureur assez pour avoir le temps justement de proférer quelques paroles qui expliquent ce qui va se passer; des passans qui voient froidement cette situation qui présageait un homicide; des spectateurs tranquilles qui ne s'étonnent pas lorsque l'arme, dont la pointe était d'abord à terre, est ensuite retournée offensivement; un confident immobile qui réserve à un tiers le soin d'arracher à la victime le fer meurtrier, afin qu'elle ait le loisir de parler, de prendre ses mesures et de se frapper; tout. cela n'a-t-il pas l'air d'un coup de théâtre compassé dont la moindre omission ferait manquer tout l'effet?

» L'attention est encore suspendue; pour prolonger l'intérêt on transporte l'homme, et afin de couronner l'inexplicable bizarrerie de toute cette histoire, ses camarades viennent, le regardent, le font expirer sous les coups de pied sans que personne s'en formalise, comme en passant on écrase un reptile.

» J'ai lu dans une déclaration du sieur Lecointre, citoyen de Versailles, que dans l'ivresse de cette fête on escalada le balcon du roi, et qu'un dragon voulait se tuer pour avoir manqué l'escalade. On pourrait soupçonner que le dragon du sieur Lecointre et le chasseur du sieur de Miomandre ne sont que le même homme.

» Je cours à d'autres faits.

>> M. Diot entend le 5 octobre, à sept heures et demie du soir, à l'entrée de l'avenue de Paris, la conversation de

« PrethodnaNastavi »